1er janvier
Fini la dernière relecture avant maquette du roman à paraître en juin. Cette version est un peu plus cohérente, moins foutraque. Sous l’impulsion de l’éditrice, avoir enlevé quelques éléments perturbateurs, pour concentrer un peu mieux le texte sur ses piliers. On avance comme cela, par retouches successives sur la matière, en écoutant, ou pas, les conseils issus des premières lectures. Si ça tient la route, comme ça ? Je ne sais plus. Ce n’est pas forcément mauvais signe de ne plus savoir.
2 janvier
Je n’arrive décidément pas à me lancer dans l’écriture du petit livre sur Perec. J’ai besoin d’une nécessité pour écrire. En tout cas pour que l’écriture ait du sens. La nécessité, l’impossibilité de faire autrement. Quelque chose qui est de l’ordre du besoin vital. C’est ça que j’ai longtemps retenu et qui s’est libéré en 2021 avec Parfois l’homme. Les projets qui valent sont de cet ordre. Ils se sont enchaînés en 23 et 24. Ils évoluent lentement. Peut-être qu’il faut que j’accepte que le moment n’est pas encore venu pour le petit Perec. Il n’y a pas d’urgence.
3 janvier
La part d’autobiographie dans ce que vous écrivez ? La question est revenue avec régularité à propos de Parfois l’homme. J’y répondais par une ou deux pirouettes. Avec ce que j’ai écrit depuis, la question reviendra. Je crois que j’ai enfin une réponse à peu près exacte : comment pourrais-je faire la différence entre ce dont je me souviens, ce que j’ai imaginé, ce que j’ai ressenti en écrivant. ? Écrire, c’est habiter cette zone grise que certains appellent la folie. Quelle est la différence entre le cauchemar et la réalité, lorsqu’on écrit ?
4 janvier
Un bilan. La liste des réussites et des échecs. En bas des colonnes, un équilibre, peut-être ; un résultat assurément. Mais ce que cache le bilan : l’ampleur des réussites et des échecs. C’est ce que cache une moyenne : la violence des éléments. Le bilan de la mer est le même quelque soit la hauteur des vagues. L’altitude est toujours la même : zéro. En moyenne. Tout le monde n’arrive pas à naviguer en haute mer. Tout le monde ne franchira pas les caps sans casse ni blessure. Tout le monde finira le voyage pareil. Bon, les images ont leurs limite. Mais il y a eu de la houle. Il y en a. La météo, la mer, images éculées. La réussite ou on échec : tellement de hasard. Pour ça que les navigateurs fascinent ? Leur capacité à maîtriser ce qui pour le terrien n’a pas de sens. Ils le font. Ils comprennent la tempête comme la mer étale. Et toi, tu es sur le quai, déstabilisé par la moindre bourrasque. Clichés. Ça pue le cliché.
5 janvier
Voir Sophia Aram sur scène hier soir et se réjouir de vivre dans un pays où une telle liberté est possible. Faut-il écrire encore possible ? C’était au Théâtre libre. Et cette exigence de liberté, il faut la défendre. C’est Samuel Beckett dans la résistance. C’est Charlie Hebdo dix ans après le massacre. C’est se tenir droit, ne pas se soumettre face à celles et ceux qui imposent.
6 janvier
Découvrir hier le Musée de la Libération de Paris. En particulier la partie consacrée à la résistance. Des témoignages de résistants. Comment cela s’est imposé de ne pas rester sans rien faire, de désobéir, au risque de leur vie. Ce sont les survivants qui parlent, et les vainqueurs. Le regard rétrospectif est trompeur. Il y avait si peu d’espoir, au début. Il y a eu tant de victime. Passer devant l’affiche rouge. C’était de l’histoire. Mais toujours cette boule au ventre. C’est toujours là, ailleurs et à nos portes.
7 janvier
10 ans après l’attentat contre Charlie Hebdo. L’humour est-il en danger ?, m’a demandé L’Humanité. Une tribune, pour dire que la justice protège l’humour, dont la vivacité est un marqueur de la démocratie. Refuser l’humour, le brider, l’empêcher est la marque des régimes autoritaires. C’est donc une question très sérieuse.
8 janvier
S’engager. J’ai vu les militants du soin aux autres se conduire pis que j’imaginais les indifférents, et ça m’a désespéré : si celles et ceux qui se targuent de savoir écouter, comprendre, prendre soin, sont incapables de dialogue, qui alors ? Et comment s’étonner de la tournure du monde ? S’engager. Dire ce qu’il s’est passé. J’ai pour ça la littérature, c’est a priori mon outil, mon moyen. Pas celui d’une thérapie (quelle horreur), celui d’un engagement. Je ne sais pas si je crois à ça : la littérature fait parfois ce qu’elle veut, un peu malgré moi (je la laisse faire, ce qui est déjà une action). Je pose ici tout ça comme ça me traverse, sans savoir où ça mènera.
9 janvier
Hier soir, le poète Dominique Fourcade à la maison de la poésie. Il a 86 ans et espère encore arriver à écrire les deux pages qui lui permettraient de dire qu’il n’a pas raté sa vie. Ses modèles sont si hauts, son exigence si élevée… Rilke, Kafka. Il tente et ne voit de sens à l’écriture que dans ce qui n’a jamais été fait. Et cette difficulté à vivre comme un survivant. Pourquoi lui ? Ce sentiment d’imposture et qu’il sera démasqué.
11 janvier
Relire des bouts d’un texte dont je me suis dit il y a plusieurs mois qu’il pourrait faire un livre. J’avais écrit une dizaine de chapitres sur 64 et même fait un plan, ce qui n’est pas le cas d’ordinaire. Est-ce que ça tient ? Étrangement, oui, alors que je n’en était pas du tout sûr à l’écriture. Peut-être que je le reprendrai un jour.
12 janvier
Lire Un effondrement parfait, de Jérôme Leroy. Courtes chroniques nostalgique. Comment le monde d’il y a trente ans nous apparaît comme un paradis perdu. La part d’insouciance d’alors qui aurait disparu. Oh, je me souviens de choses qui n’allaient pas si bien. La nostalgie a néanmoins quelque chose d’acidulé, de moelleux. Ce qui est sûr : nous ne pensions pas, il y a quarante ans, que le monde merderait autant, ni que la bêtise gagnerait la partie. On n’en est pas loin pourtant.
13 janvier
Petit matin. Appartement parisien. La journée devant moi sans aucune obligation. Une liste de choses à faire. Rien que je n’ai choisi. Redire hier ce qui compte : ne plus travailler que sur des sujets qui m’intéressent avec des gens que j’apprécie. Je sais où mènent les toxiques et les obtus. On m’envie ? J’ai payé très cher pour ce confort. J’ai beaucoup perdu. Je m’en relève à peine. L’impression de ne pas avoir eu le choix. Ce n’est pas du confort. C’est une question de survie.
14 janvier
Il y a de nombreuses raisons qui me font aimer La Promesse de Camille Laurens. Mais ce passage est tellement en écho avec mon propre travail : « Ces scènes forment le noyau d’un portrait fouillé révèlent au sujet de Gilles des arguments pour sa plaidoirie – je dirais même, pour pasticher Perec, d’une tentative d’épuisement d’un homme », comme si Claire s’était plantée dans un coin du passé pour l’observer, le dévorer du regard. Il y a de l’excès, de la rage dans ces pages, une froideur presque désaffectée, aucune séduction, comme si elle avait renoncé à ce qu’on la croie. En même temps, c’est très étrange, elle s’adresse à lui pour parler de lui, elle le convoque: au lieu de dire je, elle dit tu, créant, comment dire, une sorte d’autruifiction, comme l’est sans doute toute histoire qu’on se raconte à propos d’un autre, à commencer par l’amour; mais de cette manière, »
15 janvier
Constituer un dossier pour une résidence. Note d’intention, revue de presse, curriculum vitae, lettre de recommandation. Mettre toutes les chances de son côté pour une misère en droits d’auteur. Et, surtout, quelques semaines pour écrire. Quelques semaines sans préoccupations. La découverte offerte d’un ailleurs.
16 janvier
La date de sortie du deuxième roman au Tripode est fixée. Le 8 mai. Simultanément, Parfois l’homme bénéficiera du début de sa deuxième vie, au format poche. Tout va aller très vite, maintenant : couverture, correction orthotypographiques, épreuves… L’équipe a commencé à en parler aux représentants, et moi commencé un peu à en parler plus précisément hier soir, à quelques autres auteurs de la maison d’édition. C’était la petite fête annuelle. Une équipe splendide, et des autrices et des auteurs passionnants. C’est une belle maison, un vrai plaisir, une chance énorme. Très heureux de repartir pour une nouvelle aventure avec ce livre. Go.
17 janvier
J’écrivais moins ces dernières semaines. Difficultés à me lancer vraiment dans le petit texte sur Perec. À me remettre au projet que je voulais laisser reposer. Et nécessité de penser au projet suivant à cause du rythme des éventuelles résidences d’écriture et des notes d’intention à joindre aux demandes. Le moment est venu, notamment parce que la sortie du prochain est sur les rails. Le texte à écrire, déjà fort avancé, est débordant d’émotions vives à canaliser. C’est ça : canaliser l’émotion pour en faire autre chose qu’une autofiction, un roman, mais qui garde la force que j’y veux.
18 janvier
Revenir dans la ville dont je n’effleurais que les contours depuis plus de six mois, comme une thérapie utile. Ne pas m’y rendre, c’était n’y croiser personne, ne pas passer aux carrefours mortifères ni respirer les odeurs de la défaite. Même aux marges, il a pu arriver qu’on se croise, pourtant. Prend-on jamais assez de distance ? Mais, aujourd’hui, parce que du temps a passé, tenter ce retour dans les rues dont tout pourrait me rappeler l’enfance, l’adolescence, l’apprentissage des responsabilités comme les fêtes les plus joyeuses, mais que recouvre le voile terne des dernières avanies. Ce n’est pas encore le cœur léger, mais déjà c’est possible. Comme pour le cavalier se remettre en selle le temps d’un tour de manège. C’est ce qu’il faut faire après la chute. Se redresser enfin. Se redresser un peu. Se redresser comme on peut.
19 janvier
J’essaye de faire la liste de ce que j’ai gagné ces deux dernières années. Ce n’est pas si facile car, en surimpression, vient la liste de ce que j’ai perdu. En matière de psychologie, le bilan comptable est difficile à établir. Si je me concentre sur la littérature, le bilan, pourtant, est plus que positif. J’écris mieux, des choses plus sensibles, plus riches, et je suis allé cherché au fond des précipices quelques pages que je n’aurais pu écrire ailleurs. Je ne sais pas si je pourrais les réécrire. Sans doute en apprenant à y retourner, dans ces zones, et surtout à en revenir ensuite. Il m’aura fallu des années pour apprendre à écrire, et la douleur pour remplir ma besace d’émotions assez fortes pour en faire quelque chose. Est-ce que ça valait le coup ? La question n’a pas de sens. La maladie ne laisse pas de choix. Et l’attitude des autres non plus. On fait avec. J’en fais des textes. Sans doute ce qui m’aura sauvé la vie.
20 janvier
Lu Bristol, le dernier Jean Echenoz. Y retrouver une jubilation de l’écriture dont la similarité avec celle ressentie à la lecture de San Antonio me surprend. C’est qu’on est aux éditions de Minuit. Pourtant il y a de ça, et (par la torsion de la langue) des impressions aussi de la lecture de La Disparition de Perec. Ce n’est pas une analyse : mais la façon dont le texte fait remonter des sensations. Echenoz s’amuse, et c’est partagé avec le lecteur.
21 janvier
Raphael Meltz, Après : c’est le titre de son dernier livre au Tripode. Croisé l’auteur la semaine dernière, et joué à ce jeu dangereux : présenter son livre à une tierce personne devant lui. Un livre sur le deuil, ai-je dit. Une construction maline et orginale (et efficace eussè-je dû ajouter) : les chapitres décrivent la première minute, la première heure, la première semaine, le premier mois, la première année après le décès. Ce que je n’ai pas dit : du point de vue du mort. Le mécanisme de deuil du point de vue du mort. Un petit livre qui saura émouvoir son lectorat. Innover sur un sujet rebattu, c’est déjà un exploit.
Je parle d’un livre pour ne pas parler du salut fasciste d’Elon Musk, du visage de Donald Trump. Pour ne pas parler du monde qui s’écroule sous nos yeux. Pour ne pas parler d’un monde dans lequel les faits n’ont plus d’importance. Pour ne pas parler d’un monde qu’on a pourtant vu arriver, mais que les images, les discours, les décisions prises, la mise en scène rendent aussi insupportable qu’on pouvait le craindre. Un monde dans lequel on refuse de parler des faits pour se complaire dans des croyances. Je parle d’un livre qui n’a rien à voir parce que les raisons de parler ce matin sont trop nombreuses, et les raisons de craindre le pire, ici, trop rationnelles, hélas.
22 janvier
Lu Cinq mains coupées de Sophie Divry (Seuil). J’étais passé à côté de ce livre, cité par Arno Bertina lors de son séminaire sur le documentaire littéraire, que je suis, à l’EHESS. Livre court, lu en une soirée. Cinq témoignages de cinq victimes parmi les manifestant Gilets jaunes. Il y a le retour sur des ambiances vécues (j’ai couvert douze manifestions de Gilets jaunes à Rouen pour Ouest-France). Et l’efficacité indéniable du choix de Sophie Divry : composer intégralement son livre à partir des phrases des témoins. Elle a recueilli les témoignage et « monté » le texte, sans un seul mot d’elle. Il s’agit bien d’écriture, ce montage. Aucun doute là-dessus. Je regrette simplement qu’elle n’ait pas fait assez confiance à son texte, qui est fort, et qu’elle donne son avis dans une postface qui pourrait se contenter d’expliquer comment le livre a été écrit, et non pourquoi.
23 janvier
Vu hier soir Pour un oui ou pour un non. Le texte de Sarraute n’a pas pris une ride, sauf ce prénom « Jeannine », qui le date un peu. L’ami Christophe Brault est magnifique dans un rôle auquel Trintignant avait donné une patine inoubliable. (J’aime cette phrase, moi qui oublie vite… Mais j’ai regardé la version filmée en 1990 par Doillon avec Trintignant et Dussolier en rentrant du théâtre, pas tant pour comparer que pour réentendre le texte). La pièce la plus jouée de Sarraute, dit-on. J’ai d’ailleurs des places pour une autre version, portée par des femmes, dans une quinzaine de jours. L’ambiguïté de ce qui n’est pas dit, mais interprété par celui qui entend, et comme ça complique les relations les plus amicales. Bref, je vais recommander autour de moi cette version à voir au Lucernaire, à Paris, dans une mise en scène de Sylvain Maurice, avec Christophe Brault, Scali Delpeyrat et Élodie Gandy. C’est jusqu’au 16 mars.
26 janvier
Remplir un dossier pour une résidence d’auteur. L’exercice me semblait compliqué… Note d’intention concernant un projet qui sera mené à bien dans plusieurs mois, dans un an peut-être. Réussir à se projeter ainsi, de l’écriture en cours à la sortie à venir, de la sortie à venir jusqu’au livre d’après. Forcément, les livres se construisent les uns par rapport aux autres. Là, j’imagine celui qui sortirait en 2028. Sacré millésime.
27 janvier
Les rêves. Cette nuit se mélangent les expériences professionnelles, les visages. Je me souviens des présents. Ils se connaissent tous, on tous travaillé avec moi. Pas ensemble. Pas tous ensemble. Mais là se retrouvent. C’est une seule équipe. Il y a une réflexion sur un projet (flou), des archives du journal de Tintin, une réunion de rédaction, une photo à prendre, tout ça dans les locaux du lycée. La course jusqu’au bureau de la directrice, cette chienne (quelle race ?) qui vient réclamer des caresses, cette ancienne collègue (mais là nous le sommes encore) qui s’arrange pour qu’on ne se croise pas. Je reviens travailler après une longue absence. On me demande comment je vais. Je réponds que je vais bien. Au réveil, cette journée de rentrée avec ces flashs et ces visages si nets. Alors même que la vie professionnelle se réduit pour les mois qui viennent à presque rien.
28 janvier
Il y avait 120 élèves, peu ou prou, dans cette salle de Val-de-Reuil, dans l’Eure. Et leur parler de la Shoah, avec Catherine Benmaor et Rachel Hausfater. Qu’ils sachent ce qu’il s’est passé et, aussi, surtout, qu’ils sachent que ce qui se passera dépend d’eux, de leurs choix, de leurs décisions individuelles. On a eu trop peu de temps. Mais les pousser à s’intéresser, déjà.
Le soir, écouter Bertrand Belin parler littérature à la Maison de la poésie, parler de son dernier livre, La Figure, parler de langage et d’écriture. Salle comble. Personnage attachant. Prose tendue, poétique. Et des inspirations à puiser : pour une fois, cela parlait plus d’écriture que d’anecdotes.
29 janvier
Continuer à écrire, c’est bien devenu transformer des émotions en littérature. Aller chercher des émotions, qui sont donc un matériau nécessairement autobiographique, comment faire autrement ? Ressenties directement ou par empathie. Et transformer en langage. Des émotions, ce ne sont pas des situations. Les situations changent. Elles se reconstruisent, deviennent autres. Il n’y a pas de vérité : des matériaux. Des situations taillées dans de nouvelles formes, des émotions comme liant. Limite des analogies. Disons simplement que c’est une matière qui prend corps dans le langage. Je n’en sais trop rien, en fait. Mais ça s’écrit. Et, s’écrivant, ça oblige à traverser des émotions. Seulement comme ça que le texte fonctionne. À ce niveau. Il y a d’autres niveaux, où je me soucie de ce que le texte ouvre comme signification. Et je me donne l’illusion de maîtriser quelque chose à tout cela. Tu parles. Comme s’il en était besoin.
30 janvier
Il y a eu la violence. C’était inattendu, la violence, de la part de ces personnes. Je n’ai pas eu d’explications. Ce qui est aussi une forme de violence. Depuis, mais peut-être avant, l’impression que la violence se diffuse, une violence systémique qui régirait les relations des uns avec les autres. Une violence qui expulse du clan, du groupe. Une violence sûre de son droit, droite dans ses bottes. Une violence qui revendique la bienveillance et l’éthique dans un monde où toutes les valeurs se retournent. Une violence qui n’exprime aucun regret. Des couloirs des bureaux aux relations internationales. Des salles de réunion aux assemblées politiques.