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Chaque mois, cinq idées pour améliorer votre créativité éditoriale

Journal – août 2025

2 août

Deux ans et demi après, que reste-t-il ? Il y a ce que je n’ai pas choisi, et ce que je peux choisir. L’expérience du harcèlement moral et de la dépression, derrière moi, puis de la colère, car il y a eu colère et déception. Tout cela mélangé, mais appuyé sur des faits, vérifiables, et jamais remis en cause. Cela devient petit à petit une expérience traversée, avec ses conséquences. La confiance qu’il ne fallait pas donner. Celle qui est devenue difficile à donner. Pas impossible, difficile : dans la tempête, il y a eu celles et ceux qui étaient là. Et puis il y a eu l’écriture. Je ne suis pas devenu écrivain grâce à la dépression. Heureusement. Parfois l’homme écrit avant, et même un inédit qui attend dans les tiroirs. Mais la dépression, les humiliations, la lâcheté, l’incompétence, la bêtise, tout cela nourrit l’homme, et je ne suis plus exactement le même. De la boue, réussir à faire des phrases. Pas pour guérir, mais parce que c’est la matière qui est là. De la boue, de la glaise, et c’est l’atelier du sculpteur. Donner forme. Une fois le matériau dompté, en choisir d’autres. Peut-être là où j’en suis dans l’écriture. Le moment d’un texte qui n’a plus rien à voir avec la douleur. Enfin, le moins à voir possible. Comme la vie qui s’apaise et le loisir qui revient. Pas que j’oublie, je ne veux ni peux oublier, pas « passer à autre chose ». C’est là pour toujours, les couteaux plantés dans le coeur et le dos. Mais prendre une inspiration ailleurs. Pour respirer. Enfin.

3 août

Il y a un beau début de chantier en cours. Un chantier prometteur. Comme souvent, je me dis : et si j’en faisais un chantier à ciel ouvert, c’est-à-dire : est-ce que je pourrais vraiment ouvrir les notes, les brouillons, la documentation et montrer comment ça s’écrit ? Par exemple les premières pages rédigées, qui ne survivront pas au processus, mais sur lesquelles il est déjà possible que je m’appuie pour la suite. Un vrai journal d’écriture ? Mais il y aura tellement de remords, de pistes que j’abandonnerai, et puis je ne suis pas sûr de vouloir des réactions à chaque étape (même si je sais qu’elles seront peu nombreuses). Alors, je garde le chantier fermé. D’autant que, décalage de l’édition oblige, je parle là d’un livre que j’imagine pour 2027…

4 août

Faire un plan. Parties, chapitres, scènes. Un plan qui permette à l’action d’avancer, aux personnages d’évoluer. Je n’ai jamais tout à fait écrit comme cela, et là, oui, je me dis que c’est le bon projet pour faire un plan. Savoir comment ça va finir avant de commencer. Avancer en sachant où je vais. Bref, écrire un roman qui ressemble à un roman. Pour voir ce que ça donne ? Pour ne pas me répéter, aussi, ne pas toujours faire la même chose. Un roman qui serait plus confortable ? Plus conforme aux attentes ? Peut-être pas. On verra. Je fais un plan, et je pose des personnages dedans, et je vais les voir évoluer. Peut-être que le plan aussi évoluera. On va voir ce que ça donne. Et si c’est intéressant à écrire. Peut-être même amusant.

5 août

Commencer à écrire en suivant le plan. Trois mots dans le plan pour deux ou trois pages du livre. Amplification. Là que naissent des images, des échos, des bifurcations. Ajouter de la chair, faire des choix. Ce n’est pas écrire comme avant, c’est autre chose. L’inquiétude : retrouver ce qui rend le texte fluide quand toute l’énergie est déjà canalisée. Que le flow accepte de traverser dans les clous. Est-ce que j’ai assez de métier pour ça ? Ce qui est sûr : je sors de ma zone de confort. Ce qui vaut bien le coup d’être tenté.

6 août

Il s’agit, je crois, d’écrire un roman au sens traditionnel du terme. Jouer à respecter les règles établies, cette fois. Mais que le jeu fonctionne, c’est-à-dire que ce soit un bon roman, qui embarque dans une histoire, et, peut-être, qui interroge un peu. Donc des personnages, des situations, des évolutions, un contrat de lecture : de la crédibilité. Un texte qui porte une histoire, et non l’inverse. Casser ce que j’ai fait jusque-là. Y trouver, néanmoins, place pour de la littérature, place pour ce que c’est de se raconter des histoires. Incertitude totale, puisque jamais réussi quelque chose de publiable de cette façon. Mais justement, choisir ce qui, pour moi, est difficile. Hors de la zone de confort.

7 août

« Avec beaucoup de finesse, Sébastien Bailly allie gravité et légèreté, et signe un deuxième roman enthousiasmant. » C’est écrit dans Le Monde, le quotidien de référence, et c’est pour parler de mon Autoroute. Suis faible, donc je vis ça avec bonheur. Voilà. Et puis, dans la balance de la vie, faut prendre tout ce qui fait pencher du côté du meilleur, non ? Allez, je profite.

9 août

C’est-à-dire que raconter une histoire, c’est difficilement un projet d’écriture. Ça ne suffit pas. Enfin, c’est un terreau. Il faut y poser quelque chose, pas y poser : y planter. N’importe qui peut raconter une histoire. Mais écrire ?

10 août

Trois de mes livres sont disponibles à la bibliothèque publique de New-York. Mes deux romans. En français puisqu’il n’y a pas (encore) de traduction. C’est-à-dire que ces textes écrits sur le canapé du salon, dont j’ai douté qu’ils deviennent jamais un livre, peuvent être empruntés et lus là-bas. Est-ce que c’est une information dont je peux faire quelque chose ? Est-ce que ça doit ou peut me faire quelque chose ? Ce que ça provoque : pas mal d’incrédulité, à vrai dire.

13 août

Vague de chaleur : s’y habituer. Dans le dictionnaire des idées reçues. Le monde se transforme en enfer. Sans les faits, sans raisonnement scientifique. Loi du plus fort. Tout signe de faiblesse comme une condamnation. Plus moyen de résister au rouleau compresseur. Pas de héros. C’est ça qu’il faudrait écrire ? Non plus la question d’écrire après la Shoah, mais d’écrire avant la fin du monde. Sans postérité.

15 août

Déserter. Prendre le mot déserter au pied de la lettre. Il y a le désert qu’on laisse. Et celui qu’on devient. Déserteur. Fabriquant de désert. Avoir été soi -même déserté. Être le désert. Aride. Ingrat. Impossible. N’être que sable sec. Prendre le mot déserter.

16 août

Démissionner : c’était déjà avoir une mission. C’est la refuser. S’en détourner. Refuser. On fera croire que la démission est une lâcheté. C’est le courage de dire non. C’est garder la tête haute. C’est conserver sa part d’humanité et placer ses valeurs au dessus de son intérêt personnel. Placer mes valeurs au dessus de mon intérêt personnel. Je suis plutôt fier de ça. Mais c’est se mettre à dos toutes celles et tous ceux qui avalent des couleuvres par goût de la sécurité, de l’argent, du pouvoir. Celles et ceux qui sont à vendre, soldés. Les valeurs. D’abord.

19 août

Suspicion. Il aura suffit d’une seule accusation. Une accusation sans fondement. Jamais clairement démentie. Il aura suffit d’un ver dans le fruit. Il aura suffit d’un rien pour que la poutre maîtresse devienne l’arbre à abattre et que le château de cartes s’effondre. On avait autre chose à faire. Mais pas l’intelligence d’y parvenir.

21 août

Le roman à venir me semblait presque condamné hier : impossible de donner de la cohérence et de l’épaisseur à l’histoire. Une idée, aussi bonne et prometteuse semble-t-elle être ne suffit pas. Il faut aller d’un début vers une fin et trouver un moyen qui justifie la lecture. Enfin, quelque chose qui ressemble à une histoire. C’est ce qui change avec les romans précédents, où je partais d’un dispositif d’écriture et faisais ensuite confiance au texte. Là il me faut un scénario. Curieusement, après avoir été presque convaincu en fin d’après midi que je n’y arriverai pas, tout se débloque pendant le repas : il se pourrait bien que je tienne quelque chose.

22 août

Il y a le verbe chérir et les personnes auxquelles il s’applique. Celles et ceux que l’on chérit. Peu nombreuses. Peu nombreux. Une catégorie telle que je pourrais faire la liste des prénoms. Celles et ceux que je saurais prendre dans mes bras. Dans la gamme des liens, le chérissement n’est pas le plus usité. Le mot n’est pas courant. Il mélange estime et affection. On n’utilise plus guère que le nom chéri, précédé du possessif (qui n’en est pas vraiment un ; c’est chéri par moi, pas à moi). Et cher, chère, qui marquent une plus grande distance. Mais ce sentiment, le chérissement, à qui le reserve-t-on ? Je te chéris. Qui pour le dire encore vraiment ? Et pourtant, c’est parfois exactement de ça qu’il s’agit.

23 août

Passage en librairie, hier. Rentrée littéraire. Multiplication des romans sur les tables. Plein de choses qu’il faudrait que je lise. Par goût ou parce que je connais la personne derrière le nom sur la couverture. Parfois les deux. Est-ce qu’il y aura des découvertes ? Des déceptions ? Je ne pourrai pas tout lire. Dans une petite librairie, dans une petite ville, il y a deux jours, il y avait la passion de la libraire pour son métier. Mais tellement de frustration face aux presque 500 romans de la rentrée. Ce ne devrait pas être un souci. Rester de mon côté : écrire.

24 août

Comment négocier le passage d’un livre à l’autre ? Lu l’un, on ne peut lire n’importe quoi après. Il faut dans l’enchaînement des saveurs une graduation. L’un agit sur l’autre et c’est parfois au détriment des deux. Y a-t-il un moyen de se rincer la bouche, comme lorsqu’on déguste des vins ?

25 août

C’est la rentrée. Pour beaucoup. À la radio. Dans les bureaux. Ma dernière rentrée un lundi matin de fin août, c’était il y a deux ans. Brutale mais relativement heureuse. Tout dépend de quel moment j’ai envie de retenir. La réunion catastrophe du matin (comment ont-ils pu commettre tant d’erreurs en si peu de temps ?) ou le déjeuner détendu. On garde comme cela certains jours au creux du cœur. Je croyais encore, à ce moment-là, à l’intelligence. Et pourtant l’on m’a dit : ils vont te broyer. Ils l’ont fait. Il n’y aura plus de rentrée fin août. Plus moyen. Comment voulez-vous que j’y retourne, à ce cirque ? Il y a d’autres choses à faire. Et à combattre. Autrement. Écrire, déjà.

26 août

Écrire totalement autrement que les livres précédents, avec un plan, des passages obligés, des scènes obligatoires. Au chapitre un, il doit se passer telle chose, les personnages, leur évolution, la tension qui monte. Écrire un roman romanesque : ce n’est pas, pour moi, ce qu’il y a de plus simple.

27 août

Comment écrire « il ouvre la porte » ? C’est la question de la littérature. Il peut suffire d’écrire « il ouvre la porte ». C’est clair, efficace, et, à la lecture, on devrait voir une porte s’ouvrir. Ou alors ce n’est pas ça. On peut plonger dans les synonymes de porte, les adjectifs qui pourraient la qualifier, les adverbes qui diraient comment il s’y prend (calmement ?). La porte, et le geste, gagneront en précision. Et qui est-il lorsqu’il ouvre la porte ? Est-ce qu’une part de lui est l’enfant de cinq ans qui entrebâillait la porte du salon, en soirée, pour écouter ce que pouvaient bien se raconter les adultes ? « Il », c’est mouvant, diffus, toujours en construction, pas si net. Alors quoi ? C’est une porte qui est ouverte, non ? Non, c’est bien plus que ça : ce sont tous les hommes qui ouvrent toutes les portes, en conquérants comme en petits garçons curieux. Qui pour les regarder ouvrir des portes ? Et ça, on va l’écrire comment ? Est-ce qu’on va seulement réussir à l’écrire ?

28 août

Rêver qu’on fait une insomnie, et dans cette insomnie écrire une lettre, intervenir à l’université, conduire une voiture qui refuse de changer de direction. Il y a écrire : acte matériel crayon qui écrit blanc sur page sombre. Pleins et déliés. Un courrier qui dit que cette insomnie est agréable (tellement d’autres, pendant la dépression, qui ne l’étaient pas). Dans le rêve, je cherche les mots justes, ceux qui diront exactement ce que je ressens. Je ne les retrouve pas au réveil. Mais je sais que c’était bien.

29 août

Être attentif aux rêves. Savoir qu’on peut poursuivre un rêve d’une nuit sur l’autre : retrouver et reconnaître des lieux, revoir des personnes, rejouer plusieurs fois des scènes. Elles reviennent plus facilement dans le rêve qu’à l’état de veille. Les rêves jouent le temps de l’apaisement, les retrouvailles, la légèreté. Je suis incapable de les raconter en détails mais ils apportent ce qui pourraient manquer. Mystère du fonctionnement psychologique. Le sommeil se révèle réparateur.

30 août

La seule réponse était d’en rire.

31 août

Ce qui me rend l’écriture sur plan compliquée, c’est de retrouver la part de l’émotion, sa place. J’ai, longtemps, eu une vision très technique de l’écriture. C’est quand j’ai commencé à faire de la place à l’émotion que l’écriture a pu changer de dimension. La vie s’est chargée de tout renverser avec un tsunami d’émotions et de sentiments qui a failli m’emporter. Je canalise ça quand j’écris. Mais le plan est terrible : il canalise à outrance. Je ne suis pas musicien, toujours pas, mais ce serait passer de l’impro jazz au classique. Pour l’émotion, il faut se révéler Glenn Gould.

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