Spécialiste des projets inaboutis, j’ai dans mes archives quelques débuts de romans, de textes de fictions divers, de livres, quoi. Je suis rarement, mais parfois, allé au delà des premières pages. Je relis parfois des choses dont j’ai même oublié que je les avais écrites, et quand. Voici donc un début de roman. Attention, c’est un peu court pour un livre (c’est le moins qu’on puisse dire), mais un peu long pour une note de blog. Maintenant que vous voilà prévenu…
Je suis écrivain. Non, non, ne riez pas : je suis
écrivain. Je savais que vous auriez comme une tendance naturelle à la moquerie…
Mais il ne faut pas. Je suis écrivain. Et il m’aura suffit d’avoir écrit ces
trois mots pour le devenir. Il aura aussi fallu que vous les ayez lus.
Maintenant, c’est fait : plus de doute possible.
Et alors, on fait quoi maintenant ? Parce que le plus
dur reste à faire. Je suis écrivain, et vous êtes en droit d’attendre de moi
l’évidence qui va suivre : un texte à lire. Un roman. Evidemment, un
roman. C’est ce qui se lit le mieux, les romans. Je ne veux pas être un
écrivain maudit, non. Mais un vrai écrivain, un qui vend des livres, un qui
touche des droits d’auteurs, un qu’on reconnaisse, pourquoi pas ?, dans la
rue…
Donc, ceci est un roman. Mais, si c’est un roman, vraiment,
cela me pose un problème insurmontable. Si lorsque j’écris « je suis un
écrivain », j’écris un roman, alors, c’est que ce que j’écris, sans doute,
n’est pas vrai.
Cela offre deux possibilités. Une alternative. Soit je ne
suis pas un écrivain. Soit l’écrivain en question n’est pas je… Bigre !
Qui a dit qu’écrire était une chose simple. Surtout, n’échangez pas votre place
avec la mienne, et contentez-vous de lire. C’est ce que je faisais avant… Avant
d’avoir écrit « Je suis un écrivain ». Bon, on n’a pas l’air malin,
maintenant. On ne sait déjà plus qui parle, qui est l’écrivain, et,
sincèrement, pour un début de roman, c’est un peu confus.
Dangereux, donc, puisque, arrivé là, mon sort est déjà joué.
Le lecteur de la maison d’édition a déjà décidé, peut-être, que ce texte était
impubliable. Il trouvera bien une raison, n’importe quelle raison fera
l’affaire. Il n’a même pas à se justifier.
Dangereux, mais sans risque, puisque, si vous lisez ces
lignes, vous savez déjà que le lecteur de la maison d’édition a accepté de
publier ce livre, ce roman. D’ailleurs, puisque c’est un roman, il n’a
peut-être pas accepté, mais peu importe. On est dans la fiction, tout peut
arriver. Et même que ce manuscrit refusé soit, finalement devenu un livre. Je
suis un écrivain, vous lisez un roman qui n’a peut-être jamais été publié. Et
alors ?
Permettez que je fasse un aparté, mon premier lecteur, celui
de la maison d’édition, vaut bien ça. Je vous promets de ne pas être trop long,
je m’occupe de vous après.
Cher lecteur professionnel, donc, toi (je peux te tutoyer,
puisque ça ne portera pas à conséquence : si tu refuses ce texte, on ne se
rencontrera jamais, et tu seras flatté que je l’ai fait si le livre à du
succès). Je disais, cher lecteur professionnel, si, déjà, tu arrives à ces
lignes, j’ai ma chance. Celle de faire partie des 600 prochains romans de la
rentrée. Et je voulais, tout de suite, t’en remercier. Tu ne sais pas encore à
quoi tu as affaire, et rien ne vient vraiment te rassurer, encore. Mais tu
continues ta lecture, tu ne lâches pas le morceau. Au choix, tu te dis qu’il y
a peut-être là un petit morceau de littérature qui vaut la peine. Ou un livre
qui se vendra, histoire que l’éditeur pour lequel tu travailles rentre dans ses
frais. Je devrais peut-être te rassurer, te convaincre qu’ici se raconte une
histoire que le lecteur sera heureux de lire, qu’il y a là la continuité d’une
narration, des personnages hauts en couleur, de l’action, du drame, de la
violence, du sexe, ou des révélations. Je sais qu’il faut un peu de tout cela
pour vendre. Ok. Je mettrais ce qu’il faut, promis, fais moi confiance,
poursuit la lecture. Et permets que je revienne aux lecteurs du livre publié,
toi qui ne lis qu’un manuscrit. On se reparlera à l’occasion.
Chez lecteur lambda, donc, toi qui a acheté le livre, je
reviens à toi. Je vais te raconter une histoire, c’est ça, un roman, non ?
Une histoire, une simple histoire. On n’y mettra pas trop d’effets strictement
littéraires, il ne faudrait pas que tu ais l’impression de te plonger dans une
chose trop ardue. C’est de la littérature de divertissement, pas autre chose.
Si c’était autre chose, ça ne se vendrait guère. Cela n’exclut pas que, de
temps à autres, je flatte ton intelligence par quelques morceaux de bravoure.
Tu verras. Mais avant, je dois encore m’adresser à quelqu’un d’autre. Parce
que, pour avoir une chance que tu me lises, il ne faut pas seulement que le
lecteur de la maison d’édition sente tout le potentiel de ce texte : il
faut que le critique littéraire parle de moi. Qu’il m’éreinte ou me porte aux
nues, tu le sais, importe peu. Mais, il me faut des articles dans la presse,
quelques passages à la radio, et, pourquoi pas, une ou deux émissions de
télévision.
Autant le dire tout de suite, pour la télévision, je ne sais
pas du tout si je suis un bon client, mais bon, si je peux le faire, je le
ferai, quitte à être ridicule. Ca fait vendre. Et il est loin le temps ou on
écrivait pour ne pas vendre un livre… Vive les gros tirages ! Vive la littérature
populaire !
Cher critique, donc, dont le métier est de parler des livres
et de dire lesquels il faut lire, ou non. Rassurez-vous (je vous vouvoie, j’ai
du respect pour votre fonction, évidemment, et je ne voudrais pas qu’on puisse
vous taxer de connivence). Rassurez-vous, donc, ce roman commence un peu
bizarrement, il risque, c’est vrai, de déstabiliser un lecteur habitué à des
entrées en matière plus académiques, mais c’est bel et bien un roman. Vous
aimerez, je vous promets. Je ne suis, certes, pas là pour faire le boulot des
attachées de presse de ma maison d’édition, mais je voulais que vous sachiez
que je suis disponible pour les interviews, portraits, explications, ou autres
articles, selon les multiples angles que vous imaginerez… N’hésitez pas.
Revenons au lecteur lambda, donc, qui s’ennuie peut-être de
mes multiples digressions. Pourtant, si les critiques littéraires ont bien fait
leur travail, vous saviez à quoi vous attendre, mais, je sais, si un homme
averti en vaut deux, un lecteur contrarié est un lecteur perdu. Je me mets donc
à la tâche immédiatement, et vous raconte cette histoire promise. C’est en
effet une règle de marketing de base : il faut tenir la promesse faite au
client, sans quoi le client, à juste titre, se sent floué, et se trouve perdu.
Nous essaierons, ensemble, de ne pas en arriver là.
Reprenons donc au début, parce que sinon, nous allons nous
perdre.
Je suis écrivain.
Ca tient un peu de la méthode Coué, ma technique, mais ça
peut marcher…
Pardon…
Donc :
Je suis écrivain. Et je vais en faire toute une histoire.
Histoire de prouver que j’en suis bien un à tous ceux qui ne se satisferaient
pas d’une simple affirmation. L’histoire que je vais raconter est donc mon
histoire… Si vous voulez bien que nous nous accordions sur le fait que le
« je » qui dit être un écrivain dans la première phrase, c’est moi.
Il me faut votre accord sur ce point : nous savons vous et moi qu’il
s’agit d’une fiction, mais nous devons, les uns et les autres, faire
« comme si », sinon, ça ne marchera jamais. D’ailleurs, si vous
voulez bien vous impliquer un peu, faites un effort, vous finirez vous aussi
par vous identifier à ce « je »… Et finalement, vous ne le
regretterez pas, puisque c’est vous qui aurez l’impression d’être un écrivain, à
force…. Ah ! Le bonheur de la fiction, tout de même.
La suite ? Elle attend toujours…
Et si l’éditeur et l’auteur ne faisaient qu’un ? Un édauteur, en somme…
Mais un nez d’auteur se doit d’en prendre, de la hauteur, s’il veut s’éditer… Ou du recul…
Or un nez qui prendrait de la hauteur se retrouverait surement au milieu du front : l’affront ! Et un nez qui prendrait trop de recul se retrouverait à l’intérieur de la tête, voire à l’arrière de celle-ci… Un nez dit « cul »… Ridicule édicule abritant l’odorat de son rat de bibliothèque de propriétaire…
Un auteur avec le nez ainsi mal placé ne serait pas pris au sérieux…
Alors que faire ?
A bon sujet, bon corrigé
En fonction de l’idée que vous vous faites d’un bon début de roman, écrivez à votre tour la première page d’un roman que vous souhaitez aire publier. C’est la première partie d’un sujet proposé dans l’Annabac de français 2008. Le
a quoi sert un debut de roman ?!