Il y a écrire pour écrire. Comme une mauvaise habitude dont il serait impossible de se passer. Mettre des mots les uns derrière les autres pour voir ce que ça fait. Ça fait toujours quelque chose. Ça produit des effets.
C’est souvent ça, écrire, juste ça. Ça ne fait pas avancer grand chose, c’est quelque chose qui s’impose. Que je secrète. Secréter, c’est parfois rendre public. La langue nous joue de ces tours.
Je sécrète du texte. Je n’y peux pas grand chose. C’est devenu la seule chose que je sache faire du monde, la seule chose que produise mon corps. Un sorte de flot, de flux, de coulée…
Avec le temps, j’ai tenté de canaliser. J’ai même pendant certaines périodes réussi à masquer assez bien cette production. Et peut-être réussi parfois à lui donner du sens.
Il y a des fenêtres qui s’ouvrent et par lesquelles je la vois passer.
Il y a des rideaux derrière lesquels je cache ma peine.
Il y a la vitre où givrent mes expirations.
Il y a du texte. C’est un résultat. Il y a du blanc. Il y a l’écriture. Enfin il y a du texte.
Je me concentre sur des mots. Parfois, la phrase vient entière et je l’écris. Rarement plus que la phrase. Parfois moins. Je ne sais pas ce que je vais écrire. Je le sais rarement.
Il faut faire confiance au texte. Je ne reviens pas en arrière. J’ajoute. Je ne retranche pas. Le travail, quand travail il y a, vient après.
Souvent, je ne travaille pas. Je laisse venir le texte.
J’écris. Au moment où j’écris « j’écris », il n’y a rien derrière. Mais je sais qu’il y aura quelque chose. C’est une surprise. Je connais quelques astuces pour que le texte, même improvisé, soit plutôt agréable à lire. Une affaire de rythme. Une question de construction. Ça s’appuie sur l’expérience, sur des techniques acquises auxquelles je ne réfléchis pas.
Il y a la concentration nécessaire à l’écriture. L’esprit ne divague pas, il est tout entier dans l’action.
Nous ne nous reverrons pas.
Il y a des phrases comme des refrains, des phrases qui me hantent.
Ces temps-ci « nous ne nous reverrons pas » en est une. Je sais précisément pourquoi, je sais ce qu’elle cache, ce qu’elle porte d’émotion, ce qu’elle masque de sentiments.
J’ai besoin de l’écrire. Nous ne nous.
Nous ne nous.
C’est en l’écrivant que les trois mots s’imposent. Ils n’existent pas hors de l’écriture. Et c’est l’exacte illustration de la confiance qu’il faut avoir dans les phrases, dans les mots, dans ce qui vient comme malgré soi.
Nous ne nous.
Tout est dit.