Correspondance sans correspondante. Lettres en poste restante. Missive to miss. Je ne sais pas si c’est une nouvelle série. Mais je t’écris. Peut-être que tu te reconnaîtras, si tu existes ailleurs que dans ces lettres.
Toi,
Dehors le soleil brille, mais le froid de mars est encore là. C’est mars, le temps est variable.
Je ne t’écris pas pour te parler du temps qu’il fait. Peut-être pour te donner de mes nouvelles, de loin en loin. Pour prendre des tiennes. Je sais que tu ne répondras pas, je ne nourris aucun espoir insensé. Tu ne répondras plus. Lettres mortes. C’est ainsi qu’on appelle les lettres sans réponse. Y a-t-il un nom pour celles qu’on n’envoie pas ?
Le soleil brille, et je ne m’habitue pas au silence. C’est cela le plus difficile, d’abord : ne plus t’entendre. Comme ça que les choses sont dites. On ne s’entend plus. Plus très bien, d’abord, puis plus du tout. Cela pourrait être à cause du bruit trop fort. Ici, c’est le silence. Un silence de salle vide, c’est un silence particulier, un silence avec écho. Le moindre reniflement est amplifié, et c’est pour mieux souligner la qualité de l’absence du bruit. Je ne m’habitue pas à ce silence que tu as laissé autour de moi.
L’impression de vivre dans une tombe. Je ne sais pas quel est le silence dans une tombe. J’imagine. Peut-être que je me trompe et qu’un brouhaha infernal empêche le sommeil des morts. Les insectes nécrophages et tous les habitants des mondes souterrains aux mandibules claquantes produiraient un vacarme qu’on ne décèle pas en surface. Ils ne sont pas dans mon silence.
J’aimerais t’entendre à nouveau et qu’on se parle. Je remplis ce vide avec des mots sur un écran. Peut-être les liras-tu. Cela me plairait. Peut-être ne lirais-tu que jusqu’à ce paragraphe et tu te dirais : c’est bon, j’ai compris. Et tu passerais à autre chose. Tu as mille choses à faire. D’autres gens à qui parler. D’autres lettres à lire que les miennes. Je comprends.
Mais je continue encore à t’écrire, même si tu ne lis plus ces lignes. Ma lettre est trop longue. Je fais cependant durer ce qui ressemble le plus à un moment partagé avec toi. Je ne te demande rien, même pas de lire jusqu’à ces lignes.
J’espère que tu vas bien. J’ai écrit ces mots des milliers de fois, au début ou à la fin de milliers de lettres. Comme on dit bonjour comment ça va, sans y penser. J’espère que tu vas bien. Pour toi, chaque mot de la phrase est lesté d’émotion. De moi à toi, un espoir, un espoir raisonnable, un espoir qui ne met rien en jeu : tu vas, oui, que tu vas, d’un point à un autre, aller, se déplacer, avancer, même s’éloigner est possible. Les synonymes te permettent de choisir la direction tant que tu n’y vas pas n’importe comment. J’espère que tu vas bien. N’importe où, mais bien. Que tu restes sur place en allant mal, cela me désolerait. J’espère que tu vas bien, même si moi je reste sur place, souffrant, blessé, incapable de me relever. Il y a tout cela dans mon j’espère que tu vas bien. Ce n’est pas rien, pas une simple politesse, mais un souhait sincère. J’espère. Je ne peux que ça. Espérer. Faire un voeu. Et que quelqu’un l’entende, et l’exauce. Qu’autour de toi, chacun prenne soin de toi.
J’espère que tu vas bien. Voilà tout. C’est ce que je peux de mieux. Je sais qu’on pourrait y déceler la crainte que tu ailles mal, et que je culpabilise un peu à cause de cela, et que j’espère que tu vas bien pour atténuer ma culpabilité. C’est du domaine du possible. Si, par ma faute, tu allais moins bien que tu pourrais, alors je m’en voudrais. Cela expliquerait le silence. Je pourrais interpréter le silence ainsi. Et, alors, espérer que tu vas bien, ce serait espérer que le mal que j’ai pu te faire s’atténue avec le temps et le silence, et la distance. Va, bien, loin de moi. Et qu’importe alors si mon silence s’épaissit de ténèbres.
Sébastien