135 – Hurler

Je hurle. Je hurle de douleur et je hurle à la mort. Je hurle et personne ne veut de hurlement. Je hurle de douleur, et l’on m’oppose le silence. Je geins, je geins autant que je hurle. Je m’étouffe, et l’on s’éloigne. Je veux parler, on se détourne. Je hurle ma souffrance et personne ne veut entendre. J’ai franchi une frontière au-delà de laquelle plus une main ne se tend. J’ai traversé un désert au-delà duquel on ne veut plus savoir si j’existe ni comment. Hurler dans le désert. Et rien qui me réponde. Je hurle à m’en ouvrir la gorge, m’en exploser les poumons. Je hurle mais je parlais d’abord, j’argumentais même. J’ai essayé. On ne peut pas dire que je n’ai pas essayé. J’ai vu monter entre le monde et moi cette vitre sans tain. Je suis devenu invisible inaudible. J’ai tambouriné. J’ai crié pour qu’on tourne au moins la tête vers moi. Il aurait fallu écouter. Mais même ça personne pour l’entendre. Personne pour se souvenir. Je me suis vu me noyer, je me suis vu disparaître. J’ai crié mon nom pour qu’on sache que je me noyais. Mais la croisière a continué. Le bateau s’est éloigné. La musique jouait toujours et le bruit des vagues couvrait mes derniers râles. J’ai prié pour que ça n’arrive pas. J’ai nagé jusqu’à mes dernières forces vers le bateau, espérant pouvoir le rattraper, et redresser la barre, juste un peu, ça ne se jouait pas à grand chose. Et le capitaine a hissé la grand voile, accéléré, sûr que ça passerait. Pêché d’orgueil. J’étais trop loin, et petit à petit l’équipage oubliait. Quoi faire d’autre ? Je me suis noyé, bien sûr que je me suis noyé. Bien sûr qu’on ne m’entendra plus. Je suis fantôme errant sur les quais où le bateau n’abordera plus. On a sauvé les passagers, in extremis. Il reste le vague souvenir d’un qu’on a jeté par dessus bord. Mais pourquoi y penser ? Ils ont failli arriver à bon port. Ils ont failli. Et je hante les docks. Mes hurlements n’ont plus de sens. On ne les entend pas dans le vent. Plus personne pour voir mon ombre. Personne pour se retourner et se demander : et si on l’avait écouté ?

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