1er février
Dire : « je vais bien ». Voir que ça rend les gens heureux. Que des gens sont contents que j’aille bien. C’est donc qu’ils ne l’étaient pas que j’aille plus mal. Et cela m’aide à aller bien. L’écriture, pour y trouver l’intensité, impose de n’aller pas si bien que ça. Retrouver, en tout cas, une part de ce qui allait mal. Un truc d’équilibriste, qu’il faut apprendre à maîtriser. Retrouver les émotions, parfois les sentiments, pour que la force, la violence, le malaise, l’enthousiasme soient au rendez-vous. Et pouvoir dire, sortant de la séance d’écriture : je vais bien. Tout ira bientôt mieux encore, j’espère. J’ignore quand.
2 février
Vu Un parfait inconnu, le film sur Dylan, le film. Interprètes exceptionnels. Construction fidèle à la mémoire que j’ai des Chroniques de Dylan, de la biographie de François Bon. Simplifié, évidemment. La figure de l’artiste et de son émancipation. Rien d’extraordinaire à trouver le film bon : les critiques sont excellentes. Peu de monde dans la salle. Être lui-même : c’est tout ce que le film dit de Dylan. A un moment, être soi-même. Quand on est Dylan, ça donne Dylan.
3 février
Effet de sidération, toute la journée d’hier, à voir les nouvelles des Etats-Unis. Ce que défont Trump et Musk. La violence. Le délire, même. On a des explications. Religion, capitalisme et technologie. Une trinité qui autorise tout. La science et l’humanisme au placard. Comment résister à ça ? Et la tentation chez certains, en Europe, du même destin. Après tout, pourquoi pas ? L’esprit des Lumières, le rationalisme, la pondérance : pourquoi s’encombrer de tout cela ? La bienveillance, même, cette satanée bienveillance qui fait tant de mal, vaudrait mieux que ce train fou qui ne cesse de prendre de la vitesse. Ne pas voir ce qui l’arrêtera, au point où nous en sommes.
4 février
Ecouté hier soir Volodymyr Yermolenko et Florence Aubenas dans un entretien mené par Anna Colin Lebedev à la Maison de la Poésie à Paris. Volodymyr Yermolenko est philosophe et écrivain, président du Pen Club Ukraine, rédacteur en chef de UkraineWorld (consultable en ligne, en français). Le thème de la soirée ? « Créer pour résister ». Anna Colin Lebedev est sociologue et politologue, spécialiste des sociétés post-soviétiques. Faut-il présenter la journaliste Florence Aubenas ? On peut lire ses reportages en Ukraine dans Le Monde.
Ce que je retiens de la soirée, le lendemain matin. Qu’un seul mot suffit pour décrire la vie en Ukraine, pour Volodymyr Yermolenko : malgré. On vit malgré la guerre, on rit malgré la mort, tout est malgré, là-bas. Je retiens que les Ukrainiens prennent les choses en main, lorsque l’état est trop faible pour agir, jusqu’à faire la guerre, s’organiser, penser la logistique. Que l’on rit en Ukraine, mais que c’est un rire à manier avec délicatesse par celles et ceux qui ne vivent pas la guerre. On rit plus en Ukraine qu’en Russie. Et Florence Aubenas a vu ça sur bien des fronts, le rire qui choisit son camp.
L’Ukraine, où la vie culturelle et les publications littéraires continuent malgré. Malgré le nombre d’écrivains et d’artistes tués. Malgré l’invasion.
Une soirée organisée par la revue Kometa.
5 février
Lire, avec plaisir, quelques extraits du Clavier cannibale, de Claro. Ces pages où il descend en flèche des livres dont il n’estime pas la qualité. Même plaisir qu’entendre les critiques du Masque et la plume s’acharner sur un livre. Plaisir identique à celui que j’avais parfois à la lecture de certaines chroniques d’Eric Chevillard. Il n’y a pas tant d’espace où l’on explique pourquoi un livre peut être considéré comme mauvais, et pas suffisament d’endroit où on aborde cette question d’un point de vue technique. C’est long à faire, il faut dire, et les meilleurs moment sont ceux où l’on va dans les détails : les tics d’écriture, les images rebattus, les clichés, les perles, les défauts, quoi. Mais toujours m’inquiéter après de tels constats : comment mes livres résisteraient à pareille relecture ? Quelles bêtises, quelles facilités, quelles maladresses ai-je laissé passer ? J’en vois parfois chez des contemporains dont la qualité d’écriture est pourtant reconnue. Je ne devrais peut-être pas prendre de plaisir à ces livres descendus (et parfois je ne suis pas d’accord, mais cela n’empêche pas d’apprécier l’exercice). Il serait opportun que je me relise attentivement.
7 février
L’activité de ces journées : relecture du roman, avant mise en maquette. Je le fais à voix haute, ce qui fait ressortir les scories qui restent : rythme inadéquat, répétitions, images creuses. C’est l’avant-dernière relecture avant parution. Ensuite ce seront les épreuves. Mieux c’est travaillé avant mieux c’est. C’est un moment de l’écriture, un moment qui n’existe que pour les livres de littérature (en ce qui me concerne). Le moment où il est très clair que ces textes là n’ont pas le même statut que les autres.
8 février
Vu hier la version au féminin de Pour un oui ou pour un non de Nathalie Sarraute. La pièce écrite pour deux personnages masculins est « retouchée » pour s’accorder à deux personnage féminin. Une belle interprétation, au Théâtre du Nord-Ouest, à Paris, dans la petite salle devant seulement neuf spectateurs. Et c’est vraiment dommage, car cela vaut d’y aller. Le résultat est intéressant sur un point que je souhaiter vérifier, le passage au féminin ne change rien au propos de la pièce. Elle garde la même tension, la même efficacité, la même force. Il s’agit d’une amitié entre femmes, de ce qui les sépare. De ce presque rien insupportable qui sépare deux êtres humains. Et ça fonctionne. Grammaticalement, ce n’est pas grand chose, et il n’y a aucune autre modification dans la pièce. Une façon de démontrer son universalité, et de mettre en avant ce qui rapproche les genres, plus que ce qui les sépare.
9 février
Façon de fêter hier le premier anniversaire de Parfois l’homme : relire en détail le texte d’Autoroute avant sa mise en maquette. Trouver des scories, trop. Autoroute est un texte à contrainte, il y a pour des raisons de cohérence interne des choses que je ne peux y écrire. Alors c’est une chasse aux dernières traces : impossible qu’elles soient dans le texte publié. Opération nettoyage en profondeur. Je pense au manuscrit de La Disparition de Perec, celui du Moulin d’Andé, avec ses e cerclés de rouge. Je comprends sa crainte d’en laisser passer un seul. Et comme ça ruine l’ensemble de l’édifice. Mais je n’ai pas écrit un lipogramme. Je reviendrai là-dessus plus tard. Et puis il ‘y a pas que ça, à la relecture, mais des incohérences, des répétitions, des maladresses. Relire, c’est encore écrire.
11 février
J’assiste hier à deux discussions lors desquelles j’entends dire par des participants qu’ils ont essayé ChatGPT pour obtenir des textes. Des personnes qui ont testé, pour voir. Et la conclusion est immanquablement la même : le résultat n’est pas à la hauteur des attentes. Une déception. La même que celle que j’éprouverais si l’on me remettait un violon et un archet en me faisant espérer que je pourrais jouer de l musique incroyable avec l’instrument. Après quelques hurlements, j’en conclurais peut-être un peu vite qu’on ne peut rien tirer d’un violon et que l’idée de frotter du crin de cheval sur des boyaux de chat n’est promise à aucun avenir.
« Tout ira bientôt mieux encore, j’espère. J’ignore quand. »
viasi enter cette philosophie… pas sûre d’y arriver