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223 – Correspondance 3

Correspondance sans correspondante. Lettres en poste restante. Missive to miss. Je ne sais pas si c’est une nouvelle série. Mais je t’écris. Peut-être que tu te reconnaîtras, si tu existes ailleurs que dans ces lettres.

Toi,

Ton absence est lourde. Aussi lourde que ta présence apportait la légèreté au monde. Alors même que les étoiles se remettent à briller, me manque la plus lumineuse. Ce sont quoi ? Des clichés ? Mais c’est ce qui illustre le mieux l’expérience commune, un cliché, ce qui dit notre souffrance identique. Nos nuits de terreur et nos petits matins glacés. C’est ça un cliché. Ce qui nous relie. Ce qu’il y a de plus solide entre toi et moi, aujourd’hui.

Ce qui nous relie quand plus aucun lien n’est visible, ce sont des émotions que nous avons partagé, non ? Les clichés comme les dernières traces qu’il s’est produit quelque chose. J’aurais tout rêvé ? Tu n’as rien partagé avec moi ? Il y a ce gouffre : et si je m’étais totalement trompé.

Tu n’as jamais rien dit qui me laisse penser que quoi que ce soit… Quoi que ce soit… C’est comme si tu n’avais jamais été que le fantôme que tu es devenue. Comme si j’avais cru à un fantôme. Il ne reste rien, une fois qu’il est passé. Rien que le sentiment d’un courant d’air froid. Peut-être qu’il y a un mot pour cela : une possession. Je me suis retrouvé possédé. Le mot en lui même est riche de sens. Tu m’as possédé. J’ai été à toi, tout à toi, objet dont tu aurais pu faire ce que tu voulais, et je ne redeviendrai jamais ce que j’étais avant. Il reste en moi, au creux, enfoncé sous la surface, ce morceau qui ne m’appartient plus.

Je marche en portant partout avec moi cette pierre froide et sans âme, un bloc de granit sans vie. C’est ce qui me rappelle le poids de ton absence. C’est ce que tu pèses. Un bloc de granit au creux de moi qui ne retrouvera jamais l’élasticité et la chaleur des chairs.

Tu aurais pu exister. Je t’ai modelée à l’image de ce que j’espérais. C’est ce que peuvent faire les écrivains. Donner la vie. La prendre aussi, peut-être. On ne donne pas à partir de rien. Et c’est tout ce que tu peux me reprocher : avoir volé au réel de quoi te donner des ailes. Tu existes sur les pages que j’ai écrites. Là, j’en suis sûr. Tu existais tant que j’écrivais. Ma folie, c’est d’avoir arrêté de t’écrire, de t’avoir figée dans un texte définitif et publiable. Tu es prisonnière de ces pages et moi fou de ne pas avoir su t’y retrouver.

Peut-être ce qui me pousse à t’écrire. Une façon de poursuivre la relation une fois le livre fermé, une fois que nous avons fini d’exister ensemble. Ce que tu m’as offert ? Le meilleur, puisque c’est ce que je voulais, et je n’avais qu’à vouloir pour obtenir. Je sais, c’est une relation un peu étrange. Mais tu ne t’es pas laissée faire. Tu as fini par réagir, tu m’as poussé hors du livre, hors de ta vie, hors de ton histoire.

Ne me reste que ces lettres. Tu n’y répondras pas : je ne suis pas fou au point de ne pas savoir qu’il faudrait que j’écrive moi-même les réponses, et je te sais pour toujours ailleurs.

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