21 – Compagnie

L’homme commence à ressentir un furieux besoin de compagnie. Il ne peut rester indéfiniment seul, chez lui, sans personne à qui parler. Sa bouche est pâteuse de journées entières sans un mot. Il se sent près à répondre à n’importe quelle question, sur n’importe quel sujet, quitte à passer pour un imbécile. Mais il n’exclut pas la probabilité non négligeable de s’avérer bientôt génial en toute circonstance. Le confinement vous change un homme et il trouve ses raisonnements de plus en plus clairvoyants. Encore un mois ou deux et il pourra tenir un discours convaincant sur le sens de la vie à son ficus. Pour l’instant, il craint trop de l’entendre lui répondre, et il ne se sent pas près. Passe encore d’adresser la parole à une plante, pas de perdre la face faute d’arguments. L’homme cherche un échange constructif, une complicité, une osmose amicale. Il aimerait d’abord une réponse du tac au tac à ses questions quotidiennes, comme on se complète sans y penser. La durée de cuisson des coquillettes ? Neuf minutes. Seul, il entend dans sa tête l’écho lui rétorquer qu’il n’a qu’à regarder sur le paquet ! Et cela ne peut servir de base à une relation constructive et bienveillante. L’homme regrette l’absence d’un chien, d’un hamster, d’un aquarium. L’animal donne la réplique, il réagit. Le poisson même s’approche lorsqu’on agite la nourriture à la surface de l’eau. Le ficus peut-être aussi, mais le temps qu’il fasse pousser une feuille dans la bonne direction lorsqu’on lui demande où l’on a pu poser ses lunettes, on a forcément oublié la question. A sa connaissance, personne n’avait jamais remarqué de signe d’intelligence chez le ficus. Trop lent. Après suffisamment de temps, l’homme acceptera la seule solution viable qui s’offrira à lui avant la folie. Assis devant le miroir, il se mettra à discuter avec ce reflet hirsute à la barbe en bataille qui lui apparaît déjà parfois. C’est ce qui ressemble le plus à un être humain dans l’appartement. Ses borborygmes ne seront pas toujours intelligibles, mais il ne le contredira jamais frontalement. Les premiers temps, il n’aura pas de raison de s’en méfier.

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