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365 – correspondance 15

Correspondance sans correspondante. Lettres en poste restante. Missive to miss. Je ne sais pas si c’est une nouvelle série. Mais je t’écris. Peut-être que tu te reconnaîtras, si tu existes ailleurs que dans ces lettres.

Tu,

Certains matins, respirer est encore difficile. L’air est épais, poisseux ; il accroche les alvéoles et c’est comme se noyer un peu. Certains matins seulement. C’est mieux. Je me souviens que respirer était autrefois impossible.

Je crains que tu t’habitues à mon silence. Que tu y prennes goût. J’ai fini par m’habituer au tien. Je te suis même reconnaissant de ne pas me donner de nouvelles. Ce n’est pas tout à fait exact.. J’aimerais un mot de toi qui ne soit pas une réponse. Que je ne sois pas toujours celui qui relance la conversation. Je n’ai souvent pas pu faire autrement que t’écrire, c’est vrai. Et parfois, ce n’est même pas à toi que j’écrivais. Comment espérer qu’on s’y retrouve ?

Pas étonnant que l’on s’y perde. Que l’on se perde. De vue.

Comme tu l’as bien compris, rien n’a été plus important que toi. C’est trop. C’est beaucoup trop. C’est disproportionné. Je ne maîtrise pas tout à fait l’ampleur que les choses ont prises. J’aimerais.

On est dans le domaine de ce qui n’était pas possible. Comme respirer. On est dans ces zones grises, aux limites du champs de vision, en plein terrain vague. Quand je dis « on », je sais qu’il ne s’agit que de moi. Tu n’es pas là. Il n’y a que moi pour t’y voir. Je suis conscient des mirages, pas assez fou pour céder totalement à mes hallucinations. On est là où rien ne se construit plus et où poussent les herbes chétives aux feuilles à moitié mangées par les hydrocarbures entre lesquelles courent des chiens efflanqués, langue pendante, yeux exorbités. Ils jappent à peine, les cordes vocales usées par les nappes de gaz soufré. Il leur arrive de grogner après des rats à peine plus vaillants qu’eux. En pure perte.

J’en suis là, et c’est tout ce que j’aurais à t’offrir, tu vois. Ce n’est pas attrayant, je sais. Mais c’est ce que j’ai, et plus rien d’autre. Et tout serait pour toi, si tu voulais. Dans un conte de fées, on aurait l’espoir de transformer ce terrain abandonné en havre de paix. On referait le monde et peindrait l’horizon des couleurs qui ont depuis longtemps disparu pour le gris. On n’est pas dans un conte, et je me sais condamné, inconstructible, en friche, abandonné. Et sans espoir de projet.

C’est savoir te parler, non ? Pourquoi te mentirais-je ? L’air est visqueux et je m’y noie. Il n’y a pas de sauvetage envisageable. Ce n’est pas si triste. N’en sommes-nous pas tous là, d’une façon ou d’une autre ?

Je m’habitue aux gravats. Et je m’y terre. Et je m’y tais.

S.

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