1er avril
Le livre est parti par courrier vers ses premières lectrices et ses premiers lecteurs, journalistes, libraires, professionnels qui ont le droit de lire les livres avant leur sortie. Ce sont eux, aussi, qui font, ou ne font pas, les premiers retours, qui envoient les premiers petits mots, qui invitent, ou non, à venir parler, à défendre l’ouvrage. Les premiers relais qui s’appuient sur le livre, le texte, et qui tentent avec un peu de chance de comprendre où on veut en venir avec tout cela. C’est un début. Pour moi, c’est important. C’est la levée, ou non, des premiers doutes. Un peu de fébrilité ? Sans doute que ça va monter dans les jours qui viennent.
2 avril
L’agenda se remplit doucement de quelques rencontres, des premières interviews… On est à plus d’un mois de la sortie du livre, et déjà un enregistrement vidéo pour une librairie, une interview radio… Une invitation à un salon du livre que je ne pourrai hélas pas honorer. Petites choses qui se combinent ici et là. Allez, le meilleur est à venir. Parler du livre, et le faire découvrir.
3 avril
Il y aura encore des matins la cage thoracique prise dans un étau, des matins où les questions reviendront, sans réponses, à jamais sans réponses. Des matins brisés en deux, souffle court, débordant de la difficulté à bouger. Ces matins seront légions. Je n’espère plus. Alors il faut traîner le corps mort des désillusions. Si je l’oublie parfois quelques heures, rarement quelques jours, la chaîne se tend à nouveau et m’arrache cœur et poumons. Le corps mort fait partie de moi, et il pèse parfois de tout son poids. C’est ce que je suis devenu. Compagnon du poids des ombres.
4 avril
Hier soir, lancement du dernier livre de Sigolène Vinson à la librairie Delamain : Le Butor étoilé (Le Tripode). Le souvenir de cette soirée se superpose aux expériences antérieures tout près de là : tournage de la vidéo de candidature de Rouen 2028, passage du premier oral. Des moments auxquels je me confronte avant la rencontre en librairie. Toujours la question de ce qu’on vit dans les lieux et de ce qu’ils ramènent à nous lorsqu’on les traverse. Central dans l’écriture du moment.
5 avril
Anatomie d’un suicide : vu la pièce d’Alice Birch, hier soir au Théâtre de l’Amandier (traversée à pied du très beau parc de Nanterre en fin d’après-midi de printemps, superbe). Tu peux voir ça ? me demande un proche. Oui, je peux. C’est de dépression qu’il s’agit. Trois femmes, trois générations, trois époques. Rien à voir avec l’humiliation au travail. C’est une autre forme de dépression, profonde et sourde, structurelle. La pièce est sans doute poignante, peut-être difficile à comprendre, mais d’un réalisme qui me semble réussi. J’en comprends en tout cas les ressorts. Ce qui me plait : les trois histoires tressées ensemble, en parallèle, sur scène. En particulier quand les femmes occupent simultanément la maison de famille, mais à des époques différentes, comme si les unes étaient effectivement les fantômes des autres, avec ces quelques échos, ça et là, dans les dialogues. La superposition des histoires en un même lieu… C’est en plein dans mes préoccupations du moment. La dépression aussi. Le suicide ? La crise est loin derrière. Les dernières images de la pièce : comment l’on rompt ce qui ressemble longtemps à une malédiction.
6 avril
Devant moi, trois semaines assez calmes. Je voudrais l’énergie d’écrire. Chaque paragraphe va me demander d’aller puiser assez loin dans les émotions traversées au plus fort de la dépression. Chaque phrase est une petite victoire, et ça ne garantit même pas la tenue de l’ensemble. Pourtant, il faut écrire tout ça. Nécessité de transformer ce qui a été traversé en autre chose, de dense et de partageable. Pas que j’en aurai fini après : il restera encore de la matière. Mais c’est le chemin, le seul envisageable.
7 avril
Promenade à la ménagerie du Jardin des plantes de Paris. Le lieu est magnifique, la météo agréable, les arbres en fleurs. Et l’orang-outan mélancolique.
8 avril
J’ai aimé La Réparation de Régis Wargnier, vu hier soir en avant-première. Pour une histoire de disparition et de fantômes, pour une histoire d’amour, pour la forêt et la grande cuisine. Du beau cinéma. Et ces mots qu’il a dit sur le mystère des 10 000 disparitions par an, en France, ces gens qui s’évaporent, s’effacent des radars, et dont l’on n’a plus de trace. Des gens qui prennent l’autoroute et ne reviennent pas. Un mystère romanesque, évidemment. Le point de contact entre ce film et mon livre à venir.
9 avril
Quand arrivent les idées ? Autour du sommeil, le plus souvent. En m’emdormant, au risque d’oublier ce que je ne noterais pas, mais certains survivent à la nuit : c’est un filtre. D’autres au matin, lorsque je me réveille avant l’heure, et que je pense encore à moitié dans le rêve, sans aucune résistance. C’est arrivé, encore, ce matin : une scène de plus pour le roman, qui raccroche certains éléments entre eux, et donne une assise à des relations entre les personnages. Car il y aura des personnages, et des rapports de force. Il faut que ça fasse système et qu’une mécanique se mette en place, avec les bonnes références pour l’homogénéité de l’ensemble. J’écris, quoi, et ce qui doit paraître fluide se construit en écrivant, et en laissant venir les idées. Je reste abstrait dans ce que j’écris ici, mais c’est très concret : tel passage fait écho à tel passage et à telle référence. Et hop, on a une histoire qui semble cohérente.
10 avril
Mais qu’il est dur à écrire le prochain livre. Comme en apnée à la fin de certains paragraphes. Aller puiser dans les émotions les plus fortes, c’est revivre ce qui a été le plus douloureux. Une bonne idée ? Ce n’est pas la question. J’écris sans avoir le choix, parce que ces émotions imposent l’écriture, la page, l’impression. Alors j’écris lentement. Et, pour la première fois, en revenant régulièrement en arrière pour régler des détails, ajouter de la cohérence, modifier les échos d’un chapitre à l’autre. J’ai choisi une nouvelle complexité, à laquelle je ne m’étais pas confronté jusque-là : raconter plusieurs histoires simultanément. Ou une histoire en plusieurs strates, pour être plus précis (pas forcément plus clair). La technique se met au service de l’émotion, complètement. En espérant que « ça marche », et que l’émotion passe jusqu’à la lecture, et que ça vaille ce que j’ambitionne que ça vaille. Mais je dois parfois interrompre la lecture, pris à la gorge, et parfois, c’est m’y mettre qui est difficile, quand je sais que le passage à travailler ira fouiller loin dans les tripes.
11 avril
Difficulté à affronter certains lieux, certaines journées, certains aspects des choses toujours présentes. Faire avec. Cela ne me quittera pas de si tôt.
12 avril
Écrire, le plus souvent, sans savoir si cela sera publié, ni lu un jour. Mais, certaines fois, et ça aura été le cas hier, comme sur un ring, face à soi un monstre qui cogne direct sur uppercut, jusqu’à brouiller la vue, couper le souffle. Le texte en sera-t-il meilleur ? On n’en juge pas sur le moment. La certitude, c’est qu’il a pour l’instant le goût des larmes et du sang.
13 avril
Relire. Se dire que ça tient. En avoir le cœur noué. Garder la puissance dévastatrice des émotions pour la concentrer en quelques pages qui tiennent leurs promesses. Tenter d’en faire de la littérature. Transcender l’émotion, donc. Tu parles d’une ambition. Rien de thérapeutique : vivre en boucle le pire pour en extraire l’essence. Littéralement l’enfer.
14 avril
Passage hier au Festival du livre de Paris sous la verrière du Grand Palais. L’occasion de saluer quelques têtes connues ou moins connues, l’occasion de quelques retrouvailles (30 ans ou 20 ans sans croiser quelqu’un, ça compte). Des livres, plein. Quelques achats (rester raisonnable). La queue pour quelques têtes d’affiches. Des écrivains esseulés. Du monde, partout, tout de même : il reste des lectrices et des lecteurs. Et certains qui sortent du salon des sacs pleins de trésors.
15 avril
Hier soir, au Théâtre Antoine, extraordinaire soirée avec d’abord Calek, mis en scène et joué par Charles Berling. C’est le journal-témoignage de Calek Perechodnik, policier juif du ghetto de Varsovie, qui est lu par l’acteur. Un texte poignant, connu sous le titre Suis-je un meurtrier, où l’on voit l’homme ne rien comprendre, jusqu’à ce que sa femme et sa fille se retrouve condamnées, comme les autres juifs du ghetto à monter dans un wagon pour Treblinka. Le texte est dur, l’interprétation parfaite. Comme on était dans le cadre du festival Paroles citoyennes, suit une rencontre avec le public. Elle n’était pas annoncée, mais c’es Ginette Kolinka qui apparaît sur scène, dans son fauteuil roulant. La centenaire, interviewée par Thomas Sotto revient sur son arrestation, et sur les conditions de survie à Auschwitz-Birkenau. On la sent bien par moment fatiguée, mais cette énergie mise à témoigner, une fois de plus, est plus que touchante, bouleversante. Et qu’importe si elle ne répond pas aux questions d’actualité que le public comme Thomas Sotto ont essayé de lui poser : ce qui compte, encore et encore, c’est son témoignage.
16 avril
Hier soir, au Théâtre libre, seconde soirée dans le cadre du festival Paroles citoyennes. Ce soir, la pièce s’appelle Les Consolantes. Texte et mise en scène de Pauline Susini. Il est questions des victimes des attentats de novembre 2015. La question de ce qui se passe après, pour elles. Une suite de scènes qui tente d’explorer toutes les facettes de la douleur, le chemin vers le moins terrible, la perte. Il est question de mort, de blessures, de solitude, de froideur administrative. A tout vouloir embrasser, la pièce est comme un best of de ce qu’on a déjà pu lire, entendre ou voir ailleurs. C’est prenant, et, à ce qu’ont dit deux victimes ensuite venues sur scène parler avec l’autrice de la pièce, c’est juste et poignant. Ce que je retiens : la solitude de la victime. Quel que soit ce qui l’entoure, quel que soit l’accompagnement, quel que soit les dégâts visibles ou invisible, être seul face à une douleur incomparable à celle des autres, et toujours en deça de ce qu’on imagine pire. Je n’ai pas à me plaindre : j’aurais pu ne plus être là. Et, pourtant, tout dans le corps, le coeur et l’âme qui hurle de douleur.
17 avril
J’ai survécu au monde du travail. Ce n’est ni le Bataclan, ni la Shoah. Il y a une indécence, évidente, à utiliser le même mot : victime. Je connais bien ce sentiment ; c’est celui des Miraculées dont j’ai raconté l’histoire dans le livre du même nom. Du côté des survivants, le sentiment qu’on n’a rien à dire, et surtout pas se plaindre, puisqu’on n’a pas autant souffert que d’autres, et que l’on n’est pas mort au passage, fut-ce de justesse. Alors quoi ? On vient sur scène avec son corps en vrac, si l’on a été blessé, avec son coeur en lambeaux, et ses angoisses à jamais indicibles, si c’est ça qu’il reste (c’est ça qu’il reste quand le corps se remet). J’ai survécu, et si j’ai moins souffert, et moins longtemps, je n’ai que la solitude de ma douleur à mettre en face des autres douleurs. Ma mémoire et leur mémoire, et savoir ce que veut dire le mot reconstruction (et comme ce n’est pas le bon mot). Il faut avoir été victime pour savoir. Et cette fraternité existe. L’humiliation, la folie, la violence, l’acharnement, la bêtise, le conformisme. Tout ce qui fabrique les bourreaux. J’ai vu ces derniers jours des victimes témoigner, porter leur poids de douleur pour toujours, dans leur chair et leur âme. Je comprends. Je sais. Je n’imagine pas l’intensité : je connais la mienne seule, et personne ne la partage avec moi.
18 avril
Le déni, la colère, l’acceptation. Travail du deuil. Jusque-là, je gérai ça plutôt bien. La mort en tout cas ne m’a jamais entrainé dans une douleur insurmontable. De la tristesse, oui. Mais j’ai toujours accepté ça, comme quelque chose à quoi l’on ne peut rien. Mais faire le deuil des vivants, c’est une toute autre histoire. Cette fois, au moins. L’acceptation, ce sera difficile. Il reste tellement de colère. Et sans doute une part de déni : je n’y crois toujours pas. Surtout, je ne l’explique pas.
19 avril
Premier retour de lecture à propos d’Autoroute. À moins de trois semaines de la sortie. Il ne faut pas minimiser l’importance du premier retour, qui place le curseur à partir duquel on calculera malgré soi la moyenne des retours, la réception de l’œuvre. Là, ça part bien. « j’ai lu un à paraître aussi génial que… génial. Et tout simple à lire, parce que mu d’une simple, douce et tendre logique, réelle, surtout. Autant de clarté et d’intelligence déroulées sur le sujet possiblement illusoire qu’est l’amour est, du coup, nécessaire. Quelle absolument nuançante, avançante donc aidante, énumération d’infinitifs et d' »Et si » avant la fin(alité) du trajet. » Ouf.
20 avril
L’écriture va puiser dans la douleur, s’effondre dans le doute. Pour quelques épiphanies de courte durée, le chemin est difficile et solitaire. Mais on n’a pas le choix. Celles et ceux qui écrivent partagent ça. La solitude. Les heures en tête à tête avec soi-même. C’est là que l’on se retrouve, dans cette aridité forcée où l’on écrit. Est-ce qu’on imagine seulement ce que c’est lorsqu’on n’arpente pas ces chemins là ?
21 avril
Longtemps avoir joué le jeu.
22 avril
Les personnages de roman. J’ai tellement de mal à m’y intéresser. Dans ce sens où le roman ce serait raconter ce qui arrive à des personnages : on les pose dans un état de départ, on imagine des interactions entre les personnages, avec des objets, et on pose un état d’arrivée. En respectant, parce que c’est la convention, une forme de cohérence du système, qui répondrait à des lois. Même si ces lois ne dépendent que de moi écrivant, elles sont celles du système représenté. Pas celles du système représentant. Or, le roman n’est-il pas un système représentant dont les lois sont d’abord les siennes propres ? Questionnement banal. Cette tension est toujours forte.
23 avril
Punk’s not dead.
24 avril
Grosse journée d’écriture hier, quand enfin les éléments d’un chapitre s’alignent. La crainte que ça ne résiste pas à la relecture n’a pas d’importance : dans les moments où l’on est le moins sûr de soi, il faut juste avancer, il y aura des retouches, du colmatage, des repentirs. Ce n’est pas grave. Quelque chose se passe qui est de l’écriture.
25 avril
Les nouvelles d’hier sont bonnes concernant le livre à paraître, quelques autres projets. Avoir appris aussi une affaire de harcèlement qui fait écho à des choses traversées personnellement, avec au moins une actrice en commun. C’était une journée dense. Pas de celles qui permettent d’écrire plus de quelques lignes.
26 avril
Je relis et retouche le chapitre sur mon téléphone, couché, juste avant de m’endormir. C’est rapide, comme un peintre qui, passant devant la toile en cours, s’arrêterait le temps de trois coups de pinceaux. Pour cela que le fantôme du personnage féminin me rend visite en rêve ? D’un sourire sans équivoque, elle me réveille. Je suis aussi heureux de l’avoir vue que si j’avais croisé un vieil ami.
27 avril
Hier rencontre avec le Club des lecteurs (mais que des lectrices) de Val-de-Reuil. Une heure trente de discussion autour de mes livres, de la littérature, de l’écriture. Très bon moment. L’animatrice retient de Parfois l’homme les moments les plus sérieux : je dois rappeler que c’est un livre, aussi, où l’on rit. Le rapport au texte est différent pour chaque personne. C’est toujours un étonnement.
28 avril
La bêtise et la couardise nourrissent ma colère. Depuis cette cuisine et les coups de torchon. J’avais quoi ? 9 ou 10 ans. Je croyais déjà en l’intelligence et au courage. Prêt à me laisser convaincre (pas à recevoir des ordres sans fondement par des personnes qui n’écoutent rien), prêt à résister par conviction (un autre nom de la bêtise, parfois). Il y a eu, avant et après ça d’autres scènes, sans coups, ils ne furent pas si nombreux (un seul, c’est trop). Mais céder à la violence et à la bêtise, j’ai du mal, toujours. Hélas, les deux connaissent un regain qui ne m’autorise pas l’optimisme. Je les ai croisées dans le monde professionnel, elles tentent aujourd’hui de gouverner le monde. Bêtise, couardise, violence. C’est la bêtise qui gouverne. Née de l’incapacité à entendre, à écouter, à discuter, à convaincre. Il faudrait définir les concepts ? Je ne suis pas philosophe, je resterais trop en surface des choses à mon goût. Tout au plus pourrais-je me servir de la littérature pour les illustrer. Y canaliser la colère, en faire une émotion positive qui, enfin, produit quelque chose.
29 avril
Début des articles et des petits mots des libraires à propos d’Autoroute. Espérer que ça s’accélère dans les prochaines semaines. Et que ça reste aussi bon. Pour l’ego ? Sans doute. Et pour que le livre vive, surtout. C’est aussi pour ça qu’on écrit. Et pas seulement parce qu’on n’a pas le choix.
30 avril
Au réveil, l’âme lacérée…