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268 – Sinon, ça va

D’un message, de deux phrases, voire d’une seule, on t’enlève tout ce que tu étais. Ce n’était pas la première : on t’a traité de menteur, on a mis en doute tes capacités, on a réfuté ton expertise, on t’a retiré tes responsabilités, on t’a surchargé de travail. Au détriment du résultat, on t’a mis au ban de l’équipe et l’on a finalement refusé de te parler, refusé toute explication.

Tu aurais préféré mourir qu’être réduit à rien.

Tu t’es battu pour revenir. Tu as voulu croire au dialogue. On ne t’a pas écouté.

Tu as souffert, très concrètement souffert. Tu ne souhaites à personne ce par quoi tu es passé. Tu peux décrire en détails la douleur.

Tu as lutté.

Tu es revenu. On n’a toujours pas voulu t’entendre.

Tu as dit les mots qui précisaient la violence subie. Tu as tout mis en œuvre pour renouer le dialogue.

On t’a laissé espérer. Mais on ne t’a toujours pas écouté. On a refusé le dialogue qu’on avait accepté.

Tu as cru mourir : ce ne sont pas des mots. Ce qu’on t’a dit et ce qu’on a refusé de te dire a failli te tuer.

Ça ne suffisait pas.

On a décidé de ne plus te saluer. On a décidé de faire comme si tu n’existais pas. Tu es mort dans leur regard.

Tu es mort.

On t’a demandé de partir. On t’a demandé de demander de partir. Que ça vienne de toi, surtout.

On a accepté ton départ, évidemment, alors que tu étais malade, alors qu’on t’avait soutenu que ta maladie empêchait ta participation à tout dialogue. À tout dialogue sauf à celui qui permettait d’en finir.

On n’a pas eu honte de te laisser dans cet état là et de refuser encore de t’expliquer quoi que ce soit, et sans t’apporter aucune contradiction.

Tu es celui qui a survécu à la souffrance, celui qui a frôlé la mort, celui qui n’a plus confiance. Tu es conscient d’être un survivant et des images précises te rappellent que ce n’est pas une formule.

Tu n’étais pas en état d’aller réclamer le chômage. Tu ne l’as pas réclamé. Tu n’étais pas en état de chercher un travail. Tu n’en as pas cherché.

Le dossier pour lequel on a refusé de t’écouter a été perdu.

Tu sais pourquoi.

Mais tu es tombé malade de ton travail. Et celles et ceux qui auraient pu, qui auraient dû, n’ont pas su. Ni remplir leurs obligations, ni montrer leur humanité.

Ces gens qui n’ont rien compris continuent leur petite vie. Avec l’assurance que confère la bêtise.

Toi, tu as l’impression de mieux respirer certains jours.

Il y a des choses que tu ne fais pas. Toujours pas. Tu ne sais pas quand tu pourras. Ce sont des choses simples qui te sont devenues impossibles. Pour l’instant.

Négocier. Te promener en ville. Envisager l’avenir.

Tu peux tenir une conversation, animer un cours, participer à une soirée. Tu essayes de ne pas trop boire et de trouver des projets qui n’engagent rien de bureaucratique. Des projets qui ne te mettent à la merci de personne.

Tu reprends goût à certaines choses. Doucement, quelques heures par jour.

Et il y à la littérature. Il y a toujours eu la littérature.

Il y a la littérature et le noyau proche, essentiel, des gens qui t’aiment.

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