Journal – septembre 2023

2 septembre
Reçu la maquette des pages intérieures du livre à paraître en février aux éditions du Tripode. Choix de la police de caractère, du corps, des interlignages, équilibre de l’ensemble, lisibilité, confort… Tout ça fait l’objet que les lectrices et les lecteurs auront entre les mains. Un soin du détail qui m’enchante. Et le livre s’approche plus que jamais de sa matérialité. C’est le travail de l’éditeur, et je vois avec émotion mon texte qui devient livre.

3 septembre
À trois dans une voiture, moi, un ami écrivain, une jeune femme. La confiance qu’il faut pour écrire… dit-elle, regrettant de ne l’avoir pas. Mais non, c’est chaque fois l’absolue incertitude, le trac, et pour les auteurs de best-sellers auxquels j’ai pu en parler aussi. A chaque fois, c’est tout remettre en jeu, et la crainte de n’y arriver plus, de n’y être arrivé jusque-là sur un coup de chance, et qu’on ne pourra plus, que ça ne se reproduira pas. C’est le manque de confiance qui fait écrire, et c’est conjurer le sort que de tenter encore.

4 septembre
Félicitations pour le livre au Tripode, me dit pour la première fois quelqu’un que je vois pour la première fois. Et pour la première fois ne pas très bien savoir quoi répondre. Je ne suis pas près à parler du livre… Il me faut une façon de dire de quoi ça parle. Parce que c’est ce qu’on attend de l’auteur, raconter un peu et donner envie de lire.

5 septembre
Il faut une fin à tout voyage et bientôt seulement des souvenirs. On rentre les larmes aux yeux, oubliant que ce qui se joue alors, c’est déjà le voyage suivant. Il faut la douleur d’un départ pour le bonheur d’une arrivée. Et ainsi de suite. Parfois, on n’est pas tout à fait parti tant que rien de le dit, et puis la violence d’un arrachement se révèle exactement ce dont on avait besoin. Toujours remercier la douleur pour la vie qu’elle prouve encore là.

6 septembre
Reçu hier une bien belle lettre d’un lecteur d’Eno, la chasse aux rastacs. Plus de trois pages pour dire tout le bien qu’il a pensé de mon roman jeunesse. Et tout ce qu’il y a trouvé de positif, et c’est presque trop mais l’auteur est faible et accepte les compliments avec une gourmandise et peu de culpabilité. Parce que c’est exactement pour que les jeunes ressentent ce que celui là m’écrit que j’ai écrit cette histoire.

7 septembre
Il y a quelque chose d’un peu magique, lorsqu’un élément vient s’ajuster exactement dans le reste des idées, des notes, des images, des scènes qui petit à petit constituent la base de ce que sera le texte à venir. Ici ce sont deux vers d’une chanson qui apporte la couleur, l’intensité, la densité qui manquait encore à l’ensemble. Et cette phrase vient donner au personnage féminin sa personnalité. L’ajustement se fait dans l’imprévu d’une marche matinale.

8 septembre
Voir Edmond, le film, repenser à Cyrano, le personnage. Et à cette figure de l’écrivain dont la prose est si bien tournée que ce sont ses textes qui séduisent. Et ce malheur : n’est pas Cyrano qui veut. Et dans la vie, on a beau écrire, les filles préfèrent toujours les footballeurs, partent avec le chanteur. C’est un chouette film, Edmond.

9 septembre
Cette fin d’été trop chaude, beaucoup trop chaude, est propice aux promenades, aux marches, aux traversées de la ville et aux stations en terrasse, dans les jardins publics, sur les marches inutiles des bâtiments. Y lire, y écrire, y regarder passer les passants, les passantes. Tentative de croquer sur le vif, en quelques mots, l’autre assis non loin. Je ne sais pas décrire les corps, en tout cas, je crois ne pas savoir. M’imposer en quelques lignes de dire ce corps étranger dont je ne sais rien, et sans tomber dans les clichés (le cou de taureau, la taille de guèpe). On dit comment, l’autre et ce à quoi il ressemble ? En échappant aussi au vocabulaire anthropométrique, car compte l’émotion dégagée, l’énergie. Et quoi, il n’y aurait pas que la vue, l’autre n’est pas statique. Sa façon de bouger (c’est encore la vue), mais aussi son odeur, si l’on passe assez près, son contact, éventuellement, comme il parle, ou respire. Il y a plein d’autres à portée de croquis en ces journées trop chaudes. Multiplier les autres.

10 septembre
Recevoir « le texte peaufiné », dans sa mise en page avant l’ultime correction. Voilà. Cette relecture à faire. Peser chaque mot encore. On fait ça combien de fois tout en sachant qu’on trouvera dans le livre imprimé un regret, mais c’est ça, décider que le livre est fini. Parce qu’il n’y a aucune raison de terminer jamais, sinon. Chaque jour, on n’est plus exactement l’auteur de la veille, et l’on pourrait tout reprendre.

11 septembre
Lire une histoire, celle d’un personnage auquel il arrive des choses : il y a, derrière le livre, un scénario, plutôt malin, voire intéressant, parfois captivant. Et c’est bien écrit, agréable à lire, peut-être même un peu original, en tout cas, on n’avait pas lu cette histoire, et on apprécie le style. Dans les meilleurs des cas. Mais l’histoire n’est pas le prétexte, l’histoire est le texte. Est-ce qu’on doit, à ce moment-là, convenir qu’il ne s’agit pas de littérature ? S’il n’est pas question de la langue, s’il n’est pas question du récit, s’il n’est question que d’une histoire à raconter, est-ce qu’on parle de littérature ? Je connais la réponse des uns et des autres.

12 septembre
Hier, un livre est parti à l’impression, la seconde édition de Maîtriser les techniques rédactionnelles, aux éditions Dunod. Voilà. Je n’ai pas précisément la date de sortie. La tête trop prise ailleurs ces derniers mois, je n’éprouve pas d’émotion particulière. Une seconde édition, pourtant, c’est le signe d’un succès dont je devrais me réjouir. Mais je suis entièrement tendu vers les livres suivants, et ça n’avance pas au rythme que j’aimerais. Je suis trop lent, trop englué, trop déconcentré. Les épreuves à relire, le texte à écrire. Je devrais ne faire que ça.

13 septembre
Soirée de lecture et de rencontres inopinées. Commencer un livre en terrasse et voir son auteur passer a quelques mètres, le saluer son livre à la main, ostensiblement, aimer le livre et ne pas pouvoir se coucher sans l’avoir fini. C’est N’Ajouter rien, de Fabrice Chillet. Ça vient de sortir et c’est un petit bijou (c’est là que j’ai continué de le lire, à la Pizzéria Bijou). Il y est question de livres, d’écriture, et de ce que c’est que ce bazar là : arriver ou non à en faire quelque chose…

14 septembre
Ce qui a changé depuis janvier, dans l’écriture, c’est la recherche de l’émotion. Pas exactement, c’est la recherche de l’émotion comme source de l’écriture. Avant, non, de la technique, une histoire, mais je ne puisais pas à la source de l’émotion. J’aurais même trouvé ça assez moyen, à vrai dire. Mais, aujourd’hui, c’est là que je puise, et pour y puiser, il faut la ressentir, l’émotion, et ne pas mentir. En tout cas, j’en suis là. J’en suis là avec le sentiment étrange que ce n’est pas là où je m’attendais à être. Mais les résultats obtenus ne me semblent pas inintéressants. Simplement plus couteux en énergie.

15 septembre
Travailler sur les émotions, ce n’est pas faire avec celles qui me traversent, et que la vie m’impose. En tout cas pas seulement. Il y a celles qui m’ont déjà traversées, et que je convoque pour l’écriture. Et celles qui n’existaient pas, et rapproche l’écriture de la folie, qui naissent de l’écriture et grandissent avec elle. Elles existent, autant que les autres. Au moins le temps de l’écriture et, parfois, elles s’échappent et vivent leur vie d’émotion. Comme n’importe quelle autre.

16 septembre
J’ai pris dans la grande bibliothèque de ma grand-mère et de mon oncle les livres qui constituent mon héritage. J’ai toujours vu ces étagères comme l’indubitable ouverture sur le monde, l’indubitable ouverture d’esprit, l’indubitable possibilité qu’une autre vie était possible. La maison nous échappe, car ainsi vont les choses et les souvenirs avec, mais les livres, eux, nous suivent et, aussi futile que ce soit, nous survivent.

17 septembre
Très personnelle et fondamentale, cette histoire de maison de famille à laquelle on finit par dire adieu. Cette question du lieu, du refuge, de ce qu’on a longtemps cru immuable. Personnel et universel, le rapport aux lieux, et parfois à un lieu parmi tous les autres, et même à une pièce où peut-être tout s’est joué dans l’enfance et que d’autres vont investir de nouvelles émotions, ignorant le petit garçon qui se faufilait au matin jusqu’au lit de sa grand-mère. On parlait, on écoutait à la radio aux mêmes heures les mêmes programmes et, surtout, j’avais l’assurance d’un refuge où tout était pardonné d’avance et rien ne pouvait arriver. L’héritage, c’est être au moins ce refuge pour celles et ceux qui sont là et qui viendront.

18 septembre
Une étape de plus est franchie pour le roman de février : la dernière relecture avant passage chez la correctrice. Le texte est mis en page, au plus proche de son aspect final. J’ai ajouté quelques virgules, changé une demi douzaine de mots. On pourrait continuer comme ça longtemps à peaufiner. Le texte est reparti. Très bientôt, on n’y touchera plus.

19 septembre
Pas de meilleur endroit pour le carnet de notes que le café. Calme ou bruyant, avec ou sans musique, avec ou sans conversations. C’est là que le livre bourgeonne, dans le terreau de la vie, là où un type seul avec son carnet ne paraît en rien incongru.

20 septembre
Lecture de L’Amour de François Bégaudeau (Verticales). Beau livre sur la banalité. Et belle maîtrise du temps (une vie en 90 pages). La prouesse narrative est là : dans les sauts temporels : références aux dates du journal intime de l’héroïne, puis aux « progrès » techniques de plus en plus rapides. C’est tenu avec brio.

21 septembre
La longueur de ce que j’écris est influencée par la taille de l’écran. Plus l’écran est petit, plus j’écris court. Il m’arrive fréquemment de rédiger directement sur le téléphone, les entrées de ce journal, par exemple. Sans lancer une grande étude scientifique, je sais que le nombre de mot est moindre sur l’écran du téléphone. J’allonge la foulée sur l’ordinateur. Il se passe sans doute un phénomène qui m’échappe, et qui est assez simple, en vérité, une fois l’écran du téléphone rempli, le sentiment du devoir accompli. Je ne vois que ça. Sur l’ordinateur, je peux toujours ajouter une ligne. Et encore une. Je ne remplis pas tout l’écran pour le journal, mais sans doute est-ce une unité de mesure valable pour les textes plus long. Et c’est ainsi que les conditions techniques façonnent le texte.

22 septembre
Les semaines sont riches de tant de soubresauts qu’elles me semblent durer quatorze jours.

23 septembre
Ce moment où tu es entrain de prendre une décision. La décision n’est pas prise. Elle est juste là, au coin du cerveau. Tu sais déjà qu’elle sera prise, mais tu suspends. Tu fais encore un peu semblant de peser le pour et le contre, tout en sachant que tu n’as plus vraiment le choix. Tu vas la prendre, tu ne l’as pas prise. Mais savoir que tu vas la prendre, c’est un jeu avec toi même, comme un arrêt sur image, l’instant avant de sauter. La tension des muscles a déjà commencé, tu peux encore renoncer. Si le plus gros de l’effort est déjà consenti, l’équilibre est encore du côté de la terre. Tu regardes le vide devant toi, tout est prêt pour le saut. Il n’y a plus qu’à.

24 septembre
J’ai un rapport un peu conflictuel avec la bêtise. Bêtise : ne pas la supporter. Etre le plus possible conscient de la mienne. Celle des autres est intolérable. Et c’est sans doute là une part de la mienne. Car, après tout, il faudrait en prendre son parti. Le constat de l’absence de lucidité, inhérente à la nature humaine, n’est malheureusement pas assez partagé. Faire avec ce qu’on espère être.

25 septembre
Cette histoire de comment se construisent les personnages. Pas dans la fiche de personnage des scénaristes, mais dans la glaise même du texte. Dans la matière. Il y a les observations, le plus souvent des presque rien. Une attitude, une moue, un mot, une façon de se tenir, une anecdote entendue, et se fait le patchwork. Pas toujours (parfois c’est une personne donnée qui nourrit quasiment exclusivement le personnage), mais là, dans le travail en cours, un début de patchwork. C’est le personnage du texte d’avant, et pas tout à fait, de moins en moins au fur et à mesure que se retravaille la glaise. Le Dr Frankenstein, ce n’est pas un savant fou. C’est l’écrivain précisément qui façonne son personnage, son golem. Et c’est à la fin qu’il prend vie, s’échappe, se dote presque d’une conscience que lui donnera pour de bon le lecteur.

26 septembre
Regarder. Regarder, c’est sortir, c’est choisir le lieu public, c’est noter ce qui se passe. C’est l’aspect superficiel des choses, encore, et c’est qu’on peut montrer dans un texte. Mais pour les ressorts, pour le réalisme des ressorts, c’est parler, parler avec le plus de gens possibles. Et encore, ce n’est pas assez. C’est passer du temps, c’est voir évoluer, c’est vivre, en somme. Pour écrire, vivre ? Tout simplement ? Qu’est-ce qu’on peut comprendre ? Pas grand chose. Là, j’ai changé. L’idée même qu’il y aurait quelque chose à comprendre. J’ai laissé longtemps ça au placard.

27 septembre
Changer de méthode d’écriture. Les deux manuscrits précédents écrits par jaillissement de flux de 2000 à 3000 signes. Le premier sans notes, le suivant, déjà avec un carnet, mais peu utilisé, finalement, plus comme un à-côté. Le texte en cours : le carnet est central, et même en avance de plusieurs semaines, sans doute, sur la rédaction du manuscrit qui se nourrit presque totalement des notes prises sur le vif. Des notes souvent courtes, des observations, des scènes, des choses vues, des réflexions qui sont comme le tas de pierres dans lequel on va choisir la suivante à placer sur le mur, parce qu’elle s’emboite parfaitement là, avec peu de mortier, et qu’elle aura de l’allure. Dans le mur, toujours, les pierres les moins belles à l’intérieur, que personne ne verra ensuite, mais qui donne la solidité à l’ensemble. La littérature est une maçonnerie. Passez-moi le fil à plomb.

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