192 – Le doigt d’honneur

Il est venu comme un sale gosse poser un petit smiley rigolard sur tes publications avant de couper le lien qu’il avait avec toi. Comme un pied de nez, comme un doigt d’honneur, une saleté avant de te signifier sans courage : tu n’es plus rien pour moi et c’est comme si nous ne nous étions jamais croisés. Il ne disparaît pas totalement, il ne t’a pas bloqué ; c’est plus sournois. Il y a une petitesse dans le geste, une couardise, un manque d’élégance, et, surtout, de considération. Tu n’es plus de ses relations.

Tu ne sais pas pourquoi. Ce n’est qu’une des mille questions qui t’assaillent au quotidien, et pas la plus grave. Tu dois choisir le bon programme sur la machine à laver, décider si l’emballage des biscuits se recycle, et c’est à peu près tout. Tu répondras au téléphone, et accepteras toutes les sollicitations sans être bien sûr que tu seras en état d’y répondre le moment venu. Sinon, rien. Tu attends. Et la liste des urgences peut bien s’allonger. Tu attends. Cela fait des semaines.

On ne se doute pas, quand on brise quelqu’un, de ce que sont les heures ensuite. Ce statut de victime tétanisée qui n’espère plus rien et se contente de ce qui arrive. Tu continues d’écrire et de publier, comme la grenouille remue longtemps la patte après qu’elle a été tuée. C’est ton réflexe à toi, ton dernier signe vital. Ce qui reste lorsqu’il ne reste rien. Des mots, des phrases, et encore, pas trop longtemps. Tu écris, tu attends.

L’autre t’a rayé des cadres sans avoir jamais pris de tes nouvelles, sans avoir jamais cherché à comprendre, sans avoir voulu la moindre explication. Il t’en veut au point de te tuer : symboliquement il te tue. Il t’efface. Les symboles ont leur importance. Socialement, il te tue. Sans te dire pourquoi. Mais l’on t’a tué tellement de fois, une de plus ne devrait rien changer. Pourtant si.

L’accumulation des petites morts, des anéantissements, des éliminations : comme si on pouvait t’enfoncer toujours un peu plus profond dans le sol, t’écraser un peu plus, te réduire à un rien de plus en plus définitif. On ne te salue plus, on ne te parle plus, on ne t’explique rien, on ne te demande aucune explication. La mise au banc est totale et silencieuse.

Tu es la victime de mises à mort dont tu ne connais pas la raison. Et tu sais que tu aurais du t’enfuir aux premiers signaux, que tu n’aurais pas du insister. Il fallait poser les choses, écrire STOP en larges lettres et ne pas aller plus loin aux premiers coups. Tu as attendu, tu as espéré, tu as fait confiance encore. Et même aujourd’hui, si l’occasion de réparer les choses se présentait, tu n’hésiterais pas. Pauvre fou.

Et lui. Il continue d’expliquer à longueur d’internet comme il est important d’être inclusif. Il emploi des mots comme inclusion, comme handicap, comme publics en difficulté. Il donne dans le social et les bons sentiments. D’ailleurs, il est sans doute bon, dans le fond. Mais tu n’étais pas ce public là, pas l’enfance en danger, pas la femme battue, tu ne rentrais pas dans ses cases. Il t’a traité comme il reproche à tous de traiter celles et ceux dont il prend soin, sans rien voir de l’ironie de l’histoire.

Pourquoi ce doigt d’honneur de couard sur les réseaux avant de couper les ponts ? Qu’a-t-il cherché à dire ? Qu’imaginait-il provoquer chez toi ? Ne savait-il pas que tu étais déjà mort et qu’il ne sert à rien de tirer sur les cercueils ? Pourquoi tenter de mutiler encore un peu plus le cadavre ? Quelle leçon voulait-il te donner ? Et toujours cette question que tu te poses : comment ces gens se regardent dans la glace après le coup de botte écrasant l’homme à terre ? Pour rien.

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