Ecriture : des ours tués par…

On a rarement l’occasion de repérer à la fois une tournure fautive et sa correction dans leur habitat naturel, à l’état sauvage. Il convient donc que je commence par remercier celui qui a découvert ces spécimens, et m’en a alerté. Merci Marc Mentré.

Ceci posé, intéressons-nous à l’animal (je ne parle pas de Marc).

« l’Etat mis en demeure de remplacer les ours tués par une dizaine d’associations défendant leur présence ».

Ce petit bout de texte est passionnant. Vous conviendrez qu’il a quelque chose de bancal. Mais quoi ? L’analyse est rapide. Il impose au lecteur de déterminer à quoi se rattache un tout petit mot : le « par », et donc ce qui suit. On doit appeler ça un agent, en grammaire, puisque « par » introduit un complément d’agent, dans la forme passive qui semble ici en usage. Trois possibilités s’offrent au lecteur.

« Tué par » ; le verbe tuer est le plus proche. Serait-ce que les associations ont tué les ours. Arrivé à « défendant leur présence », le lecteur s’aperçoit que quelque chose cloche.

« Remplacer par » : Remplacer est le deuxième verbe le plus proche, mais remplacer des ours par des associations n’a aucun sens, vous en conviendrez. Passions à autre chose.

« Mis en demeure par » : enfin ! La troisième solution est la bonne. C’est ce que doit vouloir dire le texte. L’État mis en demeure par des associations.

C’est exactement l’effort que ce texte demande au lecteur : arriver à « par » s’apercevoir que les associations n’ont pas pu tuer les ours, revenir un cran en arrière, se dire que ça n’a pas de sens de remplacer les ours par des associations, faire encore un pas en arrière, comprendre enfin. Et c’est sans compter une autre interrogation : sont-ce les associations qui défendent, ou les ours ? (Car si c’étaient les associations qui tuaient les ours, ce pourrait bien être les ours qui se défendent…)

L’exact contraire d’une lecture fluide. Tout se passe très rapidement dans le cerveau du lecteur, mais c’est un effort, et rien n’indique qu’il arrive à se sortir d’un nœud pareil avec la bonne solution.

D’ailleurs, le titre est très vite remplacé, lu sans doute par un responsable, un secrétaire de rédaction, un rédacteur en chef mieux rompu aux questions de lisibilité.

« des associations mettent en demeure l’Etat de remplacer les ours tués par l’homme en 2020 »

Ce qui change ? À aucun moment, le lecteur n’est obligé de revenir en arrière pour comprendre à quoi un mot se rattache. À aucun moment, le lecteur n’est obligé de choisir entre deux sens possibles : il n’y a pas d’ambiguïté. La lecture est fluide. Le texte est clair. C’est gagné.

Si les ambiguïtés du français vous intéressent, j’ai lu un livre passionnant sur le sujet et j’en ai fait une petite vidéo :

Enfin, si vous voulez aller plus loin concernant les usages de la langue, l’écriture, le style, je vous donne rendez-vous sur www.ecrireclair.net. J’y propose des modules de formation en ligne. Vous pourrez notamment télécharger les conseils d’écriture de Winston Churchill et de George Orwell dans le premier module gratuit.

4 réflexions sur “Ecriture : des ours tués par…”

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