Assis devant mon
clavier, je ne me sens pas "moins écrivain" que Flaubert ou "plus
écrivain" qu’Homère. Je ne me sens pas écrivain du tout, d’ailleurs.
J’ai plutôt le sentiment, l’agréable illusion que je suis un musicien
de jazz, un pianiste autodidacte qui se fabrique des airs dans sa tête
en faisant ses courses ou en roulant sur son scooter, et qui cherche
ensuite à les mettre en musique et parvient, ou ne parvient pas, sur
l’écran, puis sur le papier, à en faire des compositions acceptables.
Au clavier, je ne fais pas qu’écrire : j’improvise, je me balade,
j’invente. Je peux passer d’un texte au suivant sans difficulté, je
peux retrouver des compositions inachevées, oubliées, en scrutant mes
disques durs, je peux récupérer une page ou un paragraphe orphelin pour
l’intégrer à un texte auquel il manque quelque chose.
Mon ordinateur n’est pas un obstacle qui se dresse devant l’écriture,
mais le terrain de jeu, la salle de simulation, le laboratoire de ce
que j’écris ; c’est la bibliothèque de mes ébauches oubliées ; c’est le
studio d’enregistrement de mes textes achevées ; c’est le lieu
d’échange, via le courrier électronique, des textes étrangers ; c’est
un formidable outil de travail, de partage et de mémoire.

Martin Winkler, extrait d’un article paru en 2002 dans la revue "Septimanie"