Journal – janvier 2024

1er janvier

L’année où je deviens écrivain. Voilà. C’est posé là. L’année où lorsqu’on me demande ce que je fais dans la vie, je réponds : « je suis écrivain ». Que ce mot me définisse. Comme m’a longtemps définit le mot journaliste. Une étiquette, mais qui cette fois va plus loin qu’un métier ou une occupation. Je n’ai jamais cessé de l’être. Mais ce qui change : la parution de Parfois l’homme ? La reconnaissance des pairs ? Pas seulement. Il s’agit d’une façon d’être au monde. D’y être d’abord à travers la langue. Ce n’est pas vraiment quelque chose que je décide, c’est quelque chose que je choisis, maintenant, de laisser faire. Avant, jusque-là, j’ai beaucoup fait pour que ça n’arrive pas. Le changement n’est pas sans conséquences. Et ce n’est pas gagné. Il est plus facile de vivre autrement. J’ai essayé, je sais. Mais c’est maintenant, ou jamais. Des planètes se sont alignées, parfois dans la douleur et les larmes, parce que c’est toujours un peu maudit quelque part, un écrivain. J’ai trempé la plume dans les plaies. 1er janvier. La date est symbole des pages qui se tournent comme si la vie était un livre dont on pouvait ouvrir un nouveau chapitre. Que ces images-là nous auront fait de mal ! Il n’y a pas eu un avant et il n’y aura pas d’après. Tout cela est venu petit à petit. L’affaire de deux-trois ans. J’ai eu la chance de croiser qui il fallait. Redevable. A jamais.
1er janvier, la date est occultée par de l’intime, du chagrin, du deuil. C’est le destin qui fait les dates de la mort des proches. C’était il y a longtemps. C’est toujours là. Peut-être plus cette année que d’autres. Mais ça, ce sont les symboles privés, que ne décodent que les plus proches. Une raison cependant de faire de cette date et de ce jour celui d’un passage d’un état à l’autre. Mais ça n’a rien à voir avec les voeux que chacun se souhaite.

Tout ça un peu grandiloquent : soigner la grandiloquence. Ça, c’est une sage résolution. Le bon jour pour en prendre.

2 janvier

Découvrir l’auteur de thriller Bernard Minier par le biais de son « Territoires de mystère », paru dans la collection Secrets d’écriture (Le Robert). Je n’ai aucune condescendance pour la littérature de genre. De grands souvenirs de lecture, même, que ces livres dont on ne peut s’empêcher de tourner les pages. Minier raconte ses début dans l’édition (et passe rapidement sur ses 26 ans dans l’administration). 48 ans, des bouts de choses et des nouvelles qui gagnent quelques concours. Et puis ces bouts de romans. Mais, à 48 ans, il n’y croit plus. Et puis, une rencontre, un encouragement, du travail, beaucoup de travail et le manuscrit accepté, puis les autres, puis les traductions et les invitations dans le monde entier : auteur à succès. Une forme d’incrédulité : finalement, c’est arrivé. Ce qui ne devait plus arriver est arrivé.

3 janvier

Il faut faire confiance à l’écriture. J’ai démarré le manuscrit en cours avec une idée générale, assez précise et riche pour faire livre, mais assez générale pour qu’il reste beaucoup à inventer, tant dans la forme que dans le fond. Une idée secondaire est venue soutenir l’idée première assez vite, en offrant un peu plus de profondeur potentielle au texte, avec un second fil narratif assez riche pour se déployer en parallèle du premier. Et puis, après plusieurs semaines, voilà que je découvre un lien entre les deux fils narratifs dont j’ignorais tout jusque-là, et qui éclaire (a posteriori pour moi mais ce ne sera pas le cas pour le lecteur) la justesse du choix d’entremêler mes différents fils, qui sont beaucoup plus liés les uns aux autres que j’imaginais. Tout ça pour dire, assez peu clairement, qu’il faut faire confiance à l’écriture : ce qu’elle va révéler s’avère bien plus intéressant que ce qu’on projetait initialement. Affaire de chance ou d’intuition ? Peut-être affaire d’ouverture…

4 janvier

La confiance et l’écoute. Dans les missions de prête-plume, c’est ce qui compte. L’empathie, aussi. Se glisser dans le sujet, disparaître. Premier rendez-vous hier avec XXX. Ne jamais donner de nom, jamais le moindre élément de contexte. J’aime l’exercice, ce rapport humain là. Et que, si je fais bien mon travail, à la fin, la personne puisse présenter son livre sans mentir. C’est son livre autant que si elle l’avait écrit. D’ailleurs, elle l’écrit. Je ne fais que coucher le livre sur papier. Avoir reçu un jour un exemplaire d’une réédition d’un de mes travaux de ce type avec, glissé entre les pages le petit carton, « avec les compliments de l’auteur ». Oui. L’auteur, ici, c’est l’autre. C’est un travail, avec de l’humain dedans. Hier donc, c’était ce premier rendez-vous. Une heure pour décider de mon côté si j’ai envie de consacrer autant de temps à cette personne, si la distance est la bonne. Pour elle, de la même façon, décider de la confiance, technique et humaine, de s’assurer que je comprends les enjeux. Dans l’exercice, il y a ce qu’on écrit dans le livre et ce qu’on n’y écrit pas. Une forme de proximité s’instaure en peu de temps dont il faut jauger l’opportunité lors de ce premier rendez-vous. Très heureux que ça fonctionne.

5 janvier

Henri Michaux, pas le plus accessible (préférer Prévert, pour ça), mais il a de ces fulgurances… C’est une lecture en cours, et qui restera toujours en cours. Il en va ainsi des oeuvres denses. Noter ici les formidables Villes mouvantes, en page 93 du premier tome des oeuvres complètes dans La Pléiade. Six pages à peine, et tout un monde de villes qui se mettent à bouger et de comment s’organise la vie quand l’autre côté de la rue part dans l’autre sens. Six pages, et le monde bascule. Force des mots, force de Michaux. C’est la quatrième partie de Qui je fus (1927), et ce Qui je fus, qui ouvre le livre, c’est tous ceux qu’on a été et avec lesquels il faut bien cohabiter, et qui parfois réclament leur dû. Mais l’on n’est plus ceux-là. Chacun son tour, et c’est au tour de qui je suis, semble dire Michaux. Et si c’était simplement le tour de celui que je deviens ? Fort de l’impermanence quand tout voudrait nous réduire à ce qu’on a été.

6 janvier

Hâte de finir le manuscrit en cours. Il me retient en arrière et l’énergie qu’il demande me mine. Il reste pourtant du travail et je suis assez avancé pour ne pas considérer l’importance d’aller au bout. J’écris très lentement, ce n’est pas mon habitude. Et encore n’avais-je que ça à avancer. Mais d’autres projets s’imposent. Le texte va encore me poursuivre un moment. Il me demande un état de tristesse que je voudrais pouvoir quitter. Plus tard. Tenir. Écrire avec de l’émotion, c’est en faire un élément de sa propre vie. Changer de livre pour se débarrasser de ce dans quoi on s’est plongé.

7 janvier

A la page 70, trouver mon nom dans la note de bas de page. Richard Gaitet cite une interview d’Hervé Le Tellier que j’ai faite en 2002 dans une question qu’il lui pose à son tour. C’est un grand entretien sous forme de livre (Hervé Le Tellier, les mots sont net, le monde est flou, Arte éditions / Points). J’adore les notes de bas de page, impression d’être là « comme une petite souris » : une surprise heureuse, sans conséquence. Un signe. Ce n’est rien, mais une petite joie passagère. C’est important les joies passagères.

8 janvier

Dans ma tête commence aujourd’hui le décompte des jours : le 8 février, c’est la sortie de Parfois l’homme, aux éditions Le Tripode. Essayer de lister ce que ça représente pour moi ? C’est comme essayer de décrocher le Graal… c’est bien malin, c’est bien du bonheur. Mais c’est s’apercevoir de ce qu’on n’a jamais fin : très vite se pose la question la plus pernicieuse. Et maintenant ? Mais d’abord tenter de profiter un peu de ce que l’instant donne. Tenter.

10 janvier

J’écris 2000 signes au matin. C’est mon objectif quotidien pour faire avancer le manuscrit. 2000 signes, voire 3000. Guère plus. Parfois, rien. Parfois le tout d’un bloc en une vingtaine de minutes. Parfois, c’est un peu plus poussif. Parfois, je dois attendre que ça vienne, ressasser. Parfois, c’est là, il n’y a qu’à appuyer comme sur un tube de dentifrice. Parfois, la charge émotionnelle est telle que je m’échappe de l’écran avec une forme de soulagement, et qu’il me faut du temps pour m’en remettre. Parfois, je suis heureux de ce qui est venu. Parfois, c’est un peu de tout cela en même temps. Je ne sais pas écrire trois heures d’affilée, penché sur le texte. Mes plongées sont courtes, intenses quand tout va bien, et me laissent souvent essoufflé. J’écris en apnée.

11 janvier

Environ 300 personnes hier soir à Rouen pour le lancement du nouveau roman de Michel Bussi. Le maire, même, passe dire sa fierté. J’ai connu Michel avant qu’il soit Bussi, prof d’université, puis jeune auteur. L’occasion de quelques interviews. Ce qui fascine toujours, c’est comme le succès ne l’a pas changé. D’une humeur égale, attentif, heureux d’être là. Et son public qui fait la queue pour une dédicace. Dans le respect et le plaisir. Il y a quelque chose de simple et d’évident à tout ça que j’apprécie. Commercial ? Et alors, essayez donc d’écrire du Bussi, pour voir. Il y a une technique à ne pas négliger, et à ne pas sous-estimer. La simplicité, la facilité, ce n’est pas une ligne si évidente à tenir qu’il parait. Et continuer de surprendre les lectrices et les lecteurs, roman après roman… Joli tour de force.

12 janvier

Première critique publique hier, vraiment belle, peut-être trop. Pas sûr de mériter ça. En tout cas, pas eu l’impression que ce que je faisais méritait de pareilles comparaison. Mais apprendre à ne pas discuter la réception de ce qu’on fait. Donner le meilleur, le défendre comme on peut. Et après, c’est le lectrice, c’est le lecteur. C’est entre lui et le texte. Qu’importe mon intention de départ : le lecteur a raison dans sa façon de ressentir ce qu’il a entre les mains. Trop de données échappent à l’auteur, et même ne le regardent pas. Mais c’est un bonheur, quand ça plait, quand ça provoque de l’émotion, quand on sent que le texte a rencontré le lecteur. Le texte vit sa vie. Je ne boude pas mon plaisir.

13 janvier

Soirée parisienne dans les locaux du Tripode. Une bonne dizaine d’autrices et d’auteurs de la maison. Il se passe là quelque chose d’étonnant sous la houlette de Frédéric Martin. Un vrai éditeur qui se coltine le texte, aime ses auteurs, défend les livres. Sentiment d’une zone protégée. Un village d’Asterix dont la littérature serait la potion magique. La chance d’en être à ma petite mesure.

14 janvier

Fini le dernier Volodine, Vivre dans le feu. Ce monde fou, ces cauchemars ou ces rêves. Il n’y a rien à dire du monde onirique. Apprendre à ne pas prendre la parole, à laisser s’installer le silence après la lecture. Il le dit, Volodine, dans le livre : prendre la parole est toujours une erreur. On n’est pas compris, et l’on en ressort meurtri.

15 janvier

Lecture en cours : L’Affamée de Violette Leduc. Une découverte. Extraordinaire modernité pour 1948. Le texte est bien d’époque : les télégrammes, le rapport au téléphone. Mais le style presque absent (sujet, verbe, complément : c’est souvent plat) se révèle ici et là dans des changements de rythme très visibles par contraste. Et le lecteur doit faire confiance au texte : il plonge dans un dialogue intérieur, avec sa part d’onirisme, de coq à l’âne, d’absence de contextualisation. On reste proche du quotidien, mais bouleversé par un amour impossible qui prend toute la place. Thématique qui m’est chère et sur laquelle Violette Leduc explore des voies littéraires qui me parlent. C’est découvrir un compagnonnage dont j’ignorais tout.

16 janvier

Parfois l’homme retenu parmi les 10 finalistes du prix Première 2024. C’est le prix du premier roman de la Radio Télévision Belge Francophone, la RTBF. Il a été choisi par des professionnel parmi les quelques 150 premiers romans de l’année. Maintenant, c’est un jury de onze auditeurs de la Première qui doit désigner leur préféré. Le livre n’est pas encore sorti (un peu plus de trois semaines à attendre), c’est un beau signal. Et tous les signaux positifs font du bien avant la sortie du livre. Là, il y en a quelques uns. La remise du prix a lieu le 4 avril, au salon du livre de Bruxelles. Vanité, les prix ? Pas tout à fait. C’est bon pour le livre couronné, cela donne aussi de la valeur aux suivants.

17 janvier

Je prends les premières critiques du livre avec une forme d’incrédulité qui n’empêche pas le plaisir. Faudrait-il le nier ? Jouer l’indifférence ? Je ne suis pas indifférent : que des inconnus comparent ce que j’ai commis à l’œuvre d’auteurs que je respecte me touche, même si je vois bien plus clairement les failles dans mon travail que dans le leur. Et, surtout, savoir que les émotions sont partagées. Ça a son importance. Et, point pas tout à fait négligeable, ça joue sur la confiance (l’inconscience) pour les travaux en cours.

18 janvier

Trois semaines avant la sortie de Parfois l’homme. Je semble un peu monomaniaque. Pourtant, d’autres chantiers m’occupent, sur d’autres fronts. Monter quelques formations pour quelques grands comptes, le projet de livre fantôme (celui dont je ne peux pas parler), l’écriture du roman en cours qui stagne, les poèmes naïfs qui s’enchaînent, la lecture (trop lente aussi), la veille autour de l’Intelligence artificielle qui me vaut d’écrire un article dans une revue, de participer à une table ronde bientôt… Je n’ai relancé mon activité qu’entre Noël et le jour de l’an, pourtant. Mais c’est un plaisir que le téléphone sonne, que la confiance soit toujours là. Ce premier semestre continue de s’organiser tranquillement. Un point d’attention : garder, comme je le souhaite, du temps pour écrire (mais comment refuser de belles missions… ça a toujours été une question).

19 janvier

Il se passe un truc assez étonnant avec le livre en cours d’écriture. Je l’ancre dans des lieux, où donc je me rends (et que je maquille dans le roman). Les lieux ont leur importance ici, et, de manière plus inattendue, la bande son. Ce que j’entends dans ces lieux sert de matière. Les discussions volées, ça, c’était dans le dispositif, mais aussi, et ça n’était pas prémédité, les musiques qu’on entend ici ou là. Je me sers parfois de mon téléphone pour retrouver le nom de l’artiste et du morceau. Je ne connais parfois pas du tout mais ça rentre dans le roman comme si il était impossible qu’il en soit autrement. Une forme de hasard qui s’est répété quatre ou cinq fois. Hier, découverte de Donny Hathaway.

20 janvier

Hier dans la discussion, la question : pourquoi ce journal. Pourquoi ce journal, alors que je sais que personne, ou presque, ne le lit. Pourquoi ce dispositif là d’écriture, public malgré tout ? Je reste campé sur cette position : la potentialité d’une lecture suffit à la tenue d’une distance avec le trop intime. La potentialité d’une lecture change le rapport à ce que j’écris. Pour autant, je n’y mets pas de style. Je n’y pose pas. Je ne travaille pas mes phrases. Ce qui compte, c’est six mois, un an, parfois un peu plus longtemps encore après l’écriture, revenir parfois sur ces pages. Le décalage, l’étrangeté, rappellent la relativité de ce qui se joue. J’ai oublié, souvent, le contexte. Oublié même les faits. Mais c’est là, en écho à ce qui a pu se produire. Qui est-on lorsqu’on ne reconnait pas dans son journal qui on était ? Est-ce que cela ne suffit pas à justifier l’écriture ?

21 janvier

Lecture de L’Echec de Claro. Un livre sur l’art inévitable d’échouer. On ne fait que ça, dans un monde tout entier tourné vers la réussite, l’exploit, le podium. On échoue, on échoue encore. La vie est tentatives, essais. L’écriture en particulier. L’intraduisible, l’illisible et, entre deux, l’impossibilité à écrire. On ne réussit jamais. Et cette phrase lue dans L’Equipe : Cergy-Pontoise ne réussit pas à Rouen, qui est frappante d’ambiguïté. Impossible d’en déduire qui a gagné le match entre les deux équipe de hockey. La phrase échoue. Et c’est bien ça, écrire : ne jamais y arriver, et même si, ne jamais être compris. Mais ne pas lâcher l’affaire. Essayer encore. Qui sait ? Sur un malentendu, tout est possible.

22 janvier

La poésie mérite mieux.

23 janvier

J’écris dans le train, directement au téléphone, le premier jet de ce qui pourrait être la dernière page du roman en cours. La dernière page, alors que rien du reste n’est finalisé : il reste beaucoup à faire. Mais, hier, l’idée d’une fin possible. Une fin qui donne sa cohérence à ce qui a été écrit jusque-là. A partir de cette fin, revenir en arrière. Je n’ai jamais écrit de manière aussi peu linéaire. Et il faudra tout reprendre après le premier jet. Mais une forme de satisfaction : sentiment que la chose « prend », et qu’elle pourrait tenir. Même ´il reste pour l’heure bien des choses à travailler.

24 janvier

Hier soir, théâtre. Sortir, à nouveau sortir. Le Choeur des amants, de Tiego Rodrigues au Centre Dramatique National de Rouen. Du contemporain donc (parfois des références un peu trop dans l’actualité, mais cela fait réagir la salle). Meilleur, bien meilleur, lorsqu’il est question du temps qui passe (le leitmotiv de la pièce : on a le temps), de la mort (surtout la première scène, le happy end sur le mode écolo me séduit moins, mais difficile les happy ends où l’on meurt, on peut l’accepter comment la mort, en fait ?), et de l’amour (là, la trouvaille de ces acteurs qui disent simultanément presque le même texte, mais pas tout à fait est tout à fait efficace, et la prestation de David Geselson et Alma Palacios est impressionnante). Un bon moment.

25 janvier

La chose en cours d’écriture a des tentacules. Il y a une oppression qui va avec l’écriture. Pas que l’écriture en elle-même soit une douleur, mais elle s’exerce sur une douleur, elle va y puiser. Elle n’est pas thérapeutique, elle choisit sa matière là où est la douleur et, le temps qu’elle dure, nécessite que la douleur soit bien présente, parfois ravivée. Il ne faut pas que ça cicatrise. Pas encore, pas tant que je n’en ai pas fini avec. La douleur est une matière, une glaise, une boue. Ecrire ne fait pas souffrir. Ecrire ne soigne pas. Ecrire, c’est faire quelque chose de ce qui n’a pas de sens. C’est vivre un peu, au moins. Hâte du livre suivant qui puisera, j’espère, plus léger.

26 janvier

Jour après jour la masse des poèmes naïfs augmente. Je ne me pose aucune question : c’est un chantier qui avance seul, avec sa détermination propre, sans but, mu par une nécessité qui m’échappe. Je laisse faire. Je me laisse faire. Les textes semblent quasiment de génération spontanée. Je ne sais pas ce qu’ils disent. J’ignore leur utilité (pourquoi en auraient-ils ?) Il me semble que c’est comme cela que j’écrivais avant 20 ans. C’est comme un geste qui serait revenu de cette époque et que j’avais cru perdu.

27 janvier

Boire à la terrasse d’un café un café, ou deux, au soleil, et parler littérature, écriture, édition avec un qui écrit, lui aussi, et qui lit, et qui aime les livres. Voilà qui fait passer les débuts d’après-midi en douceur, même si, la minute d’avant, on voit le monde qui se délite et la fin des choses à l’envers de ce qu’elles devraient être. Il faut parler d’écriture, parler métier, parler des gens que l’on connait et qu’on respecte, et réciproquement. Reste que boire un café en terrasse, à Rouen, au soleil, un 26 janvier, c’est mauvais signe. Comme si tout nous trahissait et qu’on ne voulait rien voir.

28 janvier

Je n’ai pas écrit le livre qui sera lu. C’est un lieu commun. Le texte m’échappe et chacun l’interprète. La lectrice s’y retrouve. Le lecteur s’y reconnaît. Chacun compose avec son expérience, sa réalité, ses références, sa capacité à prendre du recul. Le livre m’échappe. Et il va un peu plus loin encore : il donne de moi une image, change l’image qu’on avait de moi. Le livre en cela fait partie de ce que je suis pour les autres. Mais puisque ce n’est pas celui que j’ai écrit, le malentendu est inévitable. Ne pas considérer le malentendu comme un problème à résoudre. Vivre avec.

29 janvier

Comme envie de reprendre l’animation d’atelier d’écriture. Deux sont prêts. Mais je dois encore choisir où mettre mon énergie. L’atelier en demande pas mal. Et j’espère devoir en dépenser aussi, dans les semaines qui viennent, à une vie sociale utile à défendre Parfois l’homme. Devoir retrouver un peu de l’énergie qui, en 2020-2021 m’a poussé à l’écriture. Les cercles traversés depuis m’ont éloigné du texte, et je dois retrouver au moins par moment celui qui écrivait alors. Les décalages temporels doivent être compensés, et les 18 mois passés m’ont un peu secoué. Peut-être une chance d’être obligé de me retourner sur moi-même.

30 janvier

Un bonheur de discuter avec celles et ceux qui écrivent. Ces derniers jours, en plusieurs occasions. Rendez-vous provoqués ou rencontres imprévues. Ce truc en commun : se coltiner la phrase, la narration. Poser ça comme une façon d’être au monde, et tenter de trouver la bonne place, là bonne distance.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

Retour en haut