Journal – octobre 2023

1er octobre
Pour cause du déménagement du site web d’un hébergeur à un autre, pas d’entrée du journal les derniers jours de septembre. Il faut parfois mettre un peu les mains dans la technique quand on publie sur le web, et, pataud comme je suis, ça me prend parfois un peu de temps et c’est pour régler des problèmes qui paraîtraient pourtant simples à beaucoup de gens (et insolubles à beaucoup plus). Cela n’a pas empêché de lire, ni d’écrire. Seul le journal en a fait les frais, et le Carnet d’écriture du blog, où je n’ai pas publié de nouveau texte. Allez, problèmes techniques (et sans grand intérêt), résolus. Reprendre les routines.

2 octobre
J’ai pris dans une bibliothèque de famille, dans une maison vendue, quelques livres en souvenir. C’était un mur entier de livres, et quelques rayons ou piles, ici ou là, quelques trésors, et j’en ai sans doute laissé sur place, mais j’ai dans mes rayons, des livres lus dans l’enfance, et quelques autres que je n’ai pas ouverts, du Loti, du Sagan… De belles choses. Et quelques reliques. Les livres ont ceci de fort qu’ils passent de génération en génération et nous relient à nos fantômes. Ce sont des mains aimées qui les ont ouverts, des yeux chéris qui les y ont lu, des imaginations respectées qui s’y sont plongées. Le bois de la bibliothèque est fait des planches de l’arbre généalogique.

4 octobre
Le livre nait. Parfois l’homme (Le Tripode) paraîtra le 8 février 2024. Déjà, il a été présenté aux représentants qui, eux-mêmes, à travers la France vont aller le présenter aux libraires, et les libraires pourront à leur tour bientôt le lire, puis le conseiller aux lecteurs. Cette présentation aux représentants, c’est le premier engrenage de la machinerie qui pousse un livre dans les mains des acheteurs. Ensuite, c’est au livre de se défendre. Bref, la mécanique est lancée. Les tous premiers retours ? De ces représentants habitués à lire, exigeants, et qui en ont vu d’autres ? Plus qu’encourageants. Et, ça, ça met du baume au cœur de l’auteur.

5 octobre
L’éditeur me demande la liste des livres que j’emporterais sur une île déserte. Et de me faire remarquer, plus d’un an après, alors qu’il envisage que cela ferait un assez bon portrait de moi, la liste de ces livres, que tous ont été écrits par des hommes. Admettons ce premier mouvement, ne corrigeons pas : les livres qui m’ont façonné sont d’abord des livres d’hommes. Et si je devais citer des femmes ? Il y aurait qui chez les femmes que je relirais sans me lasser, et qui m’ont assez marqué pour intégrer la liste ? Etonné moi-même de ne pas citer Annie Ernaux, Marguerite Duras… Et sûr qu’aujourd’hui, je lis autant de femmes que d’hommes. Je me dédouane : on est ce qu’on a lu. J’ai 55 ans, et, majoritairement, on m’a fait lire des hommes, à l’âge où se constitue le terreau. Ce qui me surprend, c’est tout de même de ne pas retrouver dans la liste le livre fondateur, celui qui m’a fait découvrir le pouvoir de la littérature, le pouvoir des mots, et leur capacité à changer le monde. C’était Oui-Oui et la gomme magique, d’Enyd Blyton. Une femme, donc. Mais je ne l’ai su que très tard : à l’âge où le livre m’a marqué, la question du sexe de l’autrice ne se posait pas.

6 octobre
Écrire, d’une salve, deux pages, et m’arrêter sur phrase qui contient une trouvaille que je n’avais pas vue venir. Et voilà que cette phrase dont je suis fier (c’est dangereux), enraye la mécanique. Et impossible de reprendre de toute la journée d’hier, parce que cette phrase empêche tout rebond ; peut-être parce que, disant exactement ce qu’elle veut dire, elle empêche toute prolongation, tout développement et qu’il faudrait s’arrêter là. Cette phrase, dont je suis fier, il me faudrait la supprimer pour donner au texte une chance de se poursuivre. Peut-être la mettre de côté pour usage ultérieur. Et, pourquoi pas ?, la replacer exactement à la même place, quand le texte aura repris son envol. (C’est un peu militaire, « écrire d’une salve », et cela rappelle le bruit de mitraillette que pouvait avoir la machine à écrire mécanique, dans l’enfance).

7 octobre
Épuiser le sujet. C’est Neige Sinno dans Triste Tigre (P.O.L.), à propos de son livre, et dans son livre, parce qu’elle ne veut pas exister dans la littérature par son sujet : « Et pourtant je vais l’écrire quand même, dans une espèce de rébellion insensée. Prendre ce taureau par les cornes et le faire tourner bourrique. Le saouler de paroles et de raisonnements jusqu’à ce qu’il craque, qu’il supplie que j’arrête et qu’il me laisse enfin en paix. » (page 103, après avoir listé, quelques pages plus tôt les raisons qu’il y avait de ne pas écrire ce livre). Oh, il ne s’agit pas de littérature comme thérapie, l’autrice s’en défend clairement. Mais du livre comme il s’impose et de ce que c’est que le livre, justement, comme objet fini : l’épuisement du sujet. Le livre ne peut pas ne pas être. Il en va ainsi de l’écriture. Et il est fini une fois le sujet épuisé, rincé. Et que l’on peut passer à l’écriture du suivant.

8 octobre
La lecture du texte à voix haute, en public. Transmettre ce que l’auteur a voulu y mettre : interpréter sans trahir. En quelques jours, avoir entendu le même texte dit par des acteurs différents, un texte lu avant ou après. Ce que ça change quand l’acteur ou l’actrice n’y met pas la même intention, voire ne comprend pas l’intention. Pas seulement une histoire de mise en scène. Mais du choix des intonations, du rythme, de la posture, des respirations. Un texte saccagé ou magnifié, c’est selon. Et toujours saccagé s’il n’est pas magnifié. Alors que dans 4 mois je lirai Parfois l’homme, quelques extraits, en public, ces questions-là deviennent importantes. Ne pas prendre le risque de saccager mon propre texte.

9 octobre
Les textes et le réel. La question centrale dans ce qui me travaille. Et jamais tout à fait le réel. Parfois, ce que donne sans le vouloir quelqu’un qu’on croise, et qui fait écho à autre chose, et se transforme en mots. Ce n’est ni celui qu’on croise, ni l’écho. Ce serait trop simple. C’est comme tout se mélange, s’affine, et prend corps dans les mots à travers un filtre d’émotions (si les émotions sont fortes, j’ai l’impression que le texte est meilleur). Je ne crois avoir pas grand-chose d’intéressant à dire sur le sujet, mais me fascine la réception de textes par des lecteurs au pied de la lettre. Non, la vie, ce n’est pas ce qui est écrit, et ce que je peux écrire à partir de l’un ou l’autre n’est pas à prendre comme ce que je pense de l’un ou l’autre. Ce que j’écris sur la situation n’est pas la situation. Je distingue bien ce qui est de l’ordre du littéraire et ce que ça permet de jeu (toujours entre grincement et ludique). Devoir répéter, malgré les cours de français, malgré la quantité de romans, malgré la culture partagée, que ce qui est écrit n’est pas plus moi que celui qui croit se reconnaître. Et que s’il se reconnaît, c’est plus parce qu’il se voit tel que pour toute autre raison.

10 octobre
Les écrivains utilisaient Wikipedia jusqu’à en recopier des morceaux. L’usage de chatGPT suit logiquement. Pour moi, idéal, par exemple, lorsque besoin de discours « tout fait ». On est dans le domaine de l’écriture sans écriture. Hier, besoin de discours type sur la question des valeurs de l’entreprise. Je connais un peu le sujet ; l’avantage de chatGPT : fournir instantanément du discours type. Non pas de la caricature, mais ce que dirait exactement un consultant, un directeur du marketing ou de la communication et sortir une liste de valeurs couramment utilisées par les entreprises. Hop, c’est dans la boîte. De ça, je fabriquerai un discours à la fois crédible et irrémédiablement creux, et c’est exactement ce dont j’ai besoin. On retrouvera ça au détour d’une page dans un roman. Pour autant, ce n’est pas chatGPT qui écrit, et si je donne un sens à ces valeurs, c’est parce que je les aurai choisies dans une liste par rapport à d’autres objectifs narratifs, un écho à d’autres enjeux. D’ailleurs j’ai choisi une valeur qui n’apparaissait pas dans la première liste de chatGPT, parce qu’utile en jeu de miroir avec d’autres éléments de mon texte.

11 octobre
Je terminais hier avec un jeu de miroir. Aujourd’hui, c’est l’expression « pouvoir se regarder dans la glace » qui tourne dans ma tête. Les expressions toutes faites, ce que ça dit et ce que ça ne dit pas. Faire comme on peut, oui, mais rester droit. C’est ça pouvoir se regarder dans la glace. Ne pas avoir honte de ce qu’on a fait et avoir respecté les valeurs auxquelles on croit, sans compromission. Est-ce que je pourrai me regarder dans la glace et dire « j’ai fait au mieux vu les circonstances » ? Déjà, accepter les circonstances, c’est une limite. Supporter de regarder le miroir, ou le briser pour s’ouvrir les veines avec un éclat. J’ai deux pages à écrire aujourd’hui autour de tout ça. On doit pouvoir en tirer quelque chose. C’est assez universel pour en tirer quelque chose. Écrire.

12 octobre
L’important, lorsqu’on finit une histoire, c’est que cela donne du sens à tout ce qui a précédé. Ne pas connaître la fin ne m’a jamais empêché de commencer à écrire. Et, le plus souvent, la fin vient en cours d’écriture, parfois alors que j’arrive au plus près des dernières pages, comme une révélation qui donne tout son sens à ce qui précède. La fin comme une apothéose, même si, en journalisme, on appelle ça une chute. L’un n’empêche pas l’autre. Trouver le ton idéal, le rythme, la formule. Peut-être là que le premier jet me suffit le moins. Un brouillon, une, deux, trois réécritures. Mais toujours y arriver. Question de confiance dans l’histoire et dans les mots.

14 octobre
Être entrain de ne pas écrire. Peut-être que j’en ai déjà parlé ici. Pour l’écrivain, c’est très différent de « ne pas être entrain d’écrire ». En tout cas, ça l’est pour moi. J’ai passé beaucoup de temps à ne pas écrire hier et ce matin. Du temps pendant lequel je n’écris pas. Vu de l’extérieur, je pourrais même laisser penser que je ne fais rien. Mais au contraire : je suis entrain de ne pas écrire. Ça m’occupe énormément, et le livre avance beaucoup plus qu’on pourrait le penser, dans ces moments-là.

15 octobre
L’expression qui tourne en boucle : passage à l’acte. C’est d’un état à l’autre, de l’intention à l’action. Si l’acte se rapproche autant, c’est qu’on est passé de l’idée à l’intention. Ce n’est plus totalement abstrait : on veut le faire, on a plus de doute. La décision est prise. Et c’est ce qui compte, l’intention, non ? Le passage, c’est une volonté : on ne subit plus, puisqu’on a décidé. Et, quand faut y aller, faut y aller. L’acte, pas besoin d’un dessin. Plein de possibilités selon le contexte. Et peu importe la réussite, puisque c’est l’intention qui compte. A une condition, cependant : que l’acte ait lieu. Parce que dans le cas contraire. Peut-on vraiment parler d’intention ? Au moins que l’acte soit ébauché, que le mouvement soit lancé, qu’on se soit approché assez de son caractère définitif et consommé. Qu’il y ait eu le début d’une tentative, a minima. L’acte avorté, c’est l’intention qui prend forme. Suffisamment pour que s’ébauchent ses conséquences. Il est encore temps de reculer. Mais tout juste. On aura essayé.

16 octobre
Cette fois, c’est la dernière relecture avant l’impression. Prendre ou ne pas prendre en compte les remarques de la correctrice qui note ici mes impropriétés, là un anglicisme, ailleurs une phrase bancale, et parfois ne comprend rien à une construction dont la logique m’a peut-être également échappé. Leçon d’humilité, et réflexion autour de chaque virgule. C’est ça, écrire.

17 octobre
J’écoute des écrivains parler de leur travail, de leurs inquiétudes, du chemin qu’ils suivent pour avancer, de la recherche du livre suivant. Ce sont des questions auxquelles je cherche mes propres réponses. Des questions qu’on me posera aussi bientôt. Cela pourrait sembler assez simple : parler de soi et de son travail. En vérité, on ne dit jamais tout, on choisit, on cherche des mots, on donne un sens à ses errances. Cette manie de donner un sens, de raconter encore et toujours des histoires.

18 octobre
Sortie aujourd’hui de la deuxième édition de mon manuel : Maîtriser les techniques rédactionnelles, chez Dunod. Je n’ai pas encore reçu d’exemplaires… j’ai ajouté un chapitre sur l’intelligence artificielle générative. Voilà ceux qui va totalement modifier notre façon d’écrire dans les années qui viennent… c’est passionnant, et je suis très optimiste propos de ce qu’on peut faire de l’outil si on le maîtrise un peu. Donc, un livre que je signe sort aujourd’hui. Et pour être sincère, l’horizon de la sortie du roman en février m’attire bien plus l’œil.

19 octobre
Le doute. On a l’air de quoi avec cette histoire du doute ? Avancer dans un projet d’écriture et douter, ne pas savoir, hésiter. A la fin, le livre écrit, il doit y avoir comme une évidence. C’est quelque part dans le contrat de lecture. Mais pendant l’écriture, c’est une autre affaire. J’ai l’impression que ça pourrait « tenir » ou « faire sens », au moins (au mieux) « faire émotion ». Mais je n’en sais rien. Il doit y avoir une affaire de cristallisation. Par instants, me dire que j’en suis, peut-être, assez près pour que ça vaille d’insister.

20 octobre
Lecture hier de L’Echiquier de Jean-Philippe Toussaint. Le livre, parlant d’écriture, donne aussi des pistes sur comme il faut le lire. Comme sur un échiquier. Chaque coup est là, apparent, visible, analysable, et cela n’empêche pas le mat final, ou peut-être pour les plus attentifs une partie nulle, si l’on a vu venir la chute. Je n’avais pas la connaissance suffisante. Bref, c’est de la belle ouvrage, et, quand on écrit soi-même, il y a bien des échos. (Ah, les pages sur la correction des épreuves…)

21 octobre
La vérité. 25 ans de journalisme, un peu de littérature, une histoire personnelle qui me place dès l’enfance devant deux versions du réel (le monde univoque dure le temps du mariage de ses parents) : voilà qui a pu me donner quelques occasions de me poser quelques questions sur le sujet. Et une idée qui me sert de boussole : la vérité est un compromis, elle est le fruit du dialogue. Dans le refus, parfois obstiné, du dialogue, il n’y a pas de vérité possible. Les faits, c’est la part indiscutable, mais la vérité, c’est ce qui se construit.

22 octobre
La question de la vérité, toujours. Je crois qu’elle est centrale pour moi. Je ne détiens pas la vérité. Et je sais à quel point elle est fluctuante, fluide, changeante, comme elle dépend de nos perceptions et de notre état. Je sais les faits indiscutables et comme ils ne suffisent pas à faire le monde. Se mettre d’accord sur les faits, sur une base vérifiable, tangible. Et discuter, interpréter, enrichir : se rapprocher d’une vérité commune. Je sais toutes les manipulations possibles (des faits comme de la discussion), les biais, les incertitudes. C’est là que vient se nicher la littérature, un peu. Et, dans la vie, là que se révèlent les failles de l’incompréhension, dans le silence, les non dits, dans l’absence d’échange. Il faudrait la franchise et tout poser sur la table. Pas avec ça qu’on fait de la littérature, mais avec ça qu’on vit à peu près tranquille. (Glisser là les noms de dizaines de philosophes qui, depuis la caverne de Platon, ont pensé épuiser le sujet).

23 octobre
Lecture de Souvenirs dormants de Modiano. Premier texte, je crois, après son Nobel. Ici, la littérature se révèle à travers rêves et souvenirs, à partir des noms de personnes croisées 50 ans plus tôt, d’adresses, des bribes qui restent en mémoire. J’ai déjà vérifié : les immeubles que décrits Modiano existent aux adresses indiquées. Comment reconstituer ce qui a été à partir de ça : quelques coups de projecteurs dans la nuit, et une histoire avec cadavre, enquête, fuite… La possibilité d’une construction qui fait écho au Lieux de Perec, à L’Echiquier de Toussaint. Des différences notables, mais la même question de comment l’on appréhende et raconte autrement les choses.

24 octobre
Le Solitaire est le seul roman d’Eugene Ionesco. Le personnage principal hérité et se retire du monde dans ce qui ressemble à l’ennui, puis à la dépression. Il trouve refuge dans l’alcool et rien des affaires du mondes ni de leur absurdité ne l’atteint. On est quelque part entre La Nausée de Sartre et Un homme qui dort de Perec. Dans cette zone grise de la vie dénuée de projets, de créativité, d’entrain. Des échos à La Cantatrice chauve et à Rhinocéros. De la langue creuse à la déshumanisation : c’est bien Ionesco. Mis longtemps à passer les pages sur l’ennui (on le ressent bien) mais c’est un roman qui compte.

25 octobre
Dans le rêve, parcourir un chemin de campagne connu depuis l’enfance. Le chemin a un nom, qu’il n’a jamais eu, écrit sur une pancarte : le chemin du thym. La pancarte est au ras du sol. Juste derrière ont été plantés récemment quelques pieds de thym qui justifient le nom. Je suis accompagné d’une femme. Le chemin se poursuit vers un lieu-dit indiqué sur un petit panneau indicateur. C’est « La Chaussette ». Cela m’amuse, dans le rêve, car ici les hameaux ont tous, dans la réalité, des noms inattendus. Et le village le plus proche, c’est Chaussy. Qu’un hameau soit nommé, en quelque sorte « le petit Chaussy » est assez logique. Mon cerveau fonctionne assez bien. Je prends le chemin vers La Chaussette. Un premier pavillon, banal, sur la droite. Un bar transformé en habitation (il y a encore l’enseigne) et une place avec deux commerces, que je découvre donc pour la première fois. La place, assez large, est ombragée, des platanes sans doute. Le commerce de gauche, je ne m’en souviens pas. A la droite, c’est une charcuterie. Une charcuterie à l’ancienne, tout fait maison, et de la faïence à l’intérieur, c’est sûr. Je me réveille. Rares rêves aussi précis, et, ici ancré dans un réel familier mais qui ouvre sur un pan du monde réaliste mais inconnu. C’est un peu comme cela qu’on écrit, parfois.

26 octobre
Au réveil, trouver dans la boite mail une nouvelle version de la quatrième de couverture de Parfois l’homme. On avait beaucoup travaillé et échangé avec l’éditeur sur la précédente. Depuis, nous avons eu les premiers retours (ils sont bons). Le nouveau choix de l’éditeur me paraît mieux correspondre à ce que les lectrices et les lecteurs ont l’air de trouver dans le texte. Et c’est important, parce que la quatrième de couverture, c’est ce que lisent en premier les curieux qui prennent le livre en main en librairie. Et si, une fois lu ce texte-là, ils ouvrent le livre, alors c’est quasiment gagné. Le temps et les échanges, c’est aussi autant de préparation pour le discours que je tiendrai autour du livre quand il s’agira d’en parler : ce que j’ai envie d’en dire, ce qui peut convaincre de son intérêt. Tout ça, ce n’est pas au moment de l’écriture : il n’y a pas de marketing au moment de l’écriture. Mais, après, pourquoi ce serait un gros mot ? Il s’agit de donner toutes ses chances au livre sans rien trahir de l’intention.

27 octobre
Lecture en cours : le Georges Perec de Claude Burgelin (collection Biographie NRF Gallimard). Et les débuts d’écrivain de Perec, si difficiles, les échecs des premières tentatives, la recherche, et comme ce n’est pas un chemin tranquille, devenir ce qu’on sent que l’on est. Surtout, ne pas se décourager. Ils sont tellement peu nombreux qui ont « réussi » du premier coup. Une belle biographie qui s’appuie sur les textes, la trajectoire littéraire. J’en ai pour quelques jours.

28 octobre
Le livre en cours avance moins vite que l’on aurait pu penser. Il faut pour écrire un livre, peut-être, une stabilité, le temps de l’écriture, dont je ne fais pas tout à fait preuve ces temps-ci. J’entends, une stabilité d’état d’esprit, une stabilité d’humeur, une stabilité même dans le déséquilibre, qui donne au texte une homogénéïté, une cohérence. Et si la stabilité n’est pas là, qu’au moins l’instabilité suivre le mouvement de l’écriture, et inversement. Je vais chercher, encore, quelques émotions du genre déstabilisantes : c’est la poursuite d’un voyage, et sa fin, je pense. Et l’incertitude de l’intérêt littéraire de la manoeuvre. Je ne peux pas écrire en me détachant du sujet, je ne peux pas écrire à distance, ou juste à la bonne distance, pas trop loin. Et c’est cette distance qu’il faut stabiliser. Au moins le temps de retrouver des plages d’écriture cohérentes les unes avec les autres.

29 octobre
Relire le début du Mythe de Sysiphe, de Camus. Toujours aussi clair et sans appel. Lui et Cioran, lu et découvert peu ou prou au même moment en fin d’adolescence, au tout début de l’âge adulte. Un peu après Beckett. C’est ça qui fonde une vision de la vie, ou, plus précisément, c’est dans ce miroir-là que je me reconnais alors le moins déformé. Un peu de Schopenhauer, ensuite. Si ça rend un peu pessimiste ? Disons que ça induit une distance avec le monde. Une fois tout ça posé devant soi, la vraie question, c’est : et on fait quoi maintenant ? Et j’ai fait quoi de tout ça ? Et, à nouveau : on fait quoi maintenant ? Partant du constat de l’aburdité, de l’absence de sens, on fait quoi ? Commençons par prendre le parti d’éviter dorénavant les grandes questions et d’avancer tranquillement. En écrivant, en écrivant quoi qu’il advienne.

30 octobre

J’écris n’importe où : ni le lieu ni l’environnement sonore n’ont vraiment d’importance. Ce qui compte : la disposition dans laquelle je suis. Être dans de bonnes dispositions, ça se joue à l’intérieur, pas à l’extérieur. Et ce n’est pas une question d’humeur, ou pas tout à fait ; je fais avec les émotions du moment ou je vais chercher les émotions pour coller à l’écriture. Même très loin de l’autobiographie, le texte va puiser dans ce que je ressens. Et c’est ce qui rend certains textes épuisants à écrire, lorsqu’il faut aller chercher profond, loin, des émotions fortes, puissantes, parfois anciennes. L’astuce consiste à faire avec ce que j’ai, l’émotion du moment, même pour raconter tout autre chose. Mais ça ne fonctionne que pour les textes courts. Pour le livre, il faut se replonger cent fois dans le même bain d’acide.

31 octobre

Affiner un peu le style, ici, puisque je donne à lire. Je me laisse aller à un trop facile premier jet. Trop souvent. On me le fait remarquer. C’est qu’il y a au moins une lectrice attentive. Et si le journal dépassait la note prise sur le vif pour devenir, aussi, geste d’écriture ? Y consacrer quelques minutes de plus. Apporter chaque jour un soin plus attentif aux mots choisis, à la construction des phrases, au rythme. Une bonne résolution.

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