Ne pas faire l’autruche. Après des jours la tête sous les coussins, comme un besoin d’évasion. Pour ne pas finir timbré, sortir de la routine. Besoin du bleu du ciel à travers les vitres, au moins. L’homme fait tout pour éviter le billard, mais il lui faut des lignes de fuite, un horizon, un semblable, un frère. Patience : la concupiscence viendra à son heure. L’homme voudrait s’évader, retrouver sa souveraineté, décider en son âme et conscience. Il se sent coincé, isolé. Pour s’en sortir, il a mis la main sur un vieux recueil de mots-croisés à moitié remplis. C’est tout lui, reclus, seul sur la case noire d’une grille impossible. Pris au piège horizontal : toucher aux limites. Écrasé par la verticale : maladie générale. Confiner. Pandémie. Impossible de sortir des mots qui s’imposent. L’homme gomme, invente des noms communs, des verbes inusités pour finir sa grille. Firnule, bassicouter. Faut les caser, ceux-là. Il sera plus fort que l’oppression. Il s’échappera. Il écrit sur sa chemise, au feutre, l’adresse de cet hôtel des Marquises qui l’a toujours fait rêver. Se colle un timbre sur le front. Plus qu’à se jeter dans la première boîte aux lettres venue, fermer les yeux et quand il les rouvrira il y sera, forcément. S’il tend l’oreille, il devine le clapotis de l’eau contre la coque des voiliers. L’homme se demande s’il ne perd pas un peu les pédales en refermant le dictionnaire.
Cette entrée du carnet de confinement a été écrite après que des lecteurs un peu joueurs ont dressé sur la page Facebook de l’auteur une liste de mots imposés : Evasion Timbre Routine Bleu Vitres Billard Lignes Autruche Concupiscence Après Frère Souveraineté Patience.
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