Écrire sans être lu. Gratte-papier, gratte, gratte, gratte-papier. Espérer l’encre bue jusqu’à la lie. Pas de pâté. Savoir le rôle du buvard, du trou dans le pupitre, pour l’encrier. Avoir trempé la plume métallique, avoir possédé ce stylo dont la pompe remplissait le réservoir. Avoir tracé les lettres du mieux possible sans étaler le noir ou le bleu sur la feuille d’une main malhabile. Noir ou bleu ? Choisir la couleur des cartouches. Il fallait le stylo plume obligatoire. On écrivait. Il fallait bien.
Ainsi sont venues les premières phrases, qui ont préparé les suivantes. Trop de phrases sans intérêt, mal agencée, courant après quelque chose d’insaisissable ou s’en détournant, repoussant le moment d’accomplir enfin ce qui aurait pu ne jamais advenir et que l’on jugera avec un peu moins de sévérité peut-être – mais sans complaisance – un peu plus digne de l’ambition initiale.
Et puis des phrases, toujours, encore, à nouveau, pour dire l’essentiel. Ce qu’on voit.
Le galbe d’un mollet perdu dans le cuir d’une botte. Le corps engoncé dans un manteau trop droit. La toile de laine masque la légèreté que l’on connaît pourtant, pour avoir vécu le printemps. L’ersatz d’un sourire nostalgique : la scène fait écho à une autre, encore douloureuse, qu’on serait seul à repérer. Tout semble retenu, contraint, subi, enfoncé dans le gris. Ce qu’on voit : un automne frileux aux promesses de déserts froids. Les yeux même, presque fermés, deux fentes sans expression. Mais savoir que la saison passera comme d’autres ont passé dans l’éclosion de leur éclat d’argent.
C’est ça que l’encre fixe. Transmet. Pour ça qu’on a noirci tant de lignes. Trouver les mots. S’approcher un peu de l’émotion. Frôler le sentiment. Remercier pour les miracles, les épiphanies, les quelques notes justes. Tenir le rythme. Indiquer la direction.
