Texte écrit en atelier d’écriture le 16 janvier 2024, sur une proposition de François Bon à partir d’un texte de Claude Enuset
ou encore la fois où
nous avons marché le long du fleuve et où tu m’as parlé pour me changer les idées en me racontant où se retrouvaient les sportifs le matin, les dealers à la nuit tombée et dans la journée les mères de famille en balade, tu te souviens
je ne crois pas
nous avons bu une bière après un après-midi en terrasse au retour d’une expédition le long de la voie de chemin de fer à la recherche d’emplacements où nous pourrions prendre une photo des rails qui se perdaient dans le paysage, tu te souviens
je ne crois pas
nous sommes intervenus ensemble dans une classe pour expliquer ce projet d’exposition que nous envisagions avec toutes ces photos que nous avions prises lors de nos expéditions, tu terminais mes phrases et moi les tiennes, tu te souviens
je ne crois pas
nous nous sommes embrassés pour la première fois au pied de la statue de bronze du grand écrivain et tu m’as dit il n’y a pas de meilleur endroit pour commencer une belle histoire, tu te souviens
je ne crois pas
nous avons visité cet appartement où nous allions vivre tous les deux, partageant le loyer et le même lit dans un bonheur absolument parfait avec chacun ses étagères et la moitié de la penderie : quand tu as demandé s’il était possible de repeindre en blanc le mur rose à rayures bleue, le propriétaire a refusé, mais nous l’avons tout de même repeint le mur, tu te souviens
je ne crois pas
nous avons pris la veille d’un week-end deux billets d’avion pour Barcelone, sur un coup de tête, et nous avons marché dans les rues, nous arrêtant trop souvent pour boire de la sangria jusqu’à ce que tu titubes un peu et t’accroches à mon bras jusqu’à l’hôtel, c’est ce soir-là que tu m’as dit que tu voulais un enfant de moi, tu te souviens
je ne crois pas
nous avons annoncé notre mariage à tes parents ce soir de Noël où il neigeait et ton père a dit que ce n’était pas trop tôt, qu’il désespérait d’entendre ça et qu’il était vraiment heureux parce que j’étais le gendre idéal et que nous étions faits l’un pour l’autre alors il est parti chercher une bouteille de champagne qu’il avait toujours au frais au cas où il y aurait quelque chose à fêter, tu te souviens
je ne crois pas
nous avons invité toute ta famille et toute ma famille, presque deux cents personnes, et nous avons réservé un château incroyable avec une salle de bal comme tu n’en avais vu que dans les films et le traiteur le plus cher de la ville pour en mettre plein la vue à tout le monde et surtout que ce soit une journée inoubliable, tu te souviens
je ne crois pas
nous avons dormi chacun de notre côté, et tu as mis cette magnifique robe blanche que je n’avais jamais vue et moi ce costume trois pièces que tu me rêvais de voir porter et on est arrivé à la mairie chacun de notre côté avec un quart d’heure d’avance, et tout le monde s’est installé dans la salle pile à l’heure mais le maire n’est jamais arrivé, il avait eu un accident, tu te souviens
je ne crois pas
nous avons tout de même fait la fête, tout le monde était là, on n’allait pas annuler, tu as pleuré au moment de découper la pièce montée, tu as dit que ça allait nous porter malheur, qu’il ne fallait pas, que c’était une erreur, tu te souviens
je ne crois pas
tu es montée sur le tabouret, tu as pris le grand couteau, tu as attaqué la nougatine et ton talon s’est cassé, tu as vacillé, tu es tombée, et ta tête a cogné le sol, c’est là que tu as perdu connaissance et que nous avons appelé les pompiers qui t’ont amenée ici, dans cette chambre d’hôpital, tu te souviens
je ne crois pas
nous devons sortir de l’hôpital, nous devons retourner à l’appartement, où je vais prendre soin de toi jusqu’à ce que tu te souviennes, jusqu’à ce que ça te revienne, jusqu’à ce que tu m’aimes à nouveau, tu te souviens
je ne crois pas
je ne t’ai jamais raconté cette histoire de mon premier mariage qui n’a pas vraiment eu lieu. Toi tu l’aurais épousée, l’amnésique ?