Site icon Sébastien Bailly

Il a marché, ton livre ?

Où l’auteur donne les chiffres de ventes de Mum Poher et détaille un peu comment il a vécu ça.

Oh, la question piège ! « Il a marché, ton livre ? » Ce passé composé : ça y est, c’est fini. Il a marché, ou pas. Mais aujourd’hui, ce serait joué. Pas faux : la durée d’attention après la sortie d’un livre, c’est court. Quelques semaines. Guère plus. Celui-là est sorti début septembre, on pouvait espérer des ventes jusqu’à Noël, avec un bon bouche à oreilles, mais pas plus. Donc, c’est joué. Et vous savez si vous me suivez depuis un moment que je suis du genre transparent sur ces questions.

Alors je réponds oui. Ou non. Selon l’inspiration du moment. Non, il n’a pas marché. Une centaine de ventes. C’est peu. Les ventes d’un premier roman se situeraient, en moyenne, entre 500 et 800 exemplaires (en moyenne…). Je n’y suis pas. J’avais dis que si j’en vendais une trentaine, ce ne serait pas si mal. J’espérais un peu plus, ça m’apprendra à faire le malin.

Une centaine donc. Ce qui est drôle, c’est qu’à un ou deux près, je connais tous les gens qui l’ont acheté, à qui d’autres l’ont offert. Allez, peut-être une dizaine que je ne connais pas, ou dont j’ignore l’identité. Pas dépassé le cercle proche, ou à peine.

Il faut dire que je n’ai pas eu de chance : l’annulation de ce que je considérais comme le vrai lancement du livre. Une rencontre avec les lecteurs à la librairie L’Armitière, la plus grande de Rouen. Mais au lendemain de l’incendie de Lubrizol. On m’avait promis qu’on trouverait une autre date. Et puis le temps a passé, et on ne m’a rien proposé. C’est la vie. J’en ai croisé des qui m’ont demandé quand ce serait la signature pour acheter le livre à cette occasion. Mais ce ne sera pas possible. (Nota bene : je n’en veux pas à L’Armitière, je comprends, c’est comme ça, les impératifs, et puis plus le temps passe moins ça a de sens, mais ils ont été plus que sympas : une belle pile de Mum Poher sur la table des romans, au rez-de-chaussée, le livre était là, les lecteurs n’avaient qu’à tendre le bras). Pas de chance non plus côté presse. Un passage sur France Bleu, très bien, mais en pleine crise Lubrizol à Rouen, c’est passé inaperçu. Un jeu concours sur le groupe Facebook du Figaro ? Pas de bol : ils oublient d’envoyer les livres au lecteurs. Quand ça veut pas… Le livre déposé dans la boîte aux lettres d’un rédacteur-en-chef local ? Rien, nada. Il n’aura pas pris le temps. Je soupçonne même ceux qui auraient aimé le descendre en flamme de ne pas avoir trouvé l’occasion. Un autre, qui parle de tous les livres qu’il reçoit sur le web, n’aura pas parlé de celui-là. Passé entre les mailles du filet. Tel autre qui m’avait promis une interview, aura finalement coupé court. Pas de chance, je vous dis. Et il en faut un peu.

Le plus dur n’est pas là. Car si je connais tous mes lecteurs, je connais encore plus de gens qui n’ont pas eu la curiosité de lire le roman. Et ça, c’est un peu plus dur. Le monde s’est divisé sans que je le veuille en deux catégories : ceux qui se sont intéressés, et les autres. C’est encore poreux, on peut encore passer d’une catégorie à l’autre (dans un seul sens), mais je n’avais pas anticipé ça.

Si vous n’avez pas acheté Mum Poher et qu’on se connait, ne croyez pas que je vous en veuille personnellement. Même si j’aurais aimé avoir l’avis de certains (et certaines, oui, parce que le contenu fait que l’avis des lectrices m’importe particulièrement), je peux comprendre que je ne suis pas le centre de votre monde (dans la même mesure que la plupart des gens peuvent comprendre qu’ils ne sont pas le centre du monde, c’est dire si c’est relatif). Bref, je n’avais pas anticipé cette petite voix au fond de mon crâne, cette litanie sans fin. C’est peut-être le début d’une maladie mentale : la liste infinie qui défile de celles et ceux qui n’ont pas encore lu mon roman. Mais j’espère. Après tout, je ne compte pas le nombre de livres que je n’ai pas lus aujourd’hui et que je lirai un jour. C’est pareil pour vous, non ?

Parfois, j’ai croisé un ou une qui m’a dit : « je suis entrain de lire ton livre ». Je ne cache ni ne boude alors mon plaisir. Je raye aussitôt son nom dans la liste des non-lecteurs avec délectation (sauf que parfois, je n’avais pas pensé à mettre cette personne dans la liste, et, du coup, je perds le plaisir de l’en soustraire). Et la litanie recommence : si un exemplaire correspond à untel ou unetelle, alors il y a moins de chance encore que les autres aient lu. Mais que suis-je pour eux ? Mais que suis-je pour elles ? C’est pitoyable, je sais. Je pourrais faire de cette amorce de maladie mentale un prochain roman, ce ne serait pas tout à fait perdu. J’ai le pitch : cet auteur établit une liste de ses lecteurs. Nom après nom, il la tient à jour au plus près possible de la réalité. Mais ce sont les noms qui ne sont pas dans la liste qui le hante. Jusqu’où ira-t-il, en élargissant petit à petit le cercle autour de lui pour contraindre chacun à se plonger dans la lecture ? Désolé si je vous fais peur. Je n’en suis pas là. Je vais bien. Je vais bien, je vous dis. C’est comment votre nom déjà ?

Pire à vivre : tous les « je vais l’acheter », « tu peux me redonner le lien ? »… Et dont je sais que non, en fait, parce qu’il n’y a pas eu de ventes, depuis, ou si peu, et que je sais qui. Vous avez été polis, sympathiques, peut-être même sincères, sur le moment, mais vous êtes passés à autre chose (ce ne sont manifestement pas les autres choses qui manquent). En mon fors intérieur, j’espère que vous avez juste temporisé, alors, je vous redonne le lien. (Et n’oubliez pas de me donner votre nom après l’achat : c’est pour tenir ma liste à jour).

Donc, Mum Poher serait un échec. Le livre n’aurait pas marché ? Une centaine d’exemplaires, un tout petit peu plus de lectrices et de lecteurs (parce que les gens prêtent les livres, les bougres…) Ce n’est pas si mal pour un premier roman (certains font pire, j’en suis sûr). C’est peu, aussi.

Mais je suis content, en fait. D’abord parce que le livre existe. C’est peut-être bête, mais c’est sans doute ce que j’ai fait de plus important, de mon point de vue (pas encore partagé par grand monde, c’est vrai, mais comme on se regarde dans la glace, ça compte aussi).

Ensuite, Mum Poher a rencontré des lecteurs, des lectrices. Des qui m’ont dit qu’ils avaient été épatés, d’autres touchés, certains qui en ont offerts à Noël, d’autres qui l’on prêté à leurs parents à leurs amis, pour partager ça. C’est pour ça que je dis que le livre a marché, parfois. Parce qu’il y a ces retours. Comme je ne suis pas à une contradiction près, je suis souvent gêné quand le compliment arrive, je ne sais pas très bien comment réagir. Mais c’est important. Il y aura eu ces lectures, ces gens que je connais pour la plupart, mais dont certains n’étaient pas des proches du premier cercle et avec qui je partage ça, cette histoire apportée à leur imaginaire, ce moment passé avec Mum Poher, cette connaissance commune des ressorts de l’histoire.

Ils ne sont pas des milliers, pas encore. Il ne seront sans doute jamais beaucoup plus nombreux qu’aujourd’hui. Mais ils sont là. On partage un truc. Et alors, oui, il a marché ce livre. Il les a embarqués, emportés. On a fait ce bout de route ensemble.

Et puis il y a eu de bons moment, une lecture en petit comité début septembre, un pitch devant des relations professionnelles. Quelques occasions de parler du livre, de le défendre. Merci, merci pour ça. Merci pour les quelques articles en ligne, le concours sur Instagram, les tweets sympathiques et les statuts sur Facebook. Et ce n’est peut-être pas fini. Ce n’est jamais vraiment fini. « Est-ce qu’il a marché, ton livre ? » Oui, et il est toujours debout, toujours là, et il n’avance que grâce à toi. C’est toi, et personne d’autre, qui décide qu’il marche ou pas.

Ah, et je vous entends, vous, là-bas, au fond : « et tout ça ce n’est pas tout simplement parce que le livre est mauvais ? » Ben non. Le livre est bon. Sacrément bon. Comment imaginer un instant que je puisse avoir un autre avis sur la question ? Lisez-le. Vous verrez.

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