On ne coupe pas les liens sans douleur. Et ils n’ont pas prévenu Determ Vlodisc qu’il allait ressentir quelque chose quand ils ont décidé de ne plus lui parler, de ne plus lui répondre, de le laisser partir sans un mot, de ne pas tenter de le retenir. Personne n’a dit à Determ Vlodisc que son départ était une bonne nouvelle, qu’on se portait mieux sans lui, qu’il n’avait qu’à filer. Et qu’il ne revienne pas. Les plus polis lui avaient souhaité bonne route. Les autres avaient pensé bon débarras.
Il laissait derrière lui tout ce en quoi il croyait, et plus il s’éloignait, plus on le poussait au loin, plus il voyait nettement les choses. La famille et les voisins, les plus proches amis, tournicotant autour d’objectifs miséreux comme des papillons saouls et sûrs d’eux : ils faisaient ce qu’il fallait pour atteindre le bonheur. Ils finiraient carbonisés sur place. Determ le comprenait. Ils n’arriveraient à rien qu’a tourner sur eux-mêmes, se donnant l’illusion du mouvement.
Lui ne pouvait plus revenir en arrière, ne pouvait plus s’arrêter nulle part. Il n’avait plus confiance dans les marchands de bonheur qui, au bord de la route, lui promettaient un avenir radieux s’il acceptait de s’asseoir à côté d’eux. Non, il ne pouvait plus s’arrêter. Plus rien ne pouvait le retenir. Ce qu’il avait gagné : sa liberté. Sa putain de liberté. Alors oui, ça avait fait mal, très mal, et c’est comme si on lui avait arraché un membre et parfois la douleur fantôme le faisait encore boiter. Parfois, la nostalgie du paradis perdu, du temps où il ignorait le vent dans ses cheveux, le temps où il faisait des moulinets avec ses bras en croyant avancer, parfois cette nostalgie le faisait regarder en arrière, mais, si il pleurait, il accusait maintenant la poussière du chemin.
Déterm Vlodisc était libre. Ce n’était pas un état confortable. Et il en croisait d’autres, libres comme lui sur le chemin, claudiquant sur leurs membres fantômes, arrachés à la misère des chimères, et poursuivant toujours quelque chose de plus grand. Ils se reconnaissaient et souriaient de leurs douleurs respectives. Ils savaient lire dans le flou des regards leur identique sentiment de perte et leur espoir toujours vacillant qu’il y aurait quelque chose au bout du chemin.
Mais eux, au moins, auraient essayé. Ils étaient de celles et ceux qui auraient essayé.
