Journal – 17

15/2/22

Le moment juste avant l’atelier : tu fermes les yeux, tu relis peut-être tes notes, et cherches les mots qui serviront de déclencheur. Il faut nourrir les participants, leur donner à penser, ou à rêver, ou à construire. Et puis, quoi ? La phrase qui les pousse à écrire, à se jeter sur la page comme d’une falaise. C’est un moment de concentration, car l’énergie qu’il va falloir trouver dans les trois heures qui suivent n’est pas dans les textes sur lesquels on va s’appuyer, ni dans les notes qu’on a préparé, ni dans ce qu’on a choisi de leur lire, mais dans l’improvisation du moment. Il va falloir leur donner cette énergie et donc la puiser où elle est. Pour ça se recroqueviller sur soi comme le ressort avant la détente.

16/2/22

Chaque mercredi matin découvrir le catalogue dans lequel je vais découper les produits qui inspireront les microfictions du Catalogue 2022. Chaque fois la surprise du thème mis en avant : un pays, une gamme d’objets, un événement. L’enjeu semble être pour le marchand de toujours surprendre le chaland. Si quelques produits de saison reviennent de semaine en semaine, nombreux sont ceux qui ne font qu’une courte apparition, souvent unique. Cela me garantit un constant renouvellement des possibilités même si je ne veux pas tomber systématiquement dans cette facilité et ne recule pas devant le trivial d’une botte de poireau : j’aime le défi du très quotidien.

17/2/22

Quel indicateur pour la réussite d’un atelier d’écriture ? La qualité des textes produits ? Il faudrait hiérarchiser, déterminer que certains sont donc moins “bons” que d’autres, et d’autres meilleurs que les uns. La tentation est là : le texte sur lequel il n’y aurait aucun retour à faire, rien à redire, le texte qui tiendrait, parfait, et évident. Même celui-là est sujet à discussion car il s’agit alors d’interroger l’autrice (plus souvent une autrice qu’un auteur, les hommes sont minoritaires dans le public). Les difficultés qu’elle a rencontrées, ce sur quoi elle s’est appuyée sur écrire, ses réminiscences, les techniques mises en œuvre : ses réponses lui en diront autant, ou plus, que ce qu’on aurait pu lui dire directement, et serviront à l’ensemble des participants. L’indicateur du succès de l’atelier, quand l’occasion se présente ainsi, c’est que les participants reviennent au suivant : ils ont trouvé quelque chose. Et puis, au moment opportun, c’est qu’ils ne viennent plus parce que le tour de la question est fait. A eux d’écrire, maintenant.

18/2/22

Dans Gustave Flaubert, La Fabrique de l’œuvre (Éditions des Falaises), le professeur Yvan Leclerc consacre quelques pages aux outils d’écriture de Flaubert : la plume, l’encrier, le papier. La plume, c’est la plume d’oie, taillée avec un canif spécial, comme il faut, et ce lien à la nature dans l’écriture. Flaubert ne passe à la plume de fer que contraint et forcé, rarement, quand il n’a pas le choix et n’y trouve aucun plaisir, au contraire. La plume de fer, moderne, annonce la littérature industrielle. Il résiste et partage son dégoût de l’outil moderne avec Baudelaire. Jamais écrit avec une plume d’oie, et j’en serais sans doute incapable. Le temps a passé, et la plume de fer aussi. Même résistance à l’arrivée du stylo à bille, puis d la machine à écrire, puis de l’ordinateur. La littérature a survécu. Cette histoire des outils, des résistances, des changements induits n’est pas anecdotique. Elle fait système, avec ses anciens et ses modernes, chaque fois. Et, oui, elle a sans doute de l’influence sur ce qu’on écrit. Il faudrait que je retrouve dans mes cartons le dossier que j’avais consacré à l’influence de l’ordinateur sur la façon d’écrire dans le magazine dans lequel je travaillais alors. C’était en 1996, ou 1997… Gustave Flaubert, La Fabrique de l’œuvre est un beau livre consacré aux manuscrits de Flaubert à la bibliothèque de Rouen que je recommande.

19/2/22

Changement professionnel. Ce n’est pas le sujet de ce journal. Mais les conséquences des conditions d’exercice de l’activité professionnelle sur le temps d’écriture et de lecture personnel. Pas seulement une question d’heures libres, mais de temps de cerveau. Comme si une quantité limitée de créativité était disponible et que ce qu’on donne d’un côté n’est plus mobilisable de l’autre. Comprendre les écrivains qui ont fait le choix de l’emploi de bureau le plus subalterne pour n’avoir rien d’autre à penser. Admirer ceux qui conjuguent carrière de haut vol et œuvre remarquable. On va faire ce qu’on peut. Me dis que ce qui peut me sauver, c’est le dispositif : comme il m’engage à produire quoi qu’il se passe par ailleurs. Je ressasse un peu.

20/2/22

Les livres s’empilent. Jamais le temps de lire tout ça, non. Et en acheter d’autres, et encore. Qu’on ne lira pas, forcément, mais qu’on a envie d’avoir là, à portée de main. Au cas où. Qu’on a envie de feuilleter, qu’on a envie de pouvoir attraper. Et en acheter encore, de nouveaux. Depuis le début de l’animation d’ateliers d’écriture, c’est pire : acheter des livres au cas où ils pourraient servir. En espérant y trouver quelque chose d’utile pour. La notion de “bibliothèque d’atelier”. Les livres non pour les lire mais pour y puiser matière à faire écrire. Le livre comme outil de travail. Et là, il m’en manque plein qui pourraient servir, sans compter ceux que je ne connais pas encore.

21/2/22

Plongée dans Le Dépaysement, voyages en France de Jean-Christophe Bailly avec l’idée de m’y appuyer pour un atelier d’écriture. Dans les plis et déplis du paysage, Jean-Christophe Bailly (aucun lien de parenté) cherche ce qui fait la France. De très belles pages, et une capacité de l’auteur à toujours faire lien avec ce qui précède qui empêche de sortir de là, comme on pourrait s’y attendre, quelques textes pour anthologie. Toujours une référence au paragraphe qui précède, ou presque, et qui empêchent l’extrait : comme un enchevêtrement continu du propos. Et cet usage des parenthèses pour un deuxième niveau d’intervention du narrateur (peut-on le distinguer de l’auteur ?), qui vient en contrepoint, et parfois pour de longs passages, préciser l’intention. La lecture comme voyage : on vient toujours du texte lorsqu’on avance dans la lecture, un voyage, pas une succession de cartes postales. Ce ne sont là que notes sans queue ni tête sur un livre riche. Son objet, il faut le dire, n’est pas simple à saisir. C’est quoi la France, quand c’est un écrivain qui se colle à la question ?

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