51 – En terrasse

Choisir d’abord la terrasse avec soin, ombragée, et où nous n’avons jamais bu un verre ensemble. Une terrasse vierge de nos souvenirs communs. Une terrasse connue pour d’autres raisons, d’autres occasions, d’autres personnes. S’y asseoir un après-midi de juillet un peu chaud, ensoleillé, mais venteux. On est juste comme il faut, la bière est fraiche dans son bock et les conversations assez éloignées pour qu’on ne soit pas tenté de les suivre. Garder une chaise libre, au cas où tu viendrais à passer, et, même si tu ne passes pas par là, pour t’y imaginer assise et silencieuse, souriante et attentive au monde. Boire, et ne pas quitter des yeux celles et ceux qui se promènent deux par deux, dépareillés, court-vêtus, transpirant malgré la brise. Les feuillages des arbres font comme des vagues qui appellent les oiseaux. Les jeunes filles ont l’allure d’il y a quarante ans. Les garçons ont le cheveu mi-long, et boivent du vin blanc au verre. C’est plus chic sans doute qu’une pinte ou un pastis. Ça fume des choses électroniques aux parfums exotiques. De ta chaise vide, tu t’amuses toi aussi des passants, sans te moquer jamais, mais heureuse d’une variété qui te laisse espérer que chacun a sa place ici. Nous nous comprenons sans rien nous dire. Nous nous connaissons si bien depuis le temps. Tu aurais laissé infuser ton thé, puis tu l’aurais bu à petites gorgées. Je finis ma bière. Une femme un peu âgée nous regarde en souriant. Sans doute se dit-elle que nous sommes bien assortis, tous les deux. Nous n’avons envie de bouger ni l’un ni l’autre. L’après-midi peut bien tenter de tirer vers le soir, nous lui résisterons. Nous avons tant de choses à partager encore.

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