Abonnez-vous à la lettre d'information

Chaque mois, cinq idées pour améliorer votre créativité éditoriale

Journal – juin 2025

1er juin

Imaginer un personnage, c’est passer de la littérature à la psychologie. Je peux écrire facilement le ressort principal d’un personnage qui suffise presque à l’élaboration d’un roman : « Ai-je jamais été désiré ? La question du désir, non pas les siens, qu’on cherche à satisfaire, mais celui des autres : ai-je jamais été désiré ? Et si non, comment trouver ma place ? Cela va un peu plus loin que la peur de l’abandon. Personne n’a voulu de moi, personne ne veut de moi. Je cours après les marques, subtiles parfois, qui pourraient me laisser espérer le contraire. N’importe quelle marque d’intérêt, n’importe quelle marque d’affection. Que je sur-interprète. Mais il n’y en aura jamais assez. Le désir de l’autre sera toujours remis en cause. » Le tour est joué. Plus qu’à mettre de la chair à cette armature et je tiens un personnage. Et donc, un livre. Il n’y aurait qu’à tirer le fil.

2 juin

Il y a la folie. Perte, souvent progressive, de contact avec la réalité. Évidemment, on sait que la réalité n’existe pas. Seuls existent le plaisir et la douleur, on se maintient quelque part en équilibre. Comme on peut. La raison, c’est admettre un lieu commun, le réel, et des faits qui le constituent. A minima quelques lois physiques que nous partageons : le temps qu’on ne remonte pas, la gravité qui nous plaque au sol, et les principes de la thermodynamique. Le fou saute par la fenêtre en croyant qu’il flottera. Il attrape les braises à main nue. La réalité se rappelle à lui. « Je te l’avais bien dit », se moque sa mère lorsqu’il se brûle. C’est l’expérience de la douleur, et le plaisir d’un câlin tiède et réconfortant. Le fou dit à celui qui s’est brûlé qu’il ne le croit pas. Il l’accuse de mentir. Il refuse de partager sa réalité.

3 juin

Je continue de lire Les Géorgiques de Claude Simon. Livre de chevet comme j’en ai quelques autres. Quelques pages, par ci par là. Quel talent de narration. Hier soir, V était avant la page 100 cette colonne de soldats et chevaux descendus du train. Une leçon de rythme. Et ce passage en particulier car il y a la perte de contact des personnages, et du lecteur, avec la réalité. C’est magnifique. Et cette maîtrise des parenthèses…

4 juin

Lire Claude Simon nuit gravement à la relecture du texte en cours d’écriture qui me paraît plat, trivial, arythmique… À moins que finalement ça me donne un coup de fouet salvateur, ça pourrait me pousser à tout jeter. Respirer. Lire autre chose.

5 juin

Hier soir, première lecture publique de Sourdre, de Zoé Besmond de Senneville. À partir de son expérience déjà devenue livre (Journal de mes oreilles, Flammarion, Sourdre, Maelström). Retrouver la force et la fragilité de Zoé, que j’avais observée en atelier d’écriture, est une vraie émotion. Elle y met son énergie et un talent indéniable. La mise en son propulse le public au cœur de la perte de l’audition. Et c’est le rapport aux autres, aux mots, aux récits, qui se joue. Lui souhaiter sincèrement du succès : l’enterrement de ses oreilles est la révélation d’une artiste.

6 juin

Hier, je forme un groupe à la communication de crise sur Internet. Des grands comptes, des enjeux importants. On fait comment pour protéger la réputation de la marque, de l’entreprise, du PDG (on dit CEO). J’ai tout appris sur le tas, les mains dans la terre, sous le souffle des explosions. J’y mets ce qu’il faut de théorie (on la trouve partout la théorie). Hier, de quoi nourrir des romans. Et, en y repensant, une idée qui vient enrichir celui en cours. Parfois, ce n’est que quelques lignes. Mais ces quelques lignes naissent des rencontres, indirectement. Rien d’extraordinaire ? Peut-être. La vie et l’écriture.

8 juin

Aménager un nouveau lieu d’écriture. Avec bureau, chaises, tables, canapé. Un nouvel endroit où me poser, lire et écrire. Vue dégagée, calme probable. Je n’aime pas les jours pendant lesquels il faut se coltiner la réalité. Le monde résiste. Matières, force de la gravité. Tout ce contre quoi il faut lutter pour que l’environnement se plie à la forme qu’on souhaite lui donner. C’est perdu d’avance. Avec moi, c’est le monde qui gagne. Qu’on me laisse faire et la table restera dans son carton. Comme le reste. Je n’ai aucun goût pour le bricolage, le rangement, le ménage. Seule la cuisine trouve grâce à mes yeux. Là, je veux bien m’y coller. Mais je vais vite : ce qui serait trop long à préparer ne me semble pas opportun. Je fuis l’effort. Peut-être plus qu’avant (je me souviens l’installation d’un bureau dans lequel j’avais pris le temps de peindre les poutres). Ou j’assume plus facilement. Seul le texte mériterait que je travaille.

10 juin

La surface de mon manuscrit recouvrirait un carré de 2,25 m de côté. Si je l’affichais sur un mur, pour en avoir une vision complète. C’est un texte relativement court. 81 pages A4 en l’état. Il n’est pas fini et de nouvelles pages pourraient se glisser ici et là. Il a un début et un épilogue, mais il repose comme une pâte à pain. Il doit gonfler de l’intérieur. Certains éléments n’ont pas pris toute leur place. Pour cela qu’un affichage de l’ensemble aurait du sens. Des portes de placards pourraient faire l’affaire. Tester ainsi la possibilité d’une vue d’ensemble.

11 juin

Ecrire, dernière folie possible. Et pas la plus simple. Je bloque. Je bloque. Il y a de la matière, même quelques idées, mais je ne suis pas satisfait, et je ne sais plus par quel bout prendre les choses. Il semblerait que ce soit normal. Une étape dans le processus. Et malgré tout ce qui a été fait avant, ce qui a été dit, douter, douter encore, n’être pas sûr d’y arriver. Chienlit.

12 juin

« Le suicide n’est pas une option », me dit l’écrivain auquel je confie hier soir mes difficultés d’écriture du moment, au coin d’un trottoir au coeur vibrant de Paris. Alors il va falloir en finir avec ce texte.

13 juin

Il y a ces quinze lignes écrites ici, et que je viens de supprimer. Des ressassements. Deux ans de ressassements. Il faudrait pouvoir ne plus y revenir. Agir comme s’il n’y avait plus ce poids de misère à trainer.

16 juin

Week-end à Bruxelles. Tourisme. Passage par la maison Horta, le Mannequin Pis, la cathédrale Michel et Gudule, le musée Magritte, évidemment. Ces contrastes tellement forts à Bruxelles, et l’absurde et l’humour, et l’art partout, sous un soleil hors norme. C’est l’hommage à De Funès devant le Mannequin Pis qui dit le mieux la douce folie belge. Fantomas, l’Avare et le Gendarme qui dansent une chenille devant le bonhomme fontaine en uniforme. Les Belges ont choisi de fêter le 60e anniversaire du Gendarme à New-York. Avec nonnes et gendarmettes, deux chevaux et fanfare. Absurde, inattendu, réussi. Je filme un bout. Ailleurs il y a au mur une citation du Partie de la poésie (disparu ?), qui enrichit un peu Lautréamont sans le dire : “La poésie doit être faite par tous et partout. Non par un.” Drôle de pays, et les tableaux vache de Magritte, en pied de nez à Paris. On n’est pas là pour se laisser emmerder.

17 juin

Ce qui est de l’ordre du rêve, où l’on retrouve ceux que l’on a perdu dans le monde du veille, où l’on retrouve des sourires et la joie : c’est déjà énorme et pourrait suffire. Après tout, quel besoin que les journées se conforment à la nuit si l’on y retrouve ce qu’on cherche. Une fiction qui se déroule rien que pour soi, où l’autre est tel qu’on voudrait qu’il soit, où un simple mouvement du globe oculaire efface ce qui gène. Relire Gérard de Nerval. Accepter la folie. Le monde résiste à tout. A quoi bon continuer de foncer dans les murs ? Attrait de la folie. Pourquoi se battre ? Regarde où ça les mène.

19 juin

Hier soir Cyrano de Bergerac, avec Édouard Baer dans le rôle titre. La pièce est sans surprise, mise en scène impeccable, texte un peu vite dit, parfois, mais quoi, c’est Cyrano, on connaît. Et la liberté et le panache et l’amour. On connaît. Pourtant, cela fait toujours son effet. Tout est dit, là, sur l’honneur, et ce qu’il en coûte.

20 juin

Quelques excellents retours sur Autoroute : je suis assez faible pour m’en réjouir. Ainsi, le livre plait. C’est dans la presse et peut-être se traduira dans les ventes. On en est là : se réjouir que le livre rencontrera son public. Et le plus large possible. Tout faire pour.

22 juin

Un matin se réveiller et ne pas sentir la cicatrice qui tire. La trace est là, visible, et la boursoufflure dure sous la pulpe du doigt ne laisse aucun doute : on a souffert, on a été blessé, on a cru, même, mourir. Mais la douleur n’est plus présente. Elle s’était atténuée, était devenue une compagne presque tendre, un brin irritante, familière. Et, un matin, se réveiller sans elle. Tout redeviendrait possible ? Non. Pas exactement.

24 juin

Ce qui a été détruit ne reviendra pas, l’espace rasé devient le lieu d’une nouvelle construction, ou l’autel mémoriel d’un infini chagrin. Peut-être un peu les deux. Les bourreaux sifflotent nez au vent. Il faut vivre avec ce poids, ou mourir. C’est vivre. De peu, mais c’est vivre. Avec un vide comme une chance, malgré la douleur fantôme : une place où construire. Quoi ? Le monument qu’on pourra, à la hauteur qu’on saura.

25 juin

M’assoir et écouter. Ce que disent les gens aux terrasses des cafés. Ce sont des romans qui se racontent mille fois. Il n’y a rien à inventer : leurs visions du monde, leurs provocations, leurs histoires d’amour. C’est pour chacun la vie qui se joue à chaque instant. Et il n’y a qu’à écrire. Pourquoi inventer alors que toute la matière est là, à portée d’oreille. Des tombereaux de langage déversés à chaque instant et qui se perdent. De langage matière brute qu’il n’y a qu’à ramasser et à sculpter.

26 juin

Orages, chaleur, tempête. Le monde flambe, et les hommes n’y accordent qu’un intérêt limiter. C’est là dessus qu’il faudrait écrire, et je me cantonne à des histoires d’amour et de pertes de repères. J’ai un autre livre, ensuite, qui sera plus en prise sur le monde. Il fallait que j’écrive d’abord cette trilogie sur l’amour. Il sera temps ensuite d’écrire autre chose. Il sera temps, ou il est déjà trop tard, ce qui revient au même, non ? En tout cas, on écrit aussi ce qu’on a besoin d’écrire, pas seulement ce qu’il faudrait écrire.

27 juin

Il faudra peut-être détruire le manuscrit terminé.

28 juin

Très belle lecture de Sphinx d’Anne F. Garreta par Jean-René Lemoine hier soir à la Maison de la poésie. Le texte en est ressorti avec une force soulignée par les rythmes proposés en arrière plan par l’écrivaine. Salle comble. La contrainte est discrète, plus encore lue par le comédien ; les émotions portées par ce texte au passé simple, fort de ses subjonctifs et de la richesse de son vocabulaire, saisissent.

29 juin

Je reprends le texte. Passage de la première à la troisième personne. Changement de narrateur. Ça fonctionne. C’est meilleur, plus efficace. Ce qui semblait suspect, de guingois, me paraît aller de soi. Très peu d’autres changements à faire, je crois. Quelques uns. Mais ce changement de point de vue est salutaire. Peut-être que le texte est sauvé.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.

Retour en haut