J’ai déjà publié sur Linkedin deux articles sur la dépression. Je ne regrette pas car suite à ces publications, je sais que j’ai pu aider au moins une personne à en parler, ce qui est un premier pas indispensable. J’ai reçu aussi de nombreux messages de remerciement. Sans compter tous ce que je ne sais pas. Les deux articles :
Avant d’aller plus loin, si vous êtes concerné, cliquez ici.
Il se trouve que, ces deux derniers jours, j’ai échangé avec plusieurs personnes à propos d’un sujet connexe et que ces échanges valent sans doute d’être partagés. Ces échanges concernent tous la notion de harcèlement moral. J’en garde trois phrases marquantes en mémoire.
Je ne suis pas juriste, ni médecin du travail. Mon propos n’est donc pas un propos de référence. Il a pour objectif d’éclairer la réalité, et d’alimenter ma (votre ?) réflexion.
1. »Pour un oui pour un non, on m’accuse de harceler ». La personne qui me parle est manager et se plaint de l’usage de plus en plus courant de la notion de harcèlement dans ses relations avec ses subordonnés. S’il refuse une demande, ou au contraire s’il exige quelque chose, ce sera dit, plus ou moins sur le ton de la boutade : « tu me harcèles ». Peut-être que tous les managers ont connu ça. La plupart du temps, c’est pris sur le ton de la blague, et ça ne va pas plus loin. Mais est-ce la bonne attitude ? Le harcèlement moral est un sujet sérieux. Ce « tu me harcèles » peut vraiment dire ce qu’il veut dire, mais profite d’une brèche dans les échanges pour se frayer une petite place ni vu ni connu, sur un ton badin. Comment savoir ? L’obligation de l’employeur, lorsque des faits de harcèlement sont portés à sa connaissance, est de lancer une enquête, d’assurer la sécurité de ses salariés, et jamais la personne qui dénonce un harcèlement ne peut être sanctionné à cause de cela (sinon, personne ne dénoncerait jamais rien).
Dans la réalité, celui qui dénonce des faits de harcèlement se retrouve parfois dans une situation intenable, et les pressions qu’on lui fait subir sont fortes, ce qui peut conduire à amplifier une dépression (pas dans un monde idéal). Mais imaginez qu’une personne ayant dénoncé un harcèlement soit poussée dehors, que ce harcèlement soit avéré ou non, qui d’autre ensuite irait dénoncer de tels faits avec un risque pareil ? Heureusement que les gens qui ont des valeurs font tout pour éviter que de pareilles injustices se produisent.
Ceci pour dire : n’utilisons pas le « tu me harcèles » à tout bout de champ. C’est un sujet sérieux, avec des gens qui souffrent.
2. »Je ne suis pas vraiment certaine que la cause de ta dépression soit l’ambiance de ton milieu professionnel. » Si votre psy vous tient votre discours, ou votre médecin généraliste, ou votre avocat, vraiment, reconsidérez les choses avec sérieux. De la part de toute autre personne, ce propos est nul et non avenu. Surtout, ne dites jamais une chose pareille à un subordonné ou à un collègue. Ce n’est pas votre rôle. Vos collègues, vos supérieurs hiérarchiques, vos relations de travail ont un regard biaisé sur les choses, des intérêts conscients ou inconcients, des préjugés sur le rapport au travail. Bien sûr, en cas de dépression, on va étudier toutes les dimensions du problème. Mais seul un professionnel peut poser un diagnostic et vous donner les clefs pour y voir plus clair. Les personnes non qualifiées peuvent avoir des opinions. Cela les regarde, pas vous. Et ce qui importe, ce sont les faits. Pour cela qu’une enquête sur un cas potentiel de harcèlement moral doit s’appuyer sur des faits. Vos collègues peuvent trouver très sympathique la personne qui vous harcèle. D’ailleurs, vous pouvez la trouver très sympathique également. Le harcèlement n’est pas forcément lié à une volonté de nuire, il peut venir d’un management défectueux (charge de travail trop importante, mise à l’écart, retrait de mission…). Le harcèlement moral ne passe pas toujours par l’insulte, la brimade, la violence verbale et la volonté de nuire. Quoi qu’il en soit, son analyse repose sur des faits. Pas des opinions.
3. »Tu vois bien que tu as une responsabilité dans ce qu’il s’est passé ». Non. Trois fois non. Définitivement non. La victime de harcèlement moral ne doit pas être renvoyée à sa responsabilité. Pas plus que la femme harcelée sexuellement n’est renvoyée à la longueur de sa jupe ou à la profondeur de son décolleté. Vous pouvez me reprendre en commentaire sur cette comparaison, mais elle me semble juste. Le harceleur n’est pas dédouané par l’attitude de sa victime, par sa façon de se comporter. Renvoyer la faute à la victime est un classique qui permet à celui ou celle qui procède ainsi de se protéger. Je vais citer Wikipedia, par commodité : « Le déni de la victime (le report de la faute sur la victime) est l’une des méthodes de la neutralisation de la culpabilité identifiée par la psychologie comportementale et la sociopsychologie de la délinquance » (voir ici). Si vous pensez qu’une femme violée aurait dû s’habiller autrement, le problème, c’est vous, pas la longueur de la jupe.
Pour conclure, retenons que le harcèlement moral se manifeste par des agissements répétés pouvant entraîner, pour la personne qui les subit, une dégradation de ses conditions de travail pouvant aboutir à
- une atteinte à ses droits et à sa dignité,
- ou une altération de sa santé physique ou mentale,
- ou une menace pour son évolution professionnelle.
Pour être constitutif de harcèlement moral, les agissements doivent être répétés (je le répète, mais pas de « tu me harcèles, là » pour une demande ponctuelle, ça ne rend service à personne). En revanche, il n’est pas nécessaire que les agissements incriminés interviennent à des intervalles rapprochés. Les faits peuvent donc être espacés dans le temps et de natures diverses.
Parmi les éléments constitutifs du harcèlement moral, la jurisprudence retient notamment (liste largement non exhaustive) :
- Le dépassement des durées maximales de travail ou le non-respect des durées minimales de repos ;
- Une charge de travail trop importante (fréquent en cas de harcèlement managérial);
- Le retrait d’une mission, notamment de la mission principale du salarié
- La mise à l’écart,
- Le dénigrement.
Le harcèlement moral est une violation grave des droits humains, qui peut avoir des conséquences néfastes pour la santé mentale et physique de la victime. En encourageant la dénonciation du harcèlement moral et en fournissant un soutien approprié aux victimes, nous pouvons tous contribuer à créer des environnements de travail et de vie plus sûrs et plus respectueux pour tous.