L’homme l’emportera sur le virus, il le sait. C’est statistiquement prouvé : il n’a pas l’âge de ceux que la maladie broie comme du petit bois, dégomme comme une quille au bowling, explose comme une courge trop mûre. L’homme est costaud, carré, vivant, en bonne santé, dans la fleur de l’âge, au sommet de son apogée, au firmament de sa plénitude. L’homme n’est jamais allé aussi bien, ne s’est jamais porté aussi droit, ne s’est jamais regardé avec autant d’envie. Il est l’optimisme incarné, l’assurance béate, la certitude quiète. C’est beau à voir, il en est sûr. Il se tient face aux éléments, marche d’un pas ferme, et même lorsqu’il s’assied, il continue de regarder le monde de haut. L’homme respire à pleins poumons, expire de toutes ses forces et tient en apnée de longues minutes lorsqu’il le faut. Les muscles bandés, il soulève, pousse, tire, renverse et roule les meubles comme fétus du paille. Un athlète, vraiment. Il se nourrit correctement, avale des jus de fruits frais, des légumes à la vapeur, des viandes grillées, des poissons sautés à la sauce aigre douce, des cuisses de grenouilles, du fromage blanc, du riz au lait. Et tout cela rien qu’au petit-déjeuner. Car le monde lui appartient. Il gobe un œuf à dix heures, jeune à midi, déchiquette une pomme au goûter et reste attablé des heures, le soir, qu’il consacre aux sucres lents. Son régime est étudié, millimétré, et il sait ce qu’il lui faut au centilitre près. Le virus n’a pas sa place dans cette mécanique bien huilée. L’homme croque la vie d’un sourire carnassier. C’est ainsi qu’il est sorti des cavernes pour inventer le chemin de fer et marcher sur la lune : rien ne peut l’arrêter. Il repasse ses masques en tissu avec application, soignant chaque pli dans les moindres détails, pour porter beau dès l’autorisation de sortir parader sur les boulevards et montrer qui est le maître du monde.
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