Journal – 12

11/1/22
Cette fois, ça y est mon roman Mum Poher est rendu accessible. Si par hasard un lecteur le voulait, il pourrait se procurer le livre. Si par hasard j’étais un jour invité à une table dans un de ces salons du livre où l’on laisse des lecteurs s’approcher des auteurs, je pourrais en avoir une pile devant moi. Je n’écrirais plus ce roman du tout de la même façon, et c’est un sentiment étonnant : se détacher de ce sur quoi on a passé tant de temps. Mais le livre a touché quelques lectrices, quelques lecteurs, et il y en aura peut-être quelques autres. Et puis c’est une étape importante pour moi, donc, ne pas renier, et même y prendre encore un certain plaisir. Et l’histoire est belle, et les jeux de miroir me plaisent. Passé une bonne semaine dans le texte à corriger, mettre de l’italique, changer une ou deux tournures. Et c’était agréable.

12/1/22
Relire le début des Choses de Georges Perec et retomber sous le charme de ce conditionnel : il y aurait. Toutes ces pages qui sont si fortes uniquement grâce à cela. C’est le temps de la résolution des mystères, le temps des rêves, le temps des jeux d’enfant. C’est un temps qui permet de dire au lecteur ce qui n’est pas, ce qui pourrait advenir, tout en lui cachant ce qui est, ou plutôt, en lui disant tout ce qui aurait pu être par ailleurs. Tu serais un cow-boy, je serais un indien, tu serais la marchande, je serais la cliente, tu serais la police, je serais les voleurs : et voilà, on commence à (se) raconter des histoires. Voilà, juste le conditionnel de Georges Perec et tout va pour le mieux.

13/1/22
En deux soirées, ai rédigé un long texte d’une phrase sur l’homme feuilletant le catalogue de promotion de la semaine. Une seule phrase comme en apnée, jusqu’à l’écoeurement : énumération sans fin de produits pour la plupart inutiles. C’est le premier hors-série du projet Catalogue 2022. Une lectrice a reconnu le catalogue, qu’elle lit, elle aussi. C’était prévisible. Je n’en tire aucune réflexion pour le moment (mais il doit y avoir des choses à en tirer). Il y aura peut-être, sans doute, d’autres hors-série, la série principale étant les textes et vidéos quotidiens, chaque fois autour d’un (ou plusieurs) produits découpés format carré directement dans la matière (numérique) du catalogue. Hâte que ça fasse un peu plus masse. Et ça vient, jour après jours.

14/1/22
Dans la soirée, webinaire d’une heure avec une petite dizaine de prétendants à des concours de la fonction publique. Histoire de leur parler d’écriture et des fondamentaux pour que leurs copies sortent du lot, ou au moins ne les fassent pas plonger dans la masse indistincte des recalés. C’est court, une heure, et à la fois long pour faire passer quelques principes. Toujours un plaisir de parler d’écriture, toujours un plaisir de démontrer, de convaincre, et je l’espère de faire gagner un point ou deux, au moins d’éviter d’en perdre. Car si ce petit monde aura bien retenu une chose, j’espère, c’est que bien écrire ne leur fera pas gagner de point alors que la confusion, les phrases alambiquées, le vocabulaire creux ou abscons, ça, ça pourrait bien leur en faire perdre. Il sera toujours temps de faire de “jolies” phrases après le concours.

15/1/22
J’ai donc relu Les Choses. Et Perec vieillit peu (60 ans nous séparent de ces Choses). Dans l’édition de La Pléiade, le texte est suivi de quelques commentaires de l’auteur sur son travail sous le titre “Comment “Les Choses” a été écrit”.
« […] j’avais amorcé mon propre moulin à paroles en ramenant en tas sur des bouts de papiers de formats divers des éléments venus d’horizons variés : autobiographie, idées, trucs, fragments pouvant servir.
Et tout ce que je pus en dire c’est que peut-être ces bribes formaient comme une espèce de forme creuse : la pièce manquante d’un puzzle qui commencerait à représenter quelque chose. »
“[…] je ne me suis pas un beau jour assis à mon bureau en me disant in petto : “Tiens ! si j’écrivais Les Choses ça ferait un bon Renaudot”
“L’inspiration, l’éclair de génie, les cheveux en broussaille ne me semblent absolument pas rendre compte du travail que j’ai effectué au cours de ces trois dernières années (de mai 1962 à janvier 1965 – laissons de côté les corrections d’épreuves) et qui a abouti à un petit ouvrage de 130 pages.”
“Mais je suis parti avec l’idée que mon livre aurait 300 pages – une bonne moyenne – et en fin de compte, après avoir recommencé trois ou quatre fois, je n’avais que 130 pages et j’en étais tout triste. Mais c’était comme ça.”

16/1/22
Le manuscrit toujours chez l’éditeur et toujours suspendu à une réponse. Il a franchi des étapes, reste la dernière et l’espoir que le téléphone sonne. Cela prend trop longtemps et comprendre que ce temps-là, on ne le maîtrise pas, qu’il faut faire avec. Ce n’est pas de l’impatience, mais envie de savoir si le texte, que je crois bon, va trouver par là son public. Ce n’est pas tout à fait anodin, et même cela changerait son statut. J’aimerais que le téléphone sonne, et qu’il y ait de quoi fêter quelque chose. Je sais la concurrence rude. Je sais les enjeux économiques. Une réponse négative ne remettra pas en cause la valeur du texte. Il faudra alors relancer la machine, les envois, attendre les lettres de refus. En cas de réponse positive, se préparer à défendre le texte de toute son énergie et convaincre, convaincre encore. D’abord des représentants qui en ont vu d’autres et devront convaincre à leur tour les libraires que jeter un œil à ce livre vaut le coup. Je sais que tout ça est un jeu, une loterie dans laquelle il n’y a pas grand-chose à gagner. Allez, ce texte est bon. Il faut qu’il ait sa chance.

17/1/22
Suis passé de bonne heure hier au supermarché. Là où les personnages de Catalogue 2022 se rêvent une vie pleine d’objets bon marché, de promotions, de raretés exposées le temps de ventes éphémères. Grande surface, discount, prix cassés : cet univers déjà décrit par d’autres, et avec quel talent !, je le prends par le petit bout de la lorgnette, même pas toujours par la tête de gondole. C’est un produit, puis l’autre, et pour chacun ce qu’il évoque, provoque, dans le monologue intérieur d’un personnage, dans sa vie inventée. Une fiction dans les rayons, qui ne dure pas plus que le temps où l’œil se pose sur l’objet. L’objet, lui, jamais cité dans le texte, mais son image est là. Et ce qui se noue, c’est dans le lien toujours différent, immaitrisable, que le lecteur fait entre l’image et le texte. Dans l’image, le prix, le nom du produit, une photo, quelques mots parfois. Et dans la fissure, la faille, les raccords entre le texte et l’image, se glisse l’émotion de l’interprétation qui renvoie chacun à ses propres expériences. Enfin, ça devrait être à peu près ça, Le Catalogue 2022.

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