18 – Télétravail

L’homme parfois travaille. Il a des choses à faire qu’on lui a apprises, qu’on lui a demandées et qu’il réalise. Il espère qu’un autre qui aura appris autrement ne défera pas. Et qu’encore un autre ne changera pas d’avis. L’homme a des sujets à traiter. Des dossiers. Des chantiers sur le feu. Il travaille chez lui. C’est devenu le centre du monde. Des réunions parfois s’organisent et il y participe. L’homme doit avoir un avis. Il est parfois d’accord, d’autres fois non, et des décisions sont prises qu’il doit accepter quoi qu’il ait dit. L’homme acquiesce toujours à la fin. On lui donne alors des choses à faire autrement qu’il a appris, et il ne sait plus trop s’il va y arriver, mais le monde évolue, quoi, alors il faut évoluer avec lui sinon, rien ne bouge. Justement. Rien ne bouge, c’est ce qu’on leur a demandé à tous : ne pas bouger. L’homme stagne, les méthodes changent. Il sait qu’il ne sera bientôt plus à la hauteur des process, que les réunions n’y pourront plus rien, que, coincé dans son salon, il sera à la remorque du reste de l’équipe. Il s’échine, se peigne et se parfume pour les visioconférences. Il repasse même une chemise aux tons neutres, en amidonne le col. L’homme sourit et demande des nouvelles de collègues dont, après des semaines de confinement, il a oublié les prénoms. D’une fois sur l’autre, certains disparaissent, emportés par la maladie qui a le bon goût de s’attaquer aux plus vieux, aux moins productifs. C’est alors une minute de silence avant que reprenne l’ordre du jour. L’homme a rassemblé tous les livres du salon dans la petite bibliothèque derrière lui. Mais des taches lumineuses dansent devant ses yeux après une journée à faire saigner ses doigts sur les touches du clavier. Chaque soir, l’homme nettoie les lettres une a une au bicarbonate de soude. Il sait pourtant ses efforts vains. Son manager lui fera comprendre bientôt qu’il ne sert plus à grand chose, qu’on pourrait tout aussi bien se passer de lui. Puisqu’il ne bouge pas, il peut attendre là que les choses reviennent à la normale. Les autres vont prendre les choses en main. Qu’il ne s’inquiète pas, on ne l’oubliera pas. On demandera même de ses nouvelles. A force de ne pas s’adapter, il sera un jour en phase avec le monde : il suffit d’attendre que tout redevienne comme avant. Il n’y aura plus que lui qui aura raison. On reviendra alors le chercher. D’ici là…

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