Faillir être flingué est le titre d’un roman de Céline Minard publié en août 2013 aux éditions Rivages et lauréat du prix du Livre Inter. Un titre à l’effet magnifique. Ce verbe faillir, là, qui arrive, et qui dit qu’il ne s’est presque rien passé puisque ce qui aurait pu se passer n’a pas eu lieu. La forme passive : être flingué. Ben oui, ça a failli arriver, mais il n’y a pas de complément d’agent possible, puisque il n’y a pas eu d’action, puisque cela a juste failli. Flingué par qui ?
Ce verbe faillir, suivi d’un verbe à l’infinitif, sert à indiquer que l’action exprimée par ce verbe a été sur le point de se produire ou d’être accomplie. C’est la définition.
On ne peut pas dire qu’il ne s’est rien passé : pour faillir, il a fallu être sur le point de. Il a fallu que les agents qui ne sont pas nommés dans le titre aient tenté, essayé, raté, quelque chose, qu’ils ne soient pas passés loin, volontairement ou involontairement. Il reste beaucoup de zones d’ombres dans ce titre. Mais l’on imagine que quelqu’un tire sur quelqu’un d’autre et le rate. C’est ça « faillir être flingué ».
C’est pratique pour celui qui a tiré : il n’est coupable de rien. Une tentative de meurtre, peut-être, et encore : rien n’a peut-être vraiment été essayé. Une négligence, sans aucun doute, sans quoi on n’en serait pas là. Une incompétence, de la bêtise, une erreur, un manque de chance. Allez savoir.
Et pour la victime. Ne s’est-il rien passé ? Il a failli être flingué. Ouf, un soulagement ? Pas si sûr. Peut-être qu’il regrette d’avoir survécu. Peut-être qu’il ne s’en remettra pas. Peut-être qu’il ne saura jamais pardonner à ceux qui ont failli.
J’ai failli être tué. Quand je dis cette phrase, je dis quelque chose de fort, quelque chose de puissant, quelque chose qui me remue au fond des tripes, ou, au moins, qui m’y a remué, et ça tressaute encore de temps à autres. Avoir failli être tué, c’est avoir failli mourir, mais avec un ou des coupables qui ont poussé, qui ont oeuvré, qui ont agi. Je sais qui. Je sais quand. Je sais comment. Je ne sais pas vraiment pourquoi. Je sais qu’ils ne le reconnaissent pas.
Avoir failli être tué. Ce n’est pas le titre d’un roman. C’est une façon de dire où j’en suis, qui je suis, ce que je suis devenu. Avoir entendu siffler les balles à mes oreilles. Stress post-traumatique, peut-être que ça s’applique, là. Je ne sais pas si il faut un diagnostic, des mots savant, un regard clinique. Je préfère la littérature. Je préfère la forme passive qui dit la victime, je préfère le passé qui dit le temps, je préfère la définition des mots qui dit les choses.
Avoir failli être tué. Par refus obstiné du dialogue. Par inconscience. Par incompétence. Et savoir qu’une fois n’a pas suffi. Qu’on est revenu à la charge. Et que j’ai du encaisser encore.
Avoir failli être tué. Je ne sais pas comment on s’en remet, si on s’en remet, ou comment on avance avec ça, puisqu’on avance. On n’avancerait plus si on n’avait pas failli : ce serait terminé. Le regretter parfois, que ça ait raté. C’est peut-être avec ce regret là qu’il faut apprendre à vivre.
Avoir failli être tué. Espérer que ça devienne une chance. Mais n’être pas toujours capable d’espérer.
Faillir être flingué, dans le western, et dans le western de Céline Minard en particulier, c’est ce qui caractérise le héros. Tous ont failli être flingués, et, s’ils l’avaient été, ils ne seraient pas des héros. Pour devenir un héros, il faut se faire tirer dessus et survivre. Il faut qu’on vous ait tiré dessus et que vous ayez survécu. Le héros est celui-là.
Mais ne suis pas un héros. C’est Balavoine qui le dit. Mes faux pas me collent à la peau (je n’ai pas l’impression que c’est la chanson de Balavoine qui ait le mieux vieilli).
D’ailleurs personne ne m’a tiré dessus dans un western.