1/2/23
Peut-on écrire ailleurs qu’en équilibre au-dessus de ses plaies béantes ? Et pourquoi alors vouloir à tout prix les refermer ?
2/2/23
Les moments où je dois écrire sont de plus en plus nombreux. C’est là, maintenant, il faut au moins noter, mais écrire, c’est mieux, dix, quinze, vingt lignes, n’importe où, parfois dans un mail envoyé à moi-même, parce qu’il y a une urgence. Alors, j’écris, sur le téléphone ou le premier ordinateur qui me tombe sous la main, et c’est un bout de texte que je reprendrai au petit matin suivant pour enrichir, poursuivre, relancer le livre en cours… Ne sais pas si j’avais déjà vécu ces fulgurances avec autant de nécessité. Je n’en déduis rien sur la qualité de ce que je produis.
4/2/23
Si le livre naît d’une nécessité, il naît d’un manque, c’est un vide qu’il faut combler, une douleur qu’il faut soulager, une plaie à panser. Écrire ne peut se concevoir que dans la douleur et le déséquilibre. Il faut accepter sa tristesse, sourire à sa peine, chérir son désespoir, embrasser son bourreau, aussi glacial soit-il. Et, dans le tremblement des larmes, enfin, écrire.
5/2/23
Deux nuits à Eleusis, près d’Athènes. Déplacement professionnel. Pas d’ordinateur : le carnet papier dédié au projet en cours. Session d’écriture à la main dans la salle à manger standardisée de l’hôtel international. Avancer sur la structure. Prise de notes pour le projet. Ce voyage y sera. Pas la nourriture, pas le profil grec. Pas les ruines ni forcément l’es mystère d’Eleusis. Même si ce point mériterait d’être creusé. Je verrai. Peut-être que ce voyage, dans le livre, sera ailleurs. Et différent. Mais il y sera.
6/2/23
D’aller chercher la nécessité et rien d’autre. C’est dans la première des lettres à un jeune poète de Rilke. Restait le chemin à parcourir jusqu’à la nécessité. C’était un peu long, mais nous y sommes.
7/2/23
En juillet 2020, j’ai vraiment envisagé la fin du truc. C’est-à-dire que la chance était passée et qu’écrire, c’était derrière moi, et que je devais me contenter de ce qui avait déjà été fait, et que ce n’était déjà pas si mal et qu’il y avait même un ou deux motifs de fierté dans les livres publiés. La fierté, c’est toujours un peu honteux. Et puis voilà que non, pas du tout, que c’est toujours là l’écriture, et que ça secoue plus que jamais… Il ne faut pas abandonner. Le coup d’après est imprévisible, mais il est juste là…
9/2/23
Prise de note sur téléphone, lorsque le moment où survient l’idée ne se prête pas à autre chose, et quelques lignes envoyées par mail rejoignent les pistes qui font grandir le texte en cours. Cela arrive un peu n’importe quand, c’était hier soir au cinéma, attendant une avant-première, et la conjonction d’une rencontre, d’une image, d’un presque rien donne une piste. Alors je m’envoie un mail que je copie le lendemain matin à la suite du texte principal, attendant de trouver l’agencement idéal. C’est comme ça qu’un livre s’écrit, aussi.
10/2/23
J’arrive au premier tiers du premier jet du livre en cours. L’expérience prouve que le premier tiers s’écrit dans une forme d’euphorie, comme le troisième, mais que le tiers du milieu est le plus dur. Parce que je ne vois pas le projet avancer, peut-être, parce que c’est là que je me dis que je n’arriverai jamais au bout. C’est là que la solitude de l’écriture (n’avoir quasiment pas parlé du contenu du projet, n’avoir rien donné à lire à personne) est la plus forte. Je ne cours pas, mais ce sont peut-être les kilomètres les plus compliqués du marathonien aussi. Enfin, j’imagine. Au moins a-t-il au bord du parcours un public qui l’encourage et connait son objectif. L’écrivain est un marathonien solitaire. Je ne dois pas être le premier à écrire cette phrase.
11/2/23
Qui pour comprendre la crainte d’écrire moins bien si ça va mieux ?
12/2/23
J’écris dans la pièce aux volets clos, alors que la maison dort encore. C’est décidément le moment le plus opportun. Se lever tôt, et avoir devant soi, une, deux, voire trois heures comme aujourd’hui. C’est dimanche. Et le texte avance doucement. Il faudrait organiser la vie autour de ça. Et peut-être un peu plus. Envisager la résidence d’auteur, où temps de d’écriture et temps social s’équilibrent sans qu’on ait à s’en occuper. Je comprends mieux que jamais l’intérêt.
13/2/23
Lecture du dimanche : Ecrire est une enfance, de Philippe Delerm (Albin Michel, 2011). Où l’écrivain raconte comment il l’est devenu, les années sans publier, les années sans succès. C’était avant la Première gorgée de bière. J’aime bien Delerm ; une forme de fidélité, sans doute, car il manque un peu d’ironie, de second degré, mais il a pour lui une sincérité qui me touche. Bref, plein de petites choses à puiser dans ce livre lorsqu’on écrit, qu’on tente de publier. Et puis surtout cet écho au travail en cours, sur ces amours adolescentes vouées à l’échec car on ne sait par dire à la fille les mots qu’il faudrait, et qui restent parfaites de n’avoir pas été (les histoires, pas les filles). Et que ce serait ces mots qu’on n’a pas su dire qui feraient l’écrivain. Pas d’ironie, mais si l’on écrivait parfois pour ce qu’on n’a pas su dire… Cela me concerne parce que ces histoires sont dans le livre en cours d’écriture.
16/2/23
Le jour où tu n’écris pas. Ce jour arrive forcément, et c’est une inquiétude. Est-ce un accident ou le premier jour où tu n’écris pas d’une série de jours où tu n’écris pas, et dont tu ne verrais pas la fin. Il faut pour écrire une énergie. Un minimum d’énergie. Et lorsque l’énergie toute entière happée ailleurs, parce que la vie est ainsi faite, comment savoir si elle reviendra. Allez, pour conjurer, écrire. Même quelques mots.
18/2/23
Aller puiser dans le souvenir, le réécrire, le mettre en perspective avec ce qui n’a rien à voir, réécrire la vie autrement, donner du sens, peut-être, à ce qui n’en a pas, entendre des échos qui ne se répondaient pas, ciseler dans l’absurde des formes improbables, donner du relief aux platitudes, creuser dans les nervures, bref, écrire.
20/2/23
Jouer avec ChatGPT, la première intelligence artificielle d’aide à l’écriture réellement impressionnante. Les résultats qu’on obtient sont du niveau de la littérature de gare lorsqu’on lui demande des textes, mais, déjà, lorsqu’on l’utilise pour aider à la conception du scénario, de l’intrigue, elle propose un nombre d’option colossal et se révèlent une aide au scénario très efficace. Parmi les réactions, deux options. La première consiste à repérer ce qui ne va pas, ce qui rassure : l’intelligence artificielle n’est pas au niveau. Elle comet des erreurs, certes. Mais la seconde réaction me semble plus raisonnable : à la vitesse où la chose progresse, tous les créatifs ont du souci à se faire s’ils n’apprennent pas à travailler avec ce nouvel outil.
21/2/23
L’écriture se fait sur trois supports, selon trois modalités différentes. Ce journal, presque quotidien, effleure les choses. Très en lien avec le projet en cours, il n’approfondit pas les questionnements, tout juste en fait-il part. Le manuscrit proprement dit, avance à son rythme de premier jet, tranquillement, par blocs de texte qui seront réorganisés ensuite, et réécrits. Et puis le carnet manuscrit. Cela faisait longtemps. Il n’a vocation à être lu par personne, et c’est donc là que se joue le plus proche et le plus personnel, le lien le plus serré entre la vie, la mémoire et le texte en cours. Le dispositif fonctionne dans son déséquilibre précaire. En être déjà à me demander s’il faudra brûler le carnet manuscrit à la fin.
22/2/23
La tentation de l’audio. Enregistrer le texte juste écrit sur le dictaphone du téléphone et l’envoyer, qu’il soit audible, juste un moment. Double mouvement : le passage par l’oralité, ce n’est pas nouveau, indique la robustesse du texte, et ses faiblesses. Et donner à entendre, parce que l’envie est toujours là que, très vite, le texte soit donné. Très vite, trop vite peut-être, et celui-là en particulier qu’il faut que je retienne, et c’est difficile. Se dire qu’il faudrait attendre deux ans pour qu’il soit lu… C’est long.
24/2/23
Il y aurait une méthode pour écrire de manière linéaire, un objectif de quantité qu’on se fixerait chaque jour, et qu’on atteindrait, et le livre avancerait à ce rythme régulier d’une, deux ou trois pages quotidiennes qu’on écrirait chaque matin entre 5h et 7h. Et l’on saurait, avec un objectif de deux cents pages en combien de temps on aurait de quoi faire un livre. Je suis au regret d’annoncer que cette théorie ne fonctionne pas. La régularité de l’exercice d’écriture, oui, à peu de chose près. La régularité de la production, non. Ce matin, j’ai changé deux mots dans le manuscrit. Et je vais me faire happer par la vie. La suite ce sera demain.
26/2/23
Je me targue d’écrire vite. Je connais plus rapide, mais j’écris vite. Généralement, et jusque-là, je suis capable d’aligner les mots à une vitesse des plus honorable et d’obtenir ainsi un premier jet tout à fait honorable. Ça a toujours été. Et ne voilà-t-il pas que le projet en cours me demande de rester penché sur le texte une heure, voire deux, là où il me faut normalement une vingtaine de minutes pour pondre quelque chose d’une longueur équivalente. J’ai toujours eu la crainte qu’un travail aussi minutieux (et ce n’est rien par rapport à d’autres) finisse par peser sur le texte. J’aviserai à la relecture.
27/2/23
La semaine s’annonce dense, professionnellement et personnellement. Et c’est là qu’il faut continuer à écrire. Pas le plus simple, mais justement de cette double pression, extraire ce qui peut l’être, en espérant que du hors norme surgisse le meilleur. Et le livre en cours à traîner et qui pèse lourd…
28/2/23
À un moment, pour que le livre devienne livre, il faut sans doute laisser la fiction s’installer. Je veux dire que, si le projet en cours s’accroche au réel, il ne peut fonctionner que dans le mouvement qui l’en éloigne. C’est comme un jeu. Un jokari, peut-être et chaque fois que la balle revient de la fiction vers le réel, redonner un grand coup de raquette. Jusqu’à faire casser l’élastique et que la balle ne revienne pas.