Lave-toi la bouche avec du savon, disait ma mère lorsque mon père jurait. Et ça arrivait plusieurs fois par jour. Il aurait aimé ça, le savon à l’olive, il aurait pris l’accent provençal, et on aurait entendu les cigales dans la lavande au lieu de ses blasphèmes à répétition. Le bon dieu aurait préféré ça, et ma mère aussi. Finis les « bordels de dieu » à tout bout de champs. Mais peut-être qu’il aurait ponctué ses phrases de « putain con ». Le côté provençal. Je ne sais pas faire l’accent. Je viens du Nord, con. Et puis peut-être qu’il aurait parlé en soufflant quelques bulles de savon qui auraient volé irisées dans le salon. Parce que ce n’est pas comestible, sans doute même mauvais pour la santé. Mais les bulles, ça nous aurait fait rire comme son accent du Sud, lorsqu’on était enfant. Du savon de Provence, ça aurait mis du soleil dans la maison, et notre bourru de père aurait eu l’air un peu plus sympathique. Dommage.
Gwendoline revient du marché avec un vieux lapin famélique, quelques légumes ratatinés et un savon parfumé à la lavande. Une folie, ce dernier achat! Ethan s’empresse d’ailleurs de lui faire remarquer: Avec nos retards de paiement des factures d’eau , la compagnie a tellement restrient la pression que tu ne pourras plus te débarrasser de la mousse. Tu aurais mieux fait d’acheter des bougies: EDF va bientôt nous couper le courant, je crains. Du savon sans eau ne sert à rien, alors que de l’eau sans savon lave assez bien. Assez bien pour toi peut-être, mais pas pour moi. Si tu te décidais à travailler enfin, je pourrais même m’acheter du parfum! Des goûts de luxe en plus, Gwendoline. Pour qui te prends-tu? Une petite caissière de superette qui veut péter plus haut que son cul. Et toi un parasite, répond la bretonne agacée. Voila comment un malheureux petit savon à 0,99 € a conduit à une dispute mémorable. Il paraît que Gwendoline vit maintenant avec le marchand de savon.