Tiens, v’là le p’tit René qui part aux myrtilles. Je les entendais dans le village, quand je montais vers la forêt. C’était il y a quoi, soixante-quinze ans. Le p’tit rené, c’était moi. Et des myrtilles, il y en avait de quoi remplir les bassines de confitures. Je revenais les lèvres violettes et les doigts légèrement sucrés, et le panier plein, et maman en faisait des tartes. Les myrtilles du p’tit René, après, toute ma vie d’adulte jusqu’au chômage. Je l’ai gardé mon nom. Plus personne ne se souvient, mais on en vendait aux touristes de plus en plus nombreux. En saucisson, en gâteau, en bonbons, en yaourts. Et puis on a vu arriver les camions, remplis à ras bord de produits moins chers, de myrtilles cultivées au Canada, de myrtilles séchées, congelées, en purée. C’est le progrès qu’on a dit. Comme ça que le p’tit René a disparu. Dans la purée de myrtille industrielle. Le progrès.