2 mai
Dans les lectures, dont je parle moins que je devrais ici : Anne-James Chaton et ses Fables (POL). Dispositif proche des listes de Clémentine Mélois, ou de mon Catalogue 2022. Lui s’appuie sur des tickets de caisse et tire de ce matériau de courtes histoires. Il se limite à 145 textes. L’effet d’accumulation joue. Certains des tickets viennent du bout du monde. Je me méfie des interprétations : j’en ai entendues sur mon Catalogue 2022 qui étaient éloignées de mes intentions de départ. Se produit néanmoins quelque chose. Jusqu’au dernier document, qui définit l’auteur. Comme s’il était le résultat de la somme de tout ce qui précède.
3 mai
J’ai marché sur le bord de mer jusqu’à la vendeuse de gaufres.
4 mai
Comme souvent le rêve ressasse les blessures. On n’est pas guéri. J’imagine que l’amputé rêve longtemps son ancien corps, et l’accident, et le réveil un membre en moins. Ce n’est pas un cauchemar, simplement les douleurs connues qui reviennent. On fait avec. On met moins longtemps peut-être à reprendre son souffle. Une heure ou deux encore. Heureusement, tout le monde dort.
5 mai
Très belles premières pages d’Un peu de soleil dans l’eau froide, de Françoise Sagan. En 1969, la description de la dépression d’un homme de 35 ans. La maladie est à la mode, alors ? J’avais un an, peu de souvenirs, donc. Sagan pointe les symptômes, les réactions. C’est juste et touchant. Et puis il y a ce titre, un vers d’Eluard. Trouvé en édition de poche dans une boîte à livre. Le héros est sauvé par une femme qui fait ses choix, et les impose presque. L’amour est rédempteur, puis tragique. Il faut bien un sacrifice, une victime.
6 mai
Le trac est là. Autoroute sort demain. Il ne se passera rien, demain, ou pas grand chose : les libraires vont ouvrir leurs cartons, ranger les livres, parfois poser le mien sur une table, d’autres fois non. Et puis voilà. Quelques proches vont se précipiter. Peut-être y aura-t-il des débuts de lecture. Mais pour moi, il ne devrait pas se passer grand chose. Première interview calée vendredi, qui ne sortira pas tout de suite. Quelques autres rendez-vous déjà programmés dans les semaines qui viennent, quelques articles. Et après on verra, on verra bien. Peut-être rien. Il n’y a pas grand chose à faire. Etre disponible. Je suis disponible. Et attendre que batte le coeur des lectrices. Attendre. Avec un peu de trac.
7 mai
Jour de sortie. Parmi tous les livres du jour. Se frayer un chemin jusqu’aux tables des libraires. Espérer le petit mot coup de cœur, la vitrine parfois. Les premières pages tournées. Les achats impulsifs. Tout ce qu’on ne maîtrise pas. Peut-être les petits mots que je recevrai au fil des jours. Ce livre écrit pour être lu, prenant vie et sens par la multiplicité de ses lectures. Et toujours le suivant qui bloque un peu. Continuer à écrire.
9 mai
Magnifiques Marie-Christine Barrault et Hinda Abdelaoui dans « Gisèle Halimi, une farouche liberté » de Gisèle Halimi et Annick Cojean au théâtre La Scala à Paris. Tous les combats de l’avocate pour la justice, la cause des femmes. Sa capacité d’indignation, sa force quand il s’agit de se lever, de se tenir droite et de dire non. A 10 ans quand elle ne veut pas servir ses frères, face à la torture, pour les droits des femmes. Élue députée elle déchantera mais elle ne cessera de se battre dans sa robe d’avocate. Le découpage du texte, la répartition de la parole entre les actrices, la force de ce qui est dit. C’est si proche, si fragile encore…
11 mai
Doucement, le livre suivant avance. J’y veux une densité d’émotion. Est-ce que ce sera trop ? Est-ce que ça peut être trop ? À partir de quand cela devient-il trop dur à lire ? Et à écrire ? Il y a des passages écrits en apnée, et, à l’opposé, des question très techniques de composition. Peut-être plus technique que pour les livres précédents, dans lesquels je n’avais qu’à me laisser porter par la chronologie. Là, c’est autre chose : constants mouvements de flash-back, entremêlement des flux narratifs. Et tout cela doit rester accessible : que la technique n’empêche pas d’entraîner le lecteur du début jusqu’à la fin.
12 mai
« On retrouve le style de l’auteur, dont la simplicité n’est qu’apparente », lit-on dans la presse à propos d’Autoroute. J’aime cette idée. Ce qui se joue de complexe ne doit pas se faire aux dépends du lecteur. Ce n’est pas à celle qui lit de faire l’effort. Et ce choix ne doit pas se faire au détriment de la complexité de ce qui est dit. Ne pas montrer ses muscles quand on écrit : c’est soulever de la fonte comme on ferait des bulles de savon.
13 mai
Écouter Christine Angot, comme d’autres, raconter ses débuts, ses difficultés, la force qu’il faut pour y croire, la solitude de l’écrivain. Tout cela. Tout cela qui est le parcours normal. Le parcours exigeant. Et qui est la seule réponse à la nécessité. On y va. Et advienne que pourra.
14 mai
Relire Autoroute pour choisir quels passages lire, ce soir, lors de la soirée de lancement. C’est comme redécouvrir le texte. Il faut choisir. Chapitre 1, forcément. Et après ? Pas plus de deux, et j’hésite, entre ce qui serait le plus représentatif, une scène de conduite évidemment, et un moment plus onirique, mais qui risque de ne pas convenir, sorti du contexte. Rester terre à terre ou ouvrir grand les fenêtres. Je crois que je connais la réponse. Laissons les fenêtres à découvrir à la lecture.
16 mai
Hier soir, au bar bien nommé Kilomètre Zéro, soirée de lancement d’Autoroute. Prise de parole devant quelques proches, quelques pros, l’équipe du Tripode et quelques auteurs de la maison. Bar bruyant, mais rencontres agréables. Mettre le texte en avant autant que possible, s’en expliquer un peu, recevoir des louanges. Moments toujours éloignés de la solitude de l’écriture mais dont je profite autant que possible. Et voir le livre repartir sous les bras, et bientôt être lu, encore, et encore. On sait comme c’est difficile d’arriver jusqu’aux yeux de celles et ceux qui lisent, et c’est chaque fois que l’occasion se présente qu’il faut convaincre. Hier soir, c’était un plaisir.
18 mai
Fuir toujours ou retourner sur ces pas ? Retour hier où je n’ai pas mis les pieds depuis le 14 juin 2023. Presque deux ans. Une soirée comme un coup de poignard. C’était important : cette confrontation aux lieux de souvenirs est au cœur de l’écriture en cours. Là… chaque événement est différent. Ce qui compte aussi : le trajet pour s’y rendre, en revenir, qui l’on y croise. Superposer Thomas Fersen en concert aux traumatismes. Il est accompagné par le trio SR9, trois percussionnistes incroyablement doués. Ma découverte des percussions est assez récente (je n’y savais pas la richesse qu’il y a, et cette capacité à faire musique de tout). Grand respect pour ce résultat incroyable.
19 mai
Récupérer l’intensité des émotions, rapiécer à la justesse des situations, imaginer ce qui manque. L’auteur seul sait quelles phrases sont vraies, enchâssées dans les mensonges et les changements de perspective. À la fin c’est un roman. Une fiction. Et c’est plus vrai que tous les rêves ajoutés à tous les souvenirs.
20 mai
Rendre compte de la soirée d’hier à L’Armitière, à Rouen ? Première rencontre en librairie autour d »Autoroute. Des proches, la famille, des amis, des inconnus… On a parlé du livre, déjà lu par certains. Donc questions et remarques, échanges. C’était riche, pertinent, amical, chaleureux. Il y avait du monde, et c’est aussi pour ces moments qu’il faut écrire. Nombreuses dédicaces. Et puis l’histoire de la zone 61 : le chapitre manquant, repéré par une aveugle, lectrice fidèle et attentive. Ce chapitre qu’on avait supprimé, avant d’oublier de renuméroter les suivant. Il manque dans l’édition actuelle. Que fera-t-on ? Y réfléchir. Renuméroter lors d’une réimpression ? Laisser le blanc (après tout, c’est une absence, un vide, un hommage à La Disparition, que ce soit involontaire n’y change rien, si cela devient volontaire, j’aime cette idée que le hasard se joue un peu de nous) ? Ou intégrer le chapitre 61 qu’on avait décidé de supprimer, puisqu’il résiste à sa façon. C’était la surprise de cette soirée. Et cela fait maintenant partie de la légende du livre, le chapitre absent, repéré par une aveugle.