Journal – 21

16/3/22
Soirée atelier d’écriture hier. Le rituel mensuel, depuis juillet. À partir de deux lignes de Flaubert, se lancer dans la traversée du paysage : « la colline qui suivait à droite le cours de la Seine peu à peu s’abaissa, et il en surgit une autre, plus proche, sur la rive opposée. ». Conscience que je pousse parfois un peu loin la difficulté, pour les participantes, et le participant. Mais les résultats sont toujours surprenants, toujours à la hauteur, rarement là où je les aurais attendus. C’est donc le paysage qui bougeait hier soir, les choses qui prenaient vie. Et l’émotion palpable. Je sais déjà le thème du prochain atelier. Il y en aura donc bien un en avril. Ce sera le dixième de la série.

17/3/22
Mieux vaut utiliser deux fois le mot lunettes que le remplacer par bésicles pour éviter une répétition. Voilà, en substance, ce que je retiens des propos sensés de Jean-Philippe Toussaint sur les répétitions. J’en fais plein des répétitions, et ça ne me dérange pas. J’ai longtemps mis ça sur le dos de l’écriture web, à l’époque où je montrais à des stagiaires que le même mot plusieurs fois dans un texte, c’était bon pour le référencement (et ça marchait sacrément bien il y a dix ans). Du coup, je répétais. Et j’incitais à le faire. Ensuite, j’ai gardé ça comme un tic d’écriture, peut-être. Et je laisse mes étudiants tranquilles avec ça, dans la limite du raisonnable. Je préfère qu’ils soient clairs. Et on n’est pas clair quand on met bésicles pour lunettes. Qui connaît bésicles ?

18/3/22
De très légères touches, au fil des dernières entrées du Catalogue 2022 laissent entrevoir comme les choses ont changé depuis quelques semaines. Aujourd’hui, le produit qui sert d’amorce à la microfiction est une bouillotte. L’objet peut sembler obsolète à celui qui remonte d’un ou deux degrés le chauffage de son appartement sans penser à rien, et surtout pas à sa facture de gaz. Mais c’est une conséquence de la guerre en Ukraine, la flambée du prix du gaz. Et le givre qui se formera à nouveau aux fenêtres parce qu’on aura coupé la chaudière toute la nuit, débranché le radiateur de la chambre. Pour l’instant, la guerre ne s’invite pas plus que ça dans le catalogue. Mais je sens qu’un jour tout proche, il s’agira pour un des personnages de commencer à constituer des réserves. Au cas où tout parte encore un peu plus en vrille.

19/3/22
Lecture par petites touches de Compagnie de Samuel Beckett. Et découvrir ce travail sur la ponctuation. L’absence de virgule sauf pour introduire ce qui ailleurs serait entre guillemet, un bout de propos rapporté. Sinon l’absence de virgule. Que des points et, rarement, un point d’exclamation, un point d’interrogation. Des paragraphes courts dont le rythme tient presque exclusivement aux mots, et l’impossibilité pratique de l’énumération ou de l’incise. L’impossibilité aussi de reprendre son souffle, sauf juste avant de prendre la parole. Je lis Compagnie par goulées.

20/3/22
J’ai une vraie sympathie pour Michel Bussi. Peut-être parce que la première rencontre date de juste avant son incroyable succès. Premières interviews et me souviens de celle au moment de son entrée, il y a dix ans, parmi les dix plus gros vendeurs de romans en France. Lorsque j’ai sorti mon roman jeunesse, Eno, la chasse aux rastacs, il a eu la gentillesse d’en faire écho sur ses réseaux sociaux. Je lis La fabrique du suspense qu’il publie aux éditions Le Robert, dans la collection Secrets d’écrivain et où il raconte cette période-là, et ce qui a précédé, et ce qui suit. Et cette hiérarchie insupportable pour beaucoup entre la littérature et les raconteurs d’histoires. Oui, il est des seconds, et parmi les plus doués. Ce sont ces livres-là qui sont les plus lus. Une écriture de distraction, d’évasion. Et qui mérite bien aussi qu’on s’y intéresse. Avec ces secrets d’écrivain, on plonge dans la fabrique des livres qu’on ne peut pas lâcher. C’est peut-être une bonne idée aussi, non ?

21/3/22
Fin de lecture de La Fabrique du suspense de Michel Bussi. Très convaincant lorsqu’il explique la mécanique du roman à twist et comme il repose sur la capacité de l’auteur à s’appuyer sur les ambiguïtés du discours. La maîtrise des techniques qui permettent au texte de faire croire ce qu’il ne dit pas. C’est l’exact opposé de l’écriture claire, celle qui permet, justement, de faire passer le message qu’on veut faire passer. Mais pas l’opposé d’une écriture simple, que Michel Bussi revendique, et dont je suis bien convaincu de la difficulté. J’ai été moins convaincu lorsqu’il met à bas les hiérarchies littéraires. Le “tout se vaut dans ce que les éditeurs éditent” a ses limites. Mais ce qui est sûr, c’est que le travail de l’écrivain Michel Bussi vaut plus que le dédain que trop affichent à son égard.

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