Bandersnatch : l’art de la mise en abyme

brandersnatch 1Attention, cet article dévoile une partie du contenu de Bandersnatch, l’épisode interactif de Black Mirror diffusé par Netflix. #spoil

Bandersnatch est un épisode de série interactif : à certains moment prédéfinis, le spectateur choisi l’action menée par le héros, un jeune programmeur de jeux vidéo de 1986.

1986 : j’ai 18 ans. Je programme depuis quelques années (c’est à peu près le moment où j’arrête, en fait), j’ai beaucoup joué, j’ai lu avec passion les Livres dont vous êtes le héros. Je ne sais pas encore que je serai un jour journaliste spécialisé sur le sujet (c’était il y a longtemps tout de même ce poste de chef de rubrique jeu vidéo…) Et puis Black Mirror, j’ai beaucoup aimé jusque-là. Normal que je me jette sur Brandersnatch.

Donc, ce n’est pas vraiment de la télé : je regarde l’épisode sur mon PC, prêt à cliquer lorsqu’on me le demandera, et c’est difficile à regarder avec quelqu’un (ce qui est très différent d’une série classique, tout de même).

Les premiers choix semblent anecdotiques (mais sait-on vraiment quelles conséquences ont nos choix). Et l’on découvre le contexte : le héros adapte un livre à choix multiples (comme les Livres dont vous êtes le héros) en jeu vidéo. On doit donc, si l’on comprend bien, l’accompagner dans cette quête. Rien que de très classique.

Niveau interface, c’est assez bluffant : dix secondes pour cliquer entre deux choix sans que la vidéo s’arrête, c’est bien fait.

Certains choix sont de mauvais choix, dans ce cas, on revient en arrière, mais les personnages ne réagissent plus de la même façon aux mêmes situation, comme si, comme le spectateur, ils avaient déjà vu ce qui se passe. Et petit à petit on entrevoit les réalités parallèles qui co-existent en fonction de nos choix, c’est d’ailleurs le sujet du livre adapté en jeu vidéo par le héros… Un sujet qui a conduit son auteur (l’auteur du premier Bandersnatch, le livre) à la folie. Et le héros lui-même se met à se douter de la présence d’un être supérieur qui le manipule. Et cet être supérieur, c’est moi. Je deviens un personnage de l’intrigue, alors que le personnage, lui, se révèle une marionnette qui résiste à mes injonctions comme il peut. Il se met même à saccager le scénario lorsque je lui dévoile l’existence de Netflix, plateforme de divertissement à laquelle il est asservi ! Je sais qu’il n’est pas fou, puisque je sais que j’existe, mais les autres personnages ne le savent pas, sauf si ils sont mes complices, complices d’une expérience un brin tordue, tout de même.

bandersnatch

C’est l’aspect le plus dérangeant de l’épisode. Et ma première réaction a été : mais je n’aime pas ça, je n’ai pas envie de ça. Pourquoi ? Parce que le pacte est rompu et me met face à moi -même. Je viens pour regarder un épisode de série, pour influencer une aventure, certes, mais je m’en retrouve partie prenante : l’immersion est impossible, ce n’est plus de la fiction puisqu’il est question de ce que je suis réellement entrain de faire, influer sur les choix d’un personnage totalement perdu parce que le pacte qui le lie lui aussi avec la fiction est rompu.

C’est une mise en abyme comme un jeu de miroirs quasi sans fin. Et je n’ai exploré qu’une fois l’épisode. D’autres voies sont possibles (à moins que les scénaristes ne me donnent que l’illusion du choix, je ne le sais pas au moment où j’écris ces lignes, et cette questions n’est pas sans intérêt). – Spoiler : il y aurait au moins 13 fins différentes.

Je suis monté sur la scène, à mon corps défendant. Je suis passé du statut de spectateur à celui d’acteur. J’ai perdu ma capacité à me laisser porter.

Et après ? L’expérience que l’on m’a proposé se rapproche finalement de celle de l’auteur : un auteur qui fait des choix pour ses personnages, qui les entraîne dans des directions. D’autres choix seraient possibles. Je suis passé du statut de spectateur à celui d’auteur. Ou je suis moi aussi le jouet des scénaristes ?

Dans le même temps, Bandersnatch accède à mon monde. Un site Internet accompagne la sortie de l’épisode. C’est le site de Tuckersoft, l’éditeur de jeux vidéo dont il est question dans l’épisode. Là, on découvre des fiches sur tous les jeux fictifs cités dans le film, et l’un d’entre eux est même téléchargeable. Le degré de réalisme est poussé au point qu’on ne pourra y jouer qu’à condition d’installer un émulateur, un petit programme qui simule un des ordinateur qui faisait fureur en 1986. Si le jeu de la fiction existe vraiment, est-ce de la fiction ? Est-ce que je n’ai pas vraiment influencé à distance la vie du héros ? Quelle boucle temporelle vient de se clore ?

Le tourbillon est tel que lorsque l’on se rend sur la page du site de Tuckersoft consacré au jeu vidéo Bandersntach développé par le héros de l’épisode, Stefan Butler, on peut cliquer sur un bouton « Jouer maintenant ». La fenêtre qui s’ouvre lorsqu’on clique ? Celle de Netflix… On n’en sortira plus jamais !

bandersnatch jeu

1 réflexion sur “Bandersnatch : l’art de la mise en abyme”

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