Après deux mois hors ligne, le journal revient. Chaque jour, ou presque, tout le long du mois, une nouvelle entrée sur cette page. Pendant un mois.
1er août
Lecture en cours : L’Homme qui rit, de Hugo. Une leçon de style, richesse de vocabulaire technique et, surtout, rythme des phrases. Ce bateau en pleine tempête, au début, c’est un sommet. Un naufrage de haute volée. Le rapport qualité / quantité de Victor Hugo, pour toujours un mystère.
2 août
En occultant deux mois de journal, j’ai raté l’occasion de parler de quelques lectures qui, si elles ne furent pas si nombreuses, n’en furent pas moins marquantes. Julien Gracq, La Maison, paru fin mars, lu en juin. Un récit bref, lu en terrasse. Il faisait beau, et j’attendais un café. Un récit sur la naissance du désir et qui se termine presque abruptement. Mais La Maison fascine le lecteur autant que le narrateur, jusqu’à ce qu’il s’en approche de si près… C’est du Gracq, l’écriture au millimètre. 84 pages, jusque-là inédites, intenses et concentrées.
3 août
Relecture du journal publié depuis mi-novembre. Beaucoup de questions sur le rapport à l’écriture, à ce qui s’est écrit de janvier à mars, à la place de l’écriture dans ma vie, et à celle de la vie dans l’écriture. La prise de note permet de garder trace. Elle s’avère utile : je retrouve le chemin parcouru. Et l’état d’esprit, que, parfois, j’oublie. Continuer à noter, ici. D’autant qu’un prochain chantier d’écriture s’ouvre.
4 août
Echange hier avec l’éditeur, réjouissant, comme chaque fois. Comme cela aura changé les choses en un an, cette confiance-là, ces discussions-là, et la publication qui se rapproche. En fin de mois, la maquette du livre de début 2024 à relire. Le chemin est long, et, surtout, il indique une direction pour la suite : ne pas être l’auteur d’un seul livre. L’éditeur, après que tu as écrit, c’est celui qui se pose le premier la question de la réception. La question, il ne faut pas se la poser quand on écrit : c’est paralysant. Mais, maintenant, oui. Comment garantir les meilleures conditions de réception possible pour le livre ? On en est là. Il n’y a plus qu’à.
5 août
Le poème est de retour. Enfant, adolescent, jeune adulte, je n’écrivais quasiment que ça. Ensuite, ça a été plus épisodique. J’ai continué, mais plus par goût de la contrainte que de la poésie elle-même. Et si j’ai continué d’en lire, c’est plus récemment que la poésie contemporaine m’a à nouveau intéressé. Quelques rencontres, peut-être. Et cet été un peu particulier, dans une année un peu particulière, je suis revenu au rayon poésie de ma bibliothèque (un des seuls rayons à peu près constitué, le reste est un bazar). Et j’ai écrit des poèmes. Alors, c’est assez modeste, mais retrouvé le goût, le plaisir, du rythme, des sonorités, retrouvé l’envie. Et c’est le genre d’envie qu’il ne faut pas réfréner, au moins pour le plaisir qu’on prend à l’écriture.
6 août
Bloqué depuis quelque temps, je n’arrive pas à me lancer dans le nouveau projet de livre. J’avais bien une page correcte, les grands principes, l’idée générale, des pages de notes de première intention, mais « ça » ne venait pas : impossible d’aligner les phrases, impossible de trouver le « flow » de l’écriture. Et donc, blocage. Il manquait (au moins) un truc. Et puis là, ce matin, hop. L’élément de contexte qui permet de rassembler les deux personnages principaux apparaît enfin. Simple, efficace, très « anecdotique », mais qui rend possible l’ensemble du reste. Il me manquait juste ça, et c’est venu en écrivant. Écrire pour écrire, toujours : la recette fonctionne. Allez maintenant aligner les 200 pages, ou les 300. Ou les 150. On verra ce que ça produit comme premier jet.
8 août
Deux jours de rien. Deux jours vides. Creux total. Ni écriture, ni lecture. Sec. Amorphe. Ne pas écrire, c’est déjà écrire, mais là, je n’ai quà peine pas écrit. Ailleurs. Si écrivain est un métier, c’étaient donc des vacances. En l’occurrence, plutôt une vacance, puisqu’un vide. Que cela ne se reproduise pas trop souvent. Mais besoin de ces retraits solitaires à ne rien faire. Le plus possible ne rien faire. C’est peut-être comme prendre son élan, sans savoir vers quoi. Préparer son plongeon sans savoir si la piscine est remplie. Hop. En espérant un plouf et ne pas s’écraser sur le carrelage froid d’un bassin désaffecté. Que le saut périlleux, au moins, soit réussi. Allez, reprendre.
9 août
J’ai cru qu’il fallait avoir écrit et publié son premier roman à 30 ans. De mémoire c’est l’âge ou Sartre et Camus publient La Nausée et L’Etranger. Et je ne l’ai pas fait. Je n’ai été ni l’un ni l’autre. Je crois que je le savais bien avant 30 ans. Mais cet âge m’a paru une limite raisonnable pour « faire quelque chose ». Et puis voilà. Il s’est passé 25 ans depuis. A qui me dirait que j’écris vite rappeler qu’il faut compter ces années là aussi.
10 août
Lu Les Fleurs du mal. Relu, sans doute. Mais je ne me souviens pas d’une lecture linéaire. J’y ai picoré, à l’adolescence. Je connais les textes les plus connus, pour en avoir certainement étudié quelques uns, au collège ou au lycée. Mais jamais l’œuvre complète. Découverte comme une première lecture, donc, de la progression du recueil. Et puis cette note à garder en mémoire : lire Baudelaire lorsqu’on est à la fois amoureux et désespéré. C’est comme pour les bons vins : il y a des conditions idéales de dégustation.
11 août
La date peut sembler u peu étrange pour tirer le bilan d’une année. C’est pourtant un bon moment. Donc, il y a un an, j’avais un manuscrit à envoyer. Il a été accepté par l’éditeur mi-août 2022. Il sortira début 2024. J’étais au milieu du Catalogue 2022. J’ai depuis écrit un roman, et le manuscrit a plu à l’éditeur. J’entame un nouveau. Quelques textes, ici, comme un peintre a son carnet de croquis. Tout avance. Le stress de la sortie du livre et de ses premières lectures par des libraires et des journalistes va monter. Beaucoup va se jouer là, d’ici la fin de l’année. Voilà qui va donner de la densité aux semaines. Et continuer d’écrire. Le carnet ici, le manuscrit, et le journal. La fin d’année sera belle.
12 août
Lire, enfin, L’Usage du monde, de Nicolas Bouvier. De ces livres que je serais censé avoir lu, mais que je n’ai pas encore. Certains que je garde pour plus tard, parce qu’il est bon de les avoir à lire pour la première fois. Ainsi, lorsque mon éditeur évoque Ulysse, de Joyce, j’interromps : « et là, je fais comme tout le monde semblant de l’avoir lu ? » Non, mais il faudra. Et tout dans ce « il faudra » a à voir avec le plaisir de l’attente.
13 août
Ne pas écrire, c’est déjà écrire. Cette phrase me trotte dans la tête. C’est la différence entre l’écrivain et qui n’écrit pas. Qui n’écrit pas n’écrit pas. Lorsqu’il n’écrit pas, l’écrivain écrit déjà. Ce temps de la non-écriture n’existe que pour l’écrivain. J’ai passé énormément de temps à ne pas écrire. Et ça compte. Mais personne ne savait que j’étais entrain de ne pas écrire : j’aurais tout aussi bien pu faire autre chose.
14 août
Première vraie nuit de sommeil depuis deux mois. Le journal, c’est ça aussi ? Dire qu’on a dormi, qu’on a rêvé, que c’était réparateur, et que si ça recule un peu dans la matinée la séance d’écriture, c’est pour la bonne cause. Allez, retourner au manuscrit.
15 août
L’idée générale, c’est que personne, ou presque, ne lit ce journal. Ce n’est pas une déclaration de modestie, ni une plainte, mais un constat serein. Deux choses motivent que je m’y tienne : garder une trace, et… en fait, c’est une chose. Le fait que peut-être quelqu’un pourrait lire : s’obliger à un peu de tenue. Au risque d’être plus attentif à l’image que je pourrais donner de moi si quelqu’un lisait qu’à une sincérité absolue.
17 août
Relecture de L’homme des foules d’Edgar Poe, et du Masque Rouge. La traduction de Baudelaire. J’ai lu, je pense, le premier recueil de nouvelles vers 16 ans (La lettre cachée, Le scarabée d’or, Le double crime de la rue morgue…). Je n’ai pas vérifié mais ça doit être Les histoires extraordinaires. Là ce sont Les nouvelles histoires extraordinaires. Ces deux nouvelles-là sont courtes, et je ne les ai découvertes que récemment, en atelier d’écriture avec François Bon, il y a un ou deux ans. Il faudrait avoir lu tout Poe, et retenu tous les mécanismes narratifs mis en œuvre. Une richesse énorme.
18 août
Écouter parler les écrivains de leur travail : toujours passionnant. Très belle série d’entretiens remise en ligne par François Bon sur YouTube : réentendre Philippe Vasset parler de la ville, et Jacques Roubaux, et Paulette Perec à propos de Georges : trois façons d’arpenter Paris tellement différentes mais qui, toutes les trois, font partie de ce qui nourrit le travail en cours. Arpenter la ville, des lieux, ses souvenirs, ses inconnues. C’est de ça qu’il s’agit.
19 août
N’explique pas trop quand tu écris, laisse des blancs. Le lecteur remplira ça et ça lui fera son livre à lui. Pas le même que le tien, pas le même que sa voisine. Quand tu écris, il faut que tu sois musicien pour le rythme et architecte pour les vides. Alors, là, il commence à se produire quelque chose. Et si ton texte est trop plein, évide.
20 août
Avoir pensé, m’endormant, à quelque chose qui serait bien à prendre en compte pour le projet en cours et savoir que ne pas l’avoir noté était un risque. Chercher, au matin, de quelle idée il pouvait bien s’agir. Ne pas trouver. Presque renoncer. Et, ouf, par chance c’était une idée simple. Elle est revenue. Plus simple à retrouver qu’à mettre en œuvre.
21 août
La déception tient à l’attente. Pour les livres comme pour le reste : ce qu’on espérait, et la réalité. Le livre lu n’est pas à la hauteur de sa réputation. Et la question qui se pose, toujours la même : si on ne m’en avait pas dit tant de bien, ne l’aurais-je pas trouvé un petit peu meilleur ?
23 août
Écrire sur le motif. Comme le peintre qui sort de l’atelier. Mais ce n’est pas exactement ça, même si c’est l’expression qui me vient. Ecrire sur le motif, ce serait revenir à l’atelier avec le texte fini. Non, j’ai un carnet de prise de notes comme le peintre, son carnet de croquis. Ces notes prises sur le réel, je vais les agencer, les réinterpréter, en écarter, parfois ajouter des pans de fiction. J’écris à partir de ce que j’ai capté du réel, et ça change tout, mais ce n’est pas exactement écrire sur le motif.
24 août
Il m’arrive toujours, lorsque le carnet n’est pas à portée de main, de prendre en note sur le téléphone quelques lignes que je m’envoie par mail. C’est parfois une fulgurance, une phrase, une image, l’idée d’un ordre, et d’une façon de raconter. Le travail d’écriture en cours est moins de flux : il me faut plus de temps pour « accrocher » les éléments les uns aux autres. Je ne peux pas vraiment me mettre devant la page blanche et laisser jaillir trois mille signes. Ce qui est ma façon d’écrire, le plus souvent. Là, j’ai besoin de plus de notes, plus de temps de préparation, avant que le chapitre se contruise sur la page.
25 août
L’heure des épreuves : relire le livre dans sa forme achevée, tel qu’il paraîtra, y apporter les ultimes corrections. D’abord avec la deuxième édition de mon manuel de techniques rédactionnelles qui devait paraître en septembre chez Dunod, mais j’ai pris du retard dans cette relecture qui m’a été impossible dans l’été. Parution retardée, peut-être à octobre. Ensuite, dans les jours qui viennent, du livre de début 2024. Soupeser chaque mot, chaque virgule, procéder aux ultimes coupes, assécher le style, m’assurer que ça va bien à l’essentiel. Corriger les épreuves.
26 août
Le temps de veille, la nuit, comme un temps d’écriture. Il ne s’agit pas d’insomnie, mais de cette heure parfois un peu plus, passée à m’endormir et à me réveiller (chance depuis des années de n’utiliser un réveil que très rarement). Là, dans ce qui ressemble souvent à un demi sommeil, le livre avance, les questions se posent. Les perspectives se dessinent. J’en perds une part, oubliée dans le sommeil, mais des éléments survivent à la nuit. Et je me dis que ce qui semble perdu ne l’est pas tout à fait et refera surface plus tard, nourrissant d’une façon ou d’une autre le travail.
27 août
Dans un article des Inrocks, à propos d’un Master de création littéraire : « une formation financée par de l’argent public n’est pas censée être au service d’entreprises privée ». Sérieux ? Quand on forme des plombiers ou des commerciaux, ça se passe comment ? Rien ne serait jamais pareil pour les écrivains ?
28 août
Si l’on est soi-même le personnage d’une fiction qu’on appelle notre vie et qu’on passe notre temps à réécrire sans cesse, l’autre aussi est un personnage de fiction, plus ou moins secondaire qu’on voit comme le héros d’un récit qui nous échappe et affleure dans le notre avec plus ou moins d’insistance.
30 août
Dans Sarah, Susanne et l’écrivain (Gallimard), joli tour de for ce technique d’Eric Reinhart qui, tout en discours indirect libre, rapporte l’échange de Sarah et de l’écrivain. Il a écrit la vie de Sarah, en changeant suffisamment les choses pour qu’on ne la reconnaisse pas. Le prénom a été changé : c’est Susanne. Ce jeu de perspectives est comme un labyrinthe de miroirs dans lequel on se perd avec plaisir, ne sachant plus parfois s’il est question de Sarah ou Susanne. Malin. Et pas sans me rappeler ce que j’ai tenté, avec d’autres techniques, dans Mum Poher où l’idée d’écrire la vie de l’héroïne sans qu’on puisse la reconnaître est centrale. Forcément, ça me parle.
31 août
Première mention de la parution de mon livre au Tripode en février. C’est dans Livre Hebdo. Et voilà qui fait rentrer le livre dans la sphère publique. Premiers messages reçus dans la foulée. C’est parti pour de bon. Fierté et trac. Les deux pour un moment.