Journal – 6

30/11/21

Depuis un peu plus de quatre ans, je publie chaque mois une newsletter sur l’écriture. C’est la numéro 48,  et chaque fois, je cherche cinq idées pour inspirer les abonnés dans leur pratique de l’écriture. Des liens, des articles, des vidéos, des citations, des livres. C’est très sélectif, pour ne pas prendre trop de temps à lire. Et assez pointu : il faut s’intéresser à tout cela. Et, comme chaque mois, enfin presque chaque mois, à moins d’une semaine de l’envoi, je me demande avec quoi je vais la remplir, et si je n’arrivais pas au bout de la chose, parce que je n’ai pas les cinq idées. Mais non, je vais trouver. J’ai toujours trouvé. Et c’est parce que ça me surprend moi-même que j’ai une chance que ça surprenne un peu mes abonnés. On est mardi. La lettre d’information est envoyée le premier lundi du mois. Tout va bien, j’ai le temps. D’ailleurs, j’ai déjà deux des cinq sujets en tête.

2/12/21

Posés autour de moi, hors des rayons de la bibliothèque, à portée de main ou presque, environ vingt-cinq livres. Ceux auxquels je pourrais jeter un œil, là, presque au hasard, espérant tomber sur une page qui me séduise, et ceux en cours de lecture. Parfois, je mets très longtemps à les lire. Des deux tomes des nouvelles de Philipp K. Dick, je suis au milieu du premier. D’autres sont déjà lus intégralement, mais encore à portée parce qu’ils serviront à un prochain atelier d’écriture. D’autres n’ont pas su me séduire dès les premières pages. Ils ne sont pas encore rangés, ils n’ont pas dit leur dernier mot, peut-être que je les ouvrirai encore et qu’ils sauront cette fois me convaincre de m’y plonger. J’en ai autant sur ma table de chevet, certains depuis plus d’un an, peut-être depuis toujours, et qui sont rouverts, et avancent parfois de quelques pages, certains soirs, et c’est comme ça que je lis Robinson Crusoé, depuis quelques années maintenant, et de moins en moins vite, reculant le moment où il quittera son île, mais j’y suis presque, et le livre, je le sais, basculera alors dans une partie dont j’ignore tout. Et puis toute cette religiosité chez Defoe, c’est à consommer en petites portions. Voilà, il y a des livres autour de moi.

3/12/21

Lecture en cours : le Bois d’azobé de Françoise Renaud, publié dans sa collection Petites proses, et disponible en ligne, chez le grand méchant e-commerçant américain, qui est aussi celui qui propose une des solutions les plus simples et les plus rentables pour les auteurs. Mais ce n’est pas le sujet. Bois d’azobé est un récit d’écriture, récit d’apparition d’un personnage au fil de l’écriture, et donc un autoportrait d’écrivaine, aussi. Comment ça s’écrit, comment ça se passe quand ça s’écrit. Françoise Renaud participe au même atelier d’écriture que moi, et quelques dizaines d’autres. Et c’est aussi cela qu’elle raconte. Ce n’est pas un collage de textes produits en atelier, c’est une réflexion sur ce travail d’écriture, sur comment il s’impose, sur ce qu’il change, sur ce qu’il produit. On retrouve l’influence des propositions faites par François Bon, évidemment, mais Bois d’azobé est un vrai livre sur l’écriture, sensible, précis. Parce que j’ai partagé la même aventure ? Il me plait de penser qu’il s’adresse à toutes celles et tous ceux que ce qu’on appelle l’écriture créative titille.

4/12/21

Promenade nocturne. Il pleut. Contourner dans l’ombre la tache de lumière des terrasses couvertes et le grondement sourd de conversations indistinctes. La ville vit par îlots de corps agglomérés sous les toiles tendues qui protègent de la bruine et d’où s’échappent parfois des groupes, des rires, et le rythme de lignes de basses à rendre fous les voisins. Besoin de marcher un peu, et c’est quoi, 40 minutes ? Et fondre ma silhouette sous le parapluie noir, ombre dans l’ombre, sans but qu’une boucle et revenir chez soi. Marcher pour marcher et prendre le pouls de la ville, la pulsation des masses agglutinées autour des tables. Sans même voir les verres à leurs mains, sans rien distinguer de leurs visages. Partir d’un quartier calme, et du rare bruissement des automobiles sur la chaussée mouillée pour y revenir moins de trois quarts d’heure plus tard, les oreilles bourdonnantes des murmures de la nuit, seul, et pourtant plein d’éclat vie volée aux terrasses des bars.

5/12/21

Passage par la plus grande librairie de Lille. C’est la cohue des grands jours. Sentir que Noël approche au nombre de chalands à la recherche de quoi offrir aux parents, aux enfants, aux petits-neveux. Un livre, ce serait bien un livre. Et les têtes de gondole en frémissent de bonheur. C’est une belle librairie, vraiment. Sept étages de culture et de papeterie. Sept étages de livres à fort tirage et de publications confidentielles, sept étages de volumes choisis, posés à plat sur les tables bien en vue pour trouver leurs lecteurs. C’est toute la beauté de la librairie : on entre avec une idée précise en tête, on repart avec des choses dont on n’avait jamais entendu parler, mais on ne pouvait pas ne pas. Alors on ne regrette pas d’avoir joué des coudes, un peu, entre les clients polis, et ceux qui, on ignore pourquoi, ne savent toujours pas porter le masque correctement, même dans la foule.

6/12/21

Une foule qui hue les journalistes. Rappeler que la liberté de la presse est un fondement de notre démocratie, et qu’on peut critiquer le travail des journalistes, oui, il faut le critiquer, justement parce que c’est un fondement de la démocratie. Mais huer ? Mettre tous les journalistes dans le même panier ? Nier ainsi l’importance des médias. Nier même l’idée de démocratie. Et il n’est pas nécessaire de refaire la liste des affaires qui n’auraient pas été rendues publiques. Rappeler aussi que vivre ensemble, c’est s’entendre sur un récit, sur des faits, sur une réalité commune dans laquelle nous vivons. Et que les journalistes sont là pour dire le monde avec ses complexités, ses contradictions parfois. Oui, on devient grandiloquent lorsqu’on écrit là-dessus. Sentiment fort de la gravité des choses, de l’importance du moment. Est-ce qu’écrire peut suffire ? Même confronté à l’absurde, préférer le vivre dans un monde apaisé.

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