J’ai écrit ici sur la dépression. Parce que témoigner me semblait important. J’ai écrit alors que j’étais encore malade, même si le plus gros de la crise était derrière moi. J’ai écrit malgré la silenciation que l’on a tenté de m’imposer. Les articles sont plus ou moins réunis ici.
Aujourd’hui, 26 mois après le diagnostic, je vais bien. Cela ne veut pas dire que je vais « comme avant ». La vie ne redevient pas « normale ». Je n’ai toujours pas compris les raisons de la série d’humiliations professionnelles que j’ai vécues une fois que ma dépression a été connue dans le cadre professionnel, et encore moins celles qui ont suivi la mise en cause de l’organisation du travail et son rôle dans mon état de santé. Aucun des faits que j’ai soulevés auprès de mon employeur n’a jamais été contredit, ni leur enchaînement. L’enquête interne n’a jamais été menée à son terme, la médiation que j’avais demandée m’a été refusée, et l’on a signé mon départ pendant mon arrêt maladie. L’association qui m’employait a depuis été dissoute. Je suis évidemment le seul salarié à n’avoir pas été recasé (on m’avait promis que ce serait le cas, mais l’on sait bien que les promesses orales n’engagent que ceux qui les écoutent, elles ne sont plus valables lorsqu’on tombe malade).
Au moment de la fin de mon contrat de travail, j’allais si mal que je n’ai pas pu faire valoir mes droits au chômage. C’était au dessus de mes forces. Beaucoup de choses ont été au dessus de mes forces pendant des mois. J’ai eu la chance qu’on me tende la main, j’ai rempli quelques missions, du mieux possible. Certaines ne m’ont jamais été payées. Je n’avais pas la force de me battre contre ça non plus.
Il aura fallu du temps. Et de la chance. Avoir écrit Parfois l’homme avant la dépression et que le roman ait relativement du succès. Cela m’a permis d’écrire un deuxième roman, et même un troisième. Bref, de consacrer une bonne part de mes journées « creuses » à l’écriture, et de sauver un peu les apparences.
Soyons transparents. Mes revenus sont devenus très aléatoires, et ils ont été divisés par deux. Cela met en péril ma retraite à taux plein, c’est très concret, et pour longtemps. J’ai rempli des missions passionnantes auprès de très beaux clients. Mais je n’ai pas effectué la moindre démarche commerciale. J’ai la chance, encore, d’avoir un réseau qui a confiance en moi depuis des années, et avec lequel travailler est un plaisir.
Sans les proches, sans l’écriture, sans la confiance de quelques uns, je serais sans doute à la rue. Il a fallu de la patience et du temps. Il a fallu ne pas tomber dans l’alcool, aussi. Cela va si vite, c’est si tentant.
Tout cela est très long. Et, une fois qu’on tient le bon bout, il reste du chemin pour éviter la déchéance totale, la mort sociale définitive.
Je ne raconte pas pour qu’on me plaigne, ni pour qu’on me tende la main. C’est peut-être un peu tard pour ça. Je ne crois pas que je témoigne pour moi. J’ai besoin d’écrire ça pour les autres, c’est la seule façon que je vois de donner du sens au chemin parcouru. Pour celles et ceux qui n’ont pas écrit de roman avant. Pour celles et ceux dont les proches n’auront pas la force. Pour celles et ceux qui boiront.
Je ne raconte pas ça pour pointer du doigts celles et ceux qui se sont détournés, ni même celles et ceux qui m’ont appuyé sur la tête quand je me noyais. Ils portent leur honte. Qu’ils fassent mieux la prochaine fois. Même si je sais qu’il y a déjà eu d’autres fois, avec d’autres que moi. Tout le monde ne progresse pas.
Je dis ça pour qu’on sache, pour qu’on prenne conscience. « Plus personne ne veut travailler avec toi », m’a-t-on dit. J’avais 55 ans. J’étais malade. Statistiquement, et d’autant plus après avoir témoigné, je ne serai jamais embauché nulle part. Et encore faudrait-il me convaincre de m’investir dans une équipe. Je remplis des missions oui, pourquoi pas des missions de six mois. Mais plus, c’est inenvisageable. Les cicatrices sont bien trop profondes.
Je vais bien. J’écris. J’accompagne quelques clients dans quelques missions, et je le fais bien. Je prends du plaisir à ce que je vis et à ce que je fais. Je n’ai rien perdu de mon savoir-faire ni de mon expertise. J’ai peut-être même gagné un peu en qualités humaines.
Oui, la dépression est une maladie qui peut avoir une fin.
J’ai 57 ans. J’ai fait une dépression liée au management que j’ai subi. Je suis guéri. Je n’ai rien à me reprocher.