1er juin
Imaginer un personnage, c’est passer de la littérature à la psychologie. Je peux écrire facilement le ressort principal d’un personnage qui suffise presque à l’élaboration d’un roman : « Ai-je jamais été désiré ? La question du désir, non pas les siens, qu’on cherche à satisfaire, mais celui des autres : ai-je jamais été désiré ? Et si non, comment trouver ma place ? Cela va un peu plus loin que la peur de l’abandon. Personne n’a voulu de moi, personne ne veut de moi. Je cours après les marques, subtiles parfois, qui pourraient me laisser espérer le contraire. N’importe quelle marque d’intérêt, n’importe quelle marque d’affection. Que je sur-interprète. Mais il n’y en aura jamais assez. Le désir de l’autre sera toujours remis en cause. » Le tour est joué. Plus qu’à mettre de la chair à cette armature et je tiens un personnage. Et donc, un livre. Il n’y aurait qu’à tirer le fil.
2 juin
Il y a la folie. Perte, souvent progressive, de contact avec la réalité. Évidemment, on sait que la réalité n’existe pas. Seuls existent le plaisir et la douleur, on se maintient quelque part en équilibre. Comme on peut. La raison, c’est admettre un lieu commun, le réel, et des faits qui le constituent. A minima quelques lois physiques que nous partageons : le temps qu’on ne remonte pas, la gravité qui nous plaque au sol, et les principes de la thermodynamique. Le fou saute par la fenêtre en croyant qu’il flottera. Il attrape les braises à main nue. La réalité se rappelle à lui. « Je te l’avais bien dit », se moque sa mère lorsqu’il se brûle. C’est l’expérience de la douleur, et le plaisir d’un câlin tiède et réconfortant. Le fou dit à celui qui s’est brûlé qu’il ne le croit pas. Il l’accuse de mentir. Il refuse de partager sa réalité.
3 juin
Je continue de lire Les Géorgiques de Claude Simon. Livre de chevet comme j’en ai quelques autres. Quelques pages, par ci par là. Quel talent de narration. Hier soir, V était avant la page 100 cette colonne de soldats et chevaux descendus du train. Une leçon de rythme. Et ce passage en particulier car il y a la perte de contact des personnages, et du lecteur, avec la réalité. C’est magnifique. Et cette maîtrise des parenthèses…
4 juin
Lire Claude Simon nuit gravement à la relecture du texte en cours d’écriture qui me paraît plat, trivial, arythmique… À moins que finalement ça me donne un coup de fouet salvateur, ça pourrait me pousser à tout jeter. Respirer. Lire autre chose.
5 juin
Hier soir, première lecture publique de Sourdre, de Zoé Besmond de Senneville. À partir de son expérience déjà devenue livre (Journal de mes oreilles, Flammarion, Sourdre, Maelström). Retrouver la force et la fragilité de Zoé, que j’avais observée en atelier d’écriture, est une vraie émotion. Elle y met son énergie et un talent indéniable. La mise en son propulse le public au cœur de la perte de l’audition. Et c’est le rapport aux autres, aux mots, aux récits, qui se joue. Lui souhaiter sincèrement du succès : l’enterrement de ses oreilles est la révélation d’une artiste.
6 juin
Hier, je forme un groupe à la communication de crise sur Internet. Des grands comptes, des enjeux importants. On fait comment pour protéger la réputation de la marque, de l’entreprise, du PDG (on dit CEO). J’ai tout appris sur le tas, les mains dans la terre, sous le souffle des explosions. J’y mets ce qu’il faut de théorie (on la trouve partout la théorie). Hier, de quoi nourrir des romans. Et, en y repensant, une idée qui vient enrichir celui en cours. Parfois, ce n’est que quelques lignes. Mais ces quelques lignes naissent des rencontres, indirectement. Rien d’extraordinaire ? Peut-être. La vie et l’écriture.