Je suis le type accoudé au bar qui commande un nième petit blanc avant que soit tiré le rideau sur la journée commencée tôt à boire. Je suis le mec qui tient l’alcool d’un zinc à l’autre et claque tout le fric en espérant que n’arrive pas plus tard que la veille le brouillard où s’oublient les raisons de boire. Je suis l’éméché de service qui rentre seul et titubant, qui s’arrête la main posé sur un mur, qui hésite à s’asseoir dormir sous un porche à quelques rues de chez lui. Pas ce soir, pas encore. Je suis celui qui s’imagine encore une dignité. Je suis le gars qu’on croise trop tard pour l’aider, celui qui ne s’en sortira pas. Je suis le compagnon de ceux qui n’en ont plus, celui qui appuie son épaule à l’épaule d’un pas plus solide et ça suffit pour la fraternité. Je suis celui qui réponds ça ira, ne vous inquiétez pas, mais jamais que ça va. Je suis le garçon qu’on a croisé avant, qui avait tout, si, si : juré, craché, et qui a tout laissé filer. Entre ses doigts. L’accidenté de la vie qui a lâché la glissière de sécurité. On n’a rien pu faire, tout est allé si vite. On ne peut pas sauver tout le monde. Je suis celui qui a abandonné la partie. L’homme qui a refusé les règles du jeu. Le dégât collatéral. La vie n’est pas faite pour tout le monde. Je suis le crawleur qui s’est laissé noyer, emporter, couler. J’ai cessé de trouver ma respiration naturelle ; j’ai accepté la pesanteur. Je ne suis pas celui qu’on a envie de croiser Je commande un petit blanc. Un de plus, qu’est-ce que ça change ? Je bois peut-être un peu trop. Peut-être. Je connais pire. J’ai de la marge. Je suis ce type qui vous demandera de lui payer un verre. Que reste-t-il d’autre à demander ?
