J’ai effacé les rues de la ville et rendu inexistants les quartiers où je pourrais te croiser. Je ne m’assieds plus aux terrasses d’où je pouvais te voir passer. Je contourne les lieux que tu pourrais fréquenter. J’adapte mon chemin à tes parcours. Tu ne me vois plus sur les trottoirs et j’évite les restaurants que je te sais apprécier. Je me cloître aux heures qui te verraient dehors.
Je prends de la distance.
Si tu crois m’apercevoir au reflet d’une vitre, je disparais aussitôt : ce n’était même pas moi. J’ai changé toutes mes habitudes et si une obligation m’entraîne malgré tout trop près de lieux que tu fréquentes à l’occasion, je fais au plus vite, mains moites et cœur battant.
Je n’ai plus la force de traverser la ville. Plus le courage des promenades sous la pluie, des bords de Seine, ni des musées, ni des places. Je préfère encore ne voir personne. Ne plus voir personne. Et ne seraient quelques vieilles fidélités amicales, je n’aurais plus ouvert la porte à quiconque depuis des mois.
Je maintiens lors de rares sorties un visage souriant : il faut bien. Évitons les questions.
J’ai grosso modo quitté la ville. Je n’y suis qu’une ombre, invisible, qui se glisse parfois le long des colombages.
J’ai replié sur moi les volets, fermé la porte. je ne veux rien devoir au hasard.
Ce n’est pas si désagréable : on s’habitue à l’étau, et la douleur de chaque inspiration est un signal : je suis encore vivant. Pour reprendre mon souffle, je m’appuie contre des murs le long desquels personne ne marche et me pelotonne parfois dans des recoins dont l’odeur d’urine rance fait fuir même les chiens. Je n’existe plus que dans les interstices obscurs d’où l’on ne distingue rien.
Je ne suis plus, je fuis.