L’homme est conçu pour se rendre d’un point à un autre. Sédentaire, il s’étiole. Ses deux grandes jambes traînent autour de lui comme des appendices inutiles, les tentacules amorphes d’une méduse échouée. Ses pieds se couvrent de verrues, puis de lichen et de mousse, ils pourrissent sur le tapis. Le souvenir des grandes plaines le mine et la nostalgie creuse des galeries de fourmilière dans son cerveau spongiforme. Le grand air lui manque : son œil devient vitreux, son cœur se noue, il se roule en boule et cesse petit à petit de manifester la moindre émotion. L’homme n’a pas été imaginé pour le confinement. De tout temps on l’a vu sortir. Dès la salle de travail, en hurlant, du ventre d’une pauvre femme qu’il appellera maman en s’éloignant toujours un peu plus. En poussette, sur un tricycle, une mobylette, un dragster, dans des chaussures de randonnées ou des tongs. L’homme est appelé par l’ailleurs. S’il le faut vraiment, il volera les clefs de la Fiat Panda familiale pour un rodéo nocturne sur le parking du supermarché. Coincé dans son salon il n’a d’yeux que pour les fenêtres. Il se jette contre les murs, pousse les portes, dévale le moindre escalier. L’homme va de l’avant. Il n’a généralement aucune idée de ce qu’il cherche, et cela importe peu : un kilo de farine, encore un kilo de farine, une baguette de pain ou l’aventure. Quoi qu’il arrive, c’est au bout du chemin. Contraint à l’immobilité, l’homme finit par entrouvrir la bouche, baver un peu et regarder des jeux télévisés. C’est à peine s’il se nourrit. Il finit par se taire.