12 – Supermarché

L’exercice imposé des courses n’offrait jusque-là que peu d’attrait. De samedi en samedi, c’est tout juste si les promotions en tête de gondole levaient encore le sourcil de l’homme contraint au ravitaillement. Le confit de canard par douzaines de cuisses, une caisse de rosé-pamplemousse offerte pour deux achetées, le deuxième paquet de crackers saveur olive-garrigue à 60%. Rarement de quoi rêver. Tout cela est de l’histoire ancienne, et il aurait dû mieux en profiter, sauf du rosé-pamplemousse dont la généralisation incompréhensible était de ces détails anodins qui marquaient sans doute la fin de la civilisation. Aujourd’hui, c’est risquer le lumbago pour le dernier paquet de coquillettes après deux heures d’attente à un mètre au moins dans une file interminable. Mais le jeu en vaut la chandelle. L’homme déploie des trésors d’inventivité dont il s’ignorait capable : choix de l’horaire, parcours optimisé de l’entrée au rayon thon et sardines, calcul de trajectoire entre les pyramides de chocolats (qui se nourrit de chocolat ?), stratégie d’évitement des retraités bloqués, cassés en deux par leurs quintes de toux à trois pas des pots de cornichons, contrôle des distances de sécurité avec les enfants insolemment roses et bien portants suçotant tout ce qui tombe à leur portée. Ses capacités d’adaptation à l’hostilité omniprésente le surprennent lui-même. Les roues du caddie choisi avec soin ont l’adhérence parfaite pour le virage en épingle à cheveux entre l’eau gazeuse et le papier toilette. Il sait se satisfaire du nécessaire. Et l’homme ose même faire ses courses en semaine.

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