Tu crois quoi, que ta vie sera un jour comme avant ? C’est fini. Fini. Tu as mis le doigt dans un engrenage qui va te broyer, ne rien laisser de toi, te moudre, te pulvériser. L’enfant arrive, et ce sont les petits matins mornes qui suivent les nuits sans sommeil. Les hurlements nocturnes, les couches, les régurgitations, bientôt les maladies, et si l’on n’entend plus rien : l’inquiétude. Le morpion respire-t-il, au moins ? On t’a vendu du rêve, mais pour cinq minutes d’une tête blottie au creux de ton épaule en total abandon, ce sont des enchaînements de biberons crachés à ta figure et de doigts dans tes yeux dont les ongles mous te lacèrent sans retenue. Toutes les solutions te semblent envisageables : tu dois sortir de l’ornière, d’une façon ou d’une autre et tu te procures tous les artifices disponibles en espérant qu’un jouet saura le détourner de son travail de sape. Une minute au moins.
Arno est bien informé : Courrier International a écrit que l’on avalerait l’équivalent d’une carte de crédit par semaine. Il n’est pas précisé si elles sont utilisables au Royaume des Cieux. Arno a peut-être raison de proposer à son enfant du plastique à mâchonner pour des bébés sans dents.
Quel cadeau pour mon neveu Arno? Avec ce prénom insolite, il n’a pas fini d’en baver à l’école. Arnaud, écrira le professeur. Non, Arno avec un O, Monsieur. Arno Noblet va vite être surnommé Nono. Ma sœur ne lui à pas vraiment rendu service avec ce prénom. Mais là n’est pas mon problème, lui trouver plutôt un cadeau pour son premier anniversaire. Un hochet ferait l’affaire? Un peu banal, je crains. Jouet sensoriel, voilà qui paraît beaucoup plus distingué, plus dans le vent. A partir de trois mois, c’ est écrit sur la boîte. Bien, je serai dans la cible grâce à cette recommandation. Il va pouvoir machouiller et baver autant qu’il voudra. C’est le passe-temps favori des bébés, je crois, mais je ne suis pas un spécialiste. D’un enfant je n’en ai pas envie, pas plus que d’une femme d’ailleurs. Ma tranquillité avant tout. C’est déjà bien que je me soucie d’être un oncle respectable. Ne m’en demandez pas plus.