Journal – avril 2024

1er avril

Théâtre, hier, 4211 kilomètres dans la petite salle du Marigny, entre les Champs-ELysées et le Palais présidentiel. Au centre du monde ? Presque. On pourrait être tenté de le croire. Très belle représentation : ce que c’est qu’avoir quitté l’Iran, avoir vécu en France, avoir continué d’espérer que, là-bas, une place pourrait être faite pour la démocratie, la liberté, un jour. Cet engagement, vu par la fille des réfugiées. Texte impeccable, mise en scène précise. Comédiennes et comédiens justes et touchants passant d’un registre à l’autre avec aisance. Salle debout à la fin de la représentation. 4 211 km c’est la distance entre Paris et Téhéran, celle parcourue par Mina et Fereydoun venus d’Iran pour se réfugier en France. Un texte et une mise en scène de Aïla Navidi qui jouait hier et a terminé les larmes aux yeux. Emotion et pudeur au fil d’une fresque qui couvre un demi-siècle d’histoire tellement contemporaine.

2 avril

Reprendre aujourd’hui une activité commencée il y a pile vingt ans : former pour la nième fois à l’écriture web. Transmettre ce que j’ai appris quand il n’y avait pas de formation, ce que j’ai mis en application. Tout a bien changé depuis. Mais c’est ma formation la plus classique, Écrire pour le web. Celle qui aura, pour une bonne part, assuré mon indépendance. Normal que ce qui ressemble a un nouveau départ passe par cette case.

3 avril

Les réflexes reviennent. C’est peut-être le cas pour toute activité que tu as exercé pendant plus de 20 ans : la dynamique de groupe, les questions de rythme de formation, les improvisations qui maintiennent l’attention (la mienne comme celle des stagiaires). Et la fatigue aussi. L’état dans lequel on est après une journée de formation. Ce sera pareil ce soir, avec un peu d’excitation en prime : demain, direction la Foire du livre de Bruxelles.

4 avril

Il n’est pas 7h. Direction Bruxelles. A 14h, on connaîtra le nom du livre lauréat du prix Première-RTBF.

5 avril

Lendemain de remise du prix Première. Dix interviews hier. Un marathon. Encore deux aujourd’hui, une signature et une rencontre. Parler du livre, parler d’écriture, écouter lectrices et lecteurs. Ce contraste complet entre l’acte d’écrire et ce qui se passe ici. Et avoir d’un coup passé une barrière, être du côté des écrivains, du côté de la folie avec l’autorisation d’en faire quelque chose et que ça ait de la valeur pour d’autres. Que ce que j’ai écrit plaise, suscite de la curiosité. C’est flatteur, bon pour l’ego (ou très mauvais). Et dès le soir, parler de la suite avec l’éditeur. Les livres à venir. Ce qui me brûlerait les ailes. Les pistes que je pourrais explorer. Ce que je ne dois pas abandonner. L’exigence. L’exigence surtout. Vis-à-vis de l’écriture et vis-à-vis du monde. Refuser la norme, la compromission. Que le texte soit ce qu’il devrait être : essentiel et central. Cette confiance en l’idée que je puisse tenir cette position me paraît aussi folle que la position elle-même. Surtout, surtout, dégager le sérieux qui a pris toute la place en 2023 pour retrouver cette putain de légèreté, l’ironie, le second degré sans lesquels je ne suis plus moi-même.

Petit-déjeuner dans la salle prévue à cet effet du cinq étoiles de Bruxelles où je suis logé. Le petit monsieur de soixante-quinze ans qui glisse dans sa poche, sans discrétion aucune, une dizaine de sachets de thé alors qu’il boit un cappuccino. Il mesure un mètre soixante, peut-être un peu moins, et n’est pas plus grand qu’il paraît, donc.

6 avril

Ma photo partout dans la foire du livre, mon nom, la couverture de Parfois l’homme, les horaires de dédicaces. On m’arrête pour la première fois pour me demander un selfie dans une allée du salon… ce décalage tellement étrange, quasiment incompréhensible, voire gênant, avec l’activité qui consiste à écrire, seul, dans son canapé, l’ordinateur sur les genoux, à l’heure où le jour peine encore à se lever. L’écriture est une activité étonnante.

7 avril

De retour de le Foire du livre de Bruxelles, auréolé du Prix Première, je prends le métro à Paris : tout va bien, rien n’a changé. Soirée à la Maison de la poésie pour écouter Moi, Jean Gabin de Goliarda Sapienza, lu par Marie Vialle. La traduction de Nathalie Castagné donne à écouter un texte dont ressort une naïveté et une folie douce tout à fait rafraichissante. Une vision d’enfance qui ne rate rien des travers des adultes : celle de la petite Goliarda Sapienza qui envisage le plus sérieusement du monde de devenir Jean Gabin, seul héros dans une Italie fasciste et pauvre. La salle est bondée. En début d’après-midi, le prix Goncourt 2024 a dit, lors d’une émission de radio à laquelle nous participions tous les deux : « C’est un vrai écrivain, Sébastien Bailly ». Goliarda Sapienza est une vraie écrivaine, c’est sûr.

8 avril

Me remettre à l’ouvrage. Littéralement. Ne pas attendre trop longtemps pour reprendre l’écriture. Le tourbillon du Prix Première va peut-être se poursuivre avec quelques répliques, mais ce qui compte, c’est continuer à écrire. C’est le livre d’après. Répondre rapidement aux questions qui se posent à toutes celles et tout ceux qui sont passés par là. Comment poursuivre ? Aller plus loin ? Il y a la logique d’un lien qui se tisse avec un début de lectorat, des gens qui seront là pour le suivant. Faut-il considérer qu’on leur doit quelque chose ? Qu’est-ce qu’on construit d’un livre à l’autre ? Quelque chose de plus grand que le livre ? Et quoi ? Et si, comme souvent, la réponse était dans l’écriture. Lui faire confiance. J’ai déjà un manuscrit prêt, un autre presque. Je dois pourtant en écrire un troisième, qui serait mon deuxième livre pour les lecteurs : parce qu’une suite de livres ne se construit pas comme autant d’oeuvres isolées, mais c’est un chemin qui permet d’aller de l’un à l’autre. Il y a quelque chose de cet ordre-là. Il ne suffit pas d’écrire un livre, puis un livre, puis un livre. Enfin, peut-être. Les règles dans cette matière n’ont guère d’existence.

9 avril

Découverte de Lev Rubinstein à l’occasion d’une soirée d’hommage, hier soir, à la Maison de la Poésie. Le poète russe est mort en janvier, renversé par un chauffard. L’occasion d’entendre trois femmes parler de lui, Galia Ackerman, Hélène Henry-Safier et Valérie Zenatti. Les deux premières, en particulier, l’ont connu depuis ses jeunes années, et plus tard. C’est plonger dans une œuvre et dans une résistance. C’est plonger dans le langage qui façonne le monde. C’est, du bout des doigts, sentir le régime soviétique et, plus terrible encore, le régime poutinien. Les fiches de Lev Rubinstein inspirées par son travail de bibliothécaire, en mouvement poétique contre le fichage, étaient lues avec brio par Laurent Natrella. En français, nous avons eu un aperçu de ce que pouvaient être les performances du poète russe. Un humour grave, une ironie en apparence toute simple, qui s’appuie sur les mots de tous les jours pour mieux souligner les failles d’une vie comme automatique et la collision permanente du grave et du banal. Ça me parle. Il s’était positionné ouvertement contre la guerre en Ukraine en mars 2022. Comme l’a dit Galia Ackerman, il est sans doute mort à temps. D’autres sont aujourd’hui jugés et emprisonnés pour moins qu’il a fait. Bon…

10 avril

Retour à la Maison de la poésie, où je vais passer du temps, tant le programme est alléchant. Cette fois écouter Jean-Christophe Bailly et Martin Rueff parler du livre de ce dernier: Le bout de la langue. Un livre entier sur le fait que le mot langue désigne à la fois l’organe et la langue française (ou une autre). Discussion de haut vol. Beaucoup question, aussi, d’Ovide, en particulier de Philomèle. Question aussi de savoir ce qu’est le poème. Passionnant, devant une salle comble. Ce qu’on garde d’un moment comme celui-là ? Pas toute la théorie, je ne suis pas asssez théoricien. Mais des éclats d’intelligence dont je pourrais peut-être bénéficier en écrivant.

11 avril

Ma photo en pleine page dans un hebdo culturel belge ce matin. Nul n’est prophète en son pays, dit-on. Que l’humour de Parfois l’homme séduise à ce point en Belgique, c’est un beau compliment. On n’écrit pas pour sa photo en pleine page dans les magazines. Mais, pour boucler l’année qui s’est écoulée, c’est un symbole que je ne refuse pas. Descendu au plus bas, remonté en page 3. Un peu de fierté, évidemment. Même si il faudra encore du temps pour me remettre de l’incompétence et de la bêtise de mes contemporains. Les éloges ne compensent pas la déception. Ecrire est plus difficile qu’avant. J’ai perdu de la légèreté. Et pourtant, Parfois l’homme écrit en 2021 : la période n’était pas à la fête… Comme je me suis fait broyer depuis, et comme tout est devenu plus pesant, plus lourd, plus difficile. Petit à petit, remonter la pente, doucement, n’aller pas trop vite. Arriver à sourire aux caméras, c’était déjà pas mal. Je voudrais retrouver mes phrases maintenant : ce qui compte c’est continuer à écrire.

12 avril

L’Infraordinaire de Perec est sur ma table de chevet. Relecture hier soir des quatre premières pages, où il dit son désintérêt pour l’actualité telle qu’elle est traitée par les médias, et son appétence pour le banal, le quotidien, les choses de tous les jours. Texte court, mais fondateur : je le cite parfois lorsque je parle de Parfois l’homme. Et, si je ne le cite pas, je mets en avant la banalité, les journées qui s’enchainent. Une page de fait-divers dans Parfois l’homme ? C’est pour dire que ce qu’elle raconte occupe une place dans les médias inversement proportionnelle à sa place dans la réalité. C’est peut-être en ça que je suis le plus proche de Perec. En tout cas, ce texte qui ouvre L’Infraordinaire est en phase. Et relu aussi le texte Autour de Beaubourg, quartier où j’ai passé un peu de temps cette semaine, dont un après-midi au café pile à l’angle de la rue Saint-Martin. Me dire qu’il s’est assis à cette terrasse, forcément. Et qu’on en finit jamais avec les lieux de Perec. Autour de Beaubourg, quelques pages encore, mais qui disent tellement le mouvement, la foule. Et plus lisible que la la Tentative d’épuisement d’un lieu parisien. L’Infraordinaire reste sur ma table de chevet.

13 avril

On n’écrira plus jamais comme avant. Dans l’interface que j’utilise pour écrire ce journal, j’ouvre en un clic une fenêtre d’Intelligence artificielle qui me propose de m’aider à rédiger : idéal pour un titre, un intertitre, reformuler une phrase, allonger le texte, le réduire ou en changer le ton. Si je peinais à trouver mes mots, l’IA me proposerait instantanément des idées connexes, des synonymes, des analogies. Et une fois le paragraphe fini, me corrigerait tout cela en un tournemain. Comme on s’est habitué au copié-collé, à la correction orthographique, on s’habituera à la correction stylistique et à l’écriture assistée. Grave ? Pas forcément. Inéluctable ? J’en suis persuadé.

14 avril

La norme et la folie. Je crois que cet équilibre là suffit à résumer l’histoire de ma vie. Parce que c’est l’opposition de la scène fondatrice. J’ai une scène fondatrice. J’ai 7 ans, le jour où, bien que séduit par la folie, je me lève et m’assieds du côté de la norme. C’est de là qu’on voit le mieux la folie. Et inversement. C’est une scène réelle, lors de laquelle je me lève d’un côté du salon et je m’assieds de l’autre. Je fais le chemin de la folie à la norme. Je choisis une vision du monde. C’était il y a presque 50 ans. L’écriture est du côté de la folie. Telle que je l’envisage, en tout cas. La vie professionnelle, la vie sociale, du côté de la norme. C’est celle qui assure les arrières et ne prend pas de risque. J’ai toujours eu le choix entre les deux, depuis cette scène fondatrice. M’arracher au canapé du raisonnable pour me rassoir au sol, là où se niche la folie m’aura pris du temps. Ou alors je n’ai fais que cela, mais si lentement. Avec qui je m’entends au lycée. Ce que je choisis d’étudier. Ce que je suis près à accepter. Tout est dans cette tension.

15 avril

Lire le début d’Index, le premier roman de Camille Laurens. C’est le train, de Breauté à Paris, passage par Rouen. Lorsqu’on est dans des lieux connus, on échappe un peu à la littérature pour le tourisme : à essayer de reconnaître où l’on est, comment c’est décrit. Tout a changé. Les trains, d’abord. C’était l’époque des wagons non fumeurs. Je m’en souviens bien. Et comme on regrettait alors d’avoir été contraint à une place fumeur. Autre temps. Mais pas ce qu’il y a de plus important dans le livre. Je retiens un passage, de mémoire, qui fait écho à Parfois l’homme et qui dit, en substance, le poids de ce qu’on aurait pu vivre et qu’on n’a pas vécu. Le poids de ce qu’on a rêvé. C’est un écho fort aussi à d’autres travaux d’écriture.

16 avril

Entrepris la lecture d’une thèse sur La Disparition de Perec : consacrer ces prochaines semaines au livre. La Disparition, ça tombe assez bien. Relire, écrire comprendre, imaginer. Plonger dans Perec complètement. Je ne sais pas ce que je documenterai ici. Je dirai des choses, forcément. Mais pas tout. J’ai un texte à écrire sur La Disparition. Une enquête à mener, une histoire à raconter. Et c’est maintenant. Et cela repousse un peu l’écriture du roman à suivre. J’ai besoin de cette respiration aussi.

17 avril

« Ce bijou, on le doit à Sébastien Bailly », « un immense plaisir de lecture » : les compliments, les enthousiasmes, tout cela devrait être pure gourmandise (je pourrais ainsi faire semblant de n’y accorder qu’une importance modérée, et tenter de paraître gérer avec flegme et distance). Mais chaque compliment, chaque enthousiasme, est aussi une banderille plantée dans les plaies de 2023 qui ne cicatrisent pas. Et ce mot de François Ozon à Judith Godrèche, qui dit si bien ce qui m’a broyé (toutes choses remises à leur échelle par ailleurs) : « Tout silence équivaut pour les victimes à une négation de ce qu’elles ont vécu et à la continuation d’un système. »

18 avril

J’écris depuis la salle du petit déjeuner des résidents du Moulin d’Andé. Venu là consulter le manuscrit de La Disparition de Perec. Et « sentir » les lieux. Dormi dans la chambre d’Alain Delon et Romy Schneider. Passer un moment ici, c’est rentrer dans combien de légendes ? Le calme. Le chant des oiseaux. Le héron cendré qui profite de l’île et du bras de la Seine. Le moulin. Ne faire que passer mais, en quelques heures toucher du bout des doigts la magie qui explique qu’on puisse passer là du temps pour écrire. Du temps. Des années. Pu rester un moment dans la chambre où Perec a séjourné à la fin des années 60, où il a écrit La Disparition. J’ai dans ma chambre le fac-similé du manuscrit de La Disparition : y travailler un peu. En écoutant marcher pieds nus le fantôme de Romy, chanter les oiseaux, et couler la Seine.

19 avril

Perec au moulin d’Andé, c’est aussi, surtout, un chagrin d’amour. Sa liaison avec Suzanne, la maîtresse des lieux, jusqu’à une séparation en janvier 69. Elle, libre, lui, amoureux. Il écrit, elle lui offre les conditions pour le faire. Je passe hier une bonne heure au bout de l’île, entouré de deux bras de Seine. Accroché à un arbre, le portrait de Suzanne. Il est forcément venu là, seul ou avec elle. Il a forcément regardé couler le fleuve. Avec elle. Sans elle. Il a peut-être griffonné là quelques mots. Je prends une photo. J’écris quelques lignes. Quel endroit.

20 avril

Tout devrait aller bien. Pas de problème de santé, ni d’argent, mon livre marche. L’attention médiatique va plus loin qu’on pouvait l’espérer raisonnablement. Des amis sont présents. J’ai même des projets, et du travail rémunéré. Si tout n’allait pas aussi bien… Pourtant, ce point aveugle, ce vortex, ce trou noir qui absorbe toute mon énergie : toujours là. On ne peut pas tout avoir ? La Disparition, ce e manquant qui prend toute la place malgré le prix littéraire, malgré le confort, malgré tout. Je vois exactement ce que Perec pouvait vouloir dire. Oh, je sais les différences. Mais je le vois écrire, dans la petite chambre du Moulin d’Andé, la fenêtre à petits carreaux ouverte en été, guettant la voix de Suzon, guettant les bruits qu’elle faisait. Les bruits en provenance de la salle de la meule. Il n’avait pas de problèmes Perec. Il construisait autour de ses trous noirs qui absorbaient toute l’énergie disponible. C’est peut-être ça écrire : monter des murs autour des gouffres.

21 avril

Celles et ceux qu’on a perdu, celles et ceux qui comptent mais qu’on a perdu. C’est le plus difficile. Vraiment. Elles ont compté. Ils ont compté. Je me suis battu à leurs côtés, parfois pour eux et pour elles. Je me suis battu jusqu’au bout. Autant que j’ai pu. J’y ai mis, littéralement, toutes mes forces. Et rien. Rien que le silence. Pire que le silence : le refus de parler. J’ai donné tout ce que j’avais. Ce qu’ils ont brisé, broyé, annihilé. Ce qu’ils ont nié. Je ne me relève pas. Ils m’ont détruit. J’avance avec cette destruction en moi. J’avance avec ce champs de ruines, ce champs de mines dont une explose encore, de temps en temps, aléatoirement. J’avance, parce qu’il n’y a qu’une façon d’arrêter d’avancer et que non, je n’irai pas jusque-là ; je ne crois pas. J’avance et je souris. Parce qu’il faut bien sourire. J’avance avec au coeur un trou de silence. J’avance, si l’on peut appeler ça avancer, encore. Je ne suis plus qu’une ombre. L’expression : il n’est plus que l’ombre de lui-même. Ce qu’il en reste. Est-ce que cela s’écrit ? Je crois que oui. Parce que si je l’écris, il y a une chance qu’un ou une lise et enfin comprenne ce qu’ils nient : le fait même qu’ils m’ont broyé, me détruisant en cela une deuxième fois. Quand on n’est plus que douleur et que cette douleur est niée, on n’existe plus. C’est ce qui conduit au pire. Le champs de ruines, il faudrait le condamner, construire autour des palissades, des murailles. Il faudrait oublier les ruines dans un coin, et reconstruire ailleurs, sur les côtés. Cultiver les zones limitrophes. Repérer les ensoleillements. Mais ce sera là, toujours : ce qu’ils ont laissé de ruines. Et comme ils ont insisté, repassant plusieurs fois le soc dans les chairs. Et encore. Jusqu’à ce qu’il ne reste rien des fondations. Reconstruire après ça. Comment voulez-vous ?

22 avril

Passage prévu à la radio, en direct, sur la RTBF, de 12h15 à 12h30. En duplex depuis Paris. Parler de Parfois l’homme, du prix Première. Etre sympathique, pertinent, peut-être intelligent. Avoir de la répartie. Remercier. C’est le pic de la journée, qui s’annonce plutôt calme par ailleurs. Lecture. Ecriture. Ménager du temps. C’est à cela que doit servir le travail indépendant. En ménageant du temps, être meilleur dans les dossiers professionnels, aussi. J’ai des choses à écrire, des pages web, quelques programmes pédagogiques. Il me faudrait un projet pour l’été. Juillet et août, c’est toujours un peu compliqués, financièrement. On verra. Chaque chose en son temps.

23 avril

Le passage à la radio, donc. Plus sérieux que d’autres sur la même antenne. Selon le journaliste, l’humour est plus ou moins mis en avant. Ici, on en a parlé, bien sûr, mais un peu moins. Et soirée avec l’éditeur, à parler du livre d’après. Je tourne toujours autour, je cherche. J’y ai passé un long moment hier, aussi. Je crois que je tiens quelque chose. Il y aura plus de contraintes, ce sera plus oulipien dans la construction. Parce qu’il me faut une structure à laquelle me raccrocher, parce que je sens que tout risque de flotter, autrement. Donc j’explore cette voie, avec une contrainte supérieure à toutes les autres : que les contraintes ne se voient pas. La littérature, c’est de l’architecture : faire en sorte que seuls les professionnels distinguent ce qui porte le bâtiment.

24 avril

Encore un article ce matin dans la presse belge sur Parfois l’homme. Le livre suit son bonhomme de chemin. Tranquille, serein. Bien plus que l’auteur, avouons. L’auteur, lui, patauge un peu. De tous les côtés. La vie, quoi, la vie. Il y a eu la noyade, les sables mouvants, et le sol est encore loin d’être stabilisé. Au moins, plus personne pour me mettre de grands coups de pelle quand je commence à me redresser. Enfin j’espère. Il y a la distance, la nostalgie, le deuil des amitiés. Il faudra du temps, dit-on. Je n’y crois pas, au temps. Je crois aux cloisons. Mais que la blessure sera toujours là. Petit à petit, je reconstruis des digues, des murs, du solide, tout autour. Mais je sais qu’il restera des crevasses à travers lesquelles la noirceur, le sombre, l’opaque se faufileront toujours pour me rappeler que j’ai eu confiance, et que ça n’a pas été la meilleure idée.

25 avril

J’ai cru en l’ambition, j’ai cru en l’émotion. J’ai visé haut. Au-dessus. J’ai cru que c’était à portée de main, mais j’étais seul. La coalition des médiocrités l’emporte le plus souvent, et j’aurais dû m’y soumettre. Peut-être. Le vortex des incompétences. La violence des approximations administratives. Relire L’Albatros, et tellement d’autres textes. Ne pas avoir pu devenir Bartleby ? N’avoir pas voulu céder au réel. Le réel perd toujours. Il a l’impression de gagner, bien sûr. Ils sont tellement nombreux à s’y résoudre. Il a l’impression de l’emporter. Il ne croit aucune voie possible hors lui-même. On peut lui laisser ce plaisir, et à celles et ceux qui se contentent de l’habiter. C’est le réel, la poix qui englue : ne pas se laisser impressionner. Je revendique le droit de voler, la permission des nuages, la poésie des rescapés. Je n’ai pas le temps d’autre chose. Ah, et si c’est pour dire le désespoir que l’autre inspire, alors, ce sera dit.

26 avril

L’acteur célèbre soufflait un peu sur son vélo. Il arrivait face à moi, et il a compris dans mes yeux que je le reconnaissais. D’un coup de pédale, il m’a laissé derrière lui. Il n’a capté qu’un regard, peut-être l’esquisse d’un sourire. Il vit avec ça : qu’on le reconnaisse aussi un peu transpirant et casque disgracieux sur le crâne. Il n’y pense plus vingt mètres plus loin. J’espère pour lui qu’il n’y pense plus. La rue de Rivoli en a vu d’autres.

27 avril

La première journée du Festival du livre de Créteil se termine par une improbable soirée karaoké. Je ne chante pas. Mais quelque chose de léger, enfin, avec un groupe qui affiche une forme de satisfaction. Il faudra à nouveau que tout soit parfait demain. Main, ce soir, dans la médiathèque, ça chante faux avec entrain les chansons les plus improbables. L’équipe d’organisation, celle de la médiathèque, un élu… deux auteurs (l’autre chante). Et c’est un moment hors du monde. Un moment de partage, insensé. Un bouillon de culture populaire. Juste des gens heureux. Un karaoke. Le premier auquel j’assiste. Pas assez bu pour chanter.

28 avril

Deuxième jour de Festival à Créteil. Petit déjeuner dans la salle à manger de l’hôtel. Rester seul et écrire ces quelques mots pendant que deux autrices et un auteur se désolent de l’état du monde à quelques tables. Ils ont sans doute raison, mais ne suis pas assez réveillé pour prendre part. Je m’éveille en douceur. Repartir à la rencontre des lecteurs pour la journée. Rencontres. Défendre le livre. Avoir tenté d’imaginer un duo Duras Beckett au karaoké. Difficile.

29 avril

Retour des deux jours. Il y a eu cette rencontre publique avec Jérôme Attal et Nicolas Rey, nous avons passé un bon moment, trouvant des échos les uns avec les autres. De l’exergue du roman de Jérôme Attal qui aurait pu être celle du mien, aux Petits écoliers de Nicolas Rey, qu’ils mangent en se mettant au travail, et que je me suis permis d’analyser comme symbolisant sa posture au moment de se remettre à sa copie, prêt à être jugé, encore et encore, soir après soir… C’était, il faut le dire, animé avec talent par Marie-Madeleine Rigopoulos. Les rencontres avec les auteurs font partie des bons moments du festival. Et la gentillesse des visiteuses et des visiteurs qui prennent le temps de parler, s’intéressent sincèrement au contenu du livre, repartent parfois avec, heureux d’une découverte. D’autres sont là pour un dont il sont fidèles, et qu’ils ont envie de voir, et parfois ne passent même pas aux autres tables. Pas pour moi, pas ici, pas encore, évidemment. Deux belles journées.

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