2 octobre
Avant hier, Nathacha Appanah à la Maison de la poésie qui dit comment elle a écrit La Nuit au coeur (Gallimard). Comment écrire sur le féminicide. La différence entre l’enquête littéraire et l’enquête journalistique, les moyens d’écriture mis en oeuvre. L’importance de ce qu’elle choisi, aussi, de ne pas écrire lorsqu’elle parle d’elle et de ce qu’elle a subi. Ces silences qui font partie de la littérature et qui sont sa pudeur. Parce qu’il y a le sujet, indiscutable, et il y a l’écriture, qui l’est. Je n’ai pas encore lu. Mais ce que j’ai vu : une écrivaine aux prises avec son texte, qui se coltine les mots et la structure du roman pour dire ce qu’elle a à dire. Dispositif littéraire à partir de la matière du réel. Elle insiste sur l’importance de savoir d’où elle parle.
Hier, Birds on a wire au Théâtre du Rond-Point. Concert. Poésie hors du temps. Belle découverte. Je le note ici pour ne pas oublier. On est loin des modes et du bruit. C’est juste, doux, et ça n’a pas peur de s’affranchir des genre. Go.
3 octobre
Soirée avec Azélie Fayolle pour la sortie de son essai Subvertir le male gaze (La Divergente). Quelle vision du monde s’impose dans les œuvres littéraires. Son point de vue de chercheuse. Masculinisme, virilisme, patriarcat : où et comment on les retrouve (Molière, Zola, Stendhal, Baudelaire…) et comment on subvertit ça aujourd’hui ? C’est passionnant comme regard en arrière et comment ouvertures possibles. Honneur d’être cité dans l’ouvrage. Oui, d’autres pistes sont possibles. Mais, au dessus de tout, la cohérence de ce qu’on écrit. On n’a pas fini d’en parler avec Azélie.
5 octobre
Lecture du week-end, le très intéressant Perpétuité de Guillaume Poix chez Verticales. C’est bien, et pose cette question : un roman doit-il être intéressant, édifiant, instructif ? Il peut l’être, et celui-là l’est. Il a manifestement une intention. Il atteint son objectif : nous passons une nuit en prison avec les surveillant. Ça, bravo ! On y est malgré de rares digressions qui nous sortent la tête du sac. Il y a de la mise en scène, en dialogue, en perspective. Il y a des personnages, de l’émotion forte, de l’empathie et de l’action. Alors, pourquoi cette impression de passer juste à côté ? Je voudrais suffoquer et je ne suffoque pas. Je voudrais un poids sur mes épaules que je ne ressens pas. Je voudrais la prison comme un livre dont je ne pourrais sortir. Et il me manque une toute petite chose, un point aveugle, un reflet, que la littérature soit l’emprisonnement ou l’évasion. Peut-être que je passe à côté. Ça me chagrine.
6 octobre
Relecture du journal d’octobre 23 où rien ne transparaît, ou presque, de la tourmente. Une entrée sur la question du passage à l’acte, tout de même. Mais rien de la douleur d’alors. Il fallait sauver ce qui pouvait l’être, les apparences. Impossible de deviner dans ces lignes les crises d’angoisse, les idées suicidaires. Les notes du journal sont tellement éloignées de ce que je traversais alors. Comme si tout était normal, paisible, rassurant. J’aurais peut-être dû crier alors l’enfer traversé.
8 octobre
Forte émotion hier soir à la librairie Les Champs magnétiques pour le lancement de l’édition des cinquante ans de W ou le souvenir d’enfance de Georges Perec (Denoël). Sont là celles et ceux qui l’ont connu, celles et ceux qui aiment son œuvre, ses nièces, qui sont aussi ses ayants-droits, son ami Robert Bober, le président de l’association des amis de Perec, Jean-Luc Joly, Dorothée Cunéo, l’éditrice. L’occasion d’entendre les proches, de parler de mon petit projet. Perec est encore vivant : jamais ressenti à ce point comme on le reste tant que les témoins continuent de faire vivre la mémoire. Hier soir, c’était la garde rapprochée. On n’a pas fini d’entendre parler de Perec, et c’est tant mieux.
9 octobre
Hier et avant-hier, j’ai formé des journalistes du journal Le Monde à la rédaction de nécrologies, ces articles prêts à paraître pour le jour où. Deux jours de bonheur à parler narration et style. Que retenir d’une vie dans un papier nécessairement trop court ? Comment agencer ça ? La nécrologie du Monde est une référence. Pour beaucoup, c’est ce qu’il faudrait retenir. C’était passionnant : c’est quoi, une vie réduite à 4300 signes ? Et c’est pourtant plus que ce qui restera de la plupart d’entre nous. Aura-t-on au moins fait quelque chose de notre vie qui mériterait ça ?
10 octobre
Réussir à regarder Deux jours, une nuit des frères Dardenne (2014). Jamais vu auparavant. Tentative de retour à l’emploi après une dépression. Marion Cotillard qui se bat contre la maladie, contre le contre-maitre, contre l’égoïsme, contre les préjugés. Tout est ramassé en trop peu de temps pour être tout à fait crédible, mais les mécanismes sont là. Et, surtout, la bagarre de la malade avec la maladie. Ce que ça a de dur, de quasi impossible par moment, et ce que les autres ne comprennent pas, ne veulent pas voir. Les cadrages, les plans, la lumière : travail cinématographique au plus près de ce qu’on peut ressentir. Il y a la mécanique économique, aussi, qui ajoute à la dimension dramatique (chacun dans un choix moral impossible). Comme on est broyé par un système qui ne laisse aucune chance, sauf à choisir de broyer à son tour.
11 octobre
Juliette… la Juliette de Victor Hugo. Juliette Drouet. Incarnée par Julie Depardieu sur la scène du Studio Marigny. 50 ans d’amour. Douze ans enfermée, littéralement, dans la chambre où il venait chaque jour la retrouver. L’appétit insatiable d’Hugo. Un monstre, un tyran, un génie. Cette question toujours, comment un homme a-t-il pu vivre autant de vies ? Jugement suspendu : c’est Juliette qui parle. C’est Julie seule en scène qui balaye toute une vie en une heure vingt. Elle aime. Elle est aimée. Elle le suit. Elle le rejoint. Elle se voue à lui. C’est tragique. Juliette Drouet, croit-on en sortant du théâtre, méritait cette incarnation par une Julie Depardieu inspirée.
12 octobre
Ne rien écrire à propos de ce qu’il s’est passé il y a deux ans ? C’est bien là. J’y pense.
13 octobre
Lire, écouter, voir, rencontrer. La culture est vivante et parfois secoué dans les profondeurs.
« La guerre n’a pas un visage de femme » est un livre de Svetlana Alexievitch, prix Nobel de littérature en 2015. Un livre de témoignages, poignant, glaçant : celui de femmes engagées, à l’Est, pendant la seconde guerre mondiale. Elles auraient été un million, dont l’histoire a été effacée, dont on se souvient à peine, et qui ont combattu le fascisme armes à la main.
De ce livre, Julie Deliquet tire un spectacle vu au Théâtre Gérard Philippe à Saint-Denis. Un uppercut qui dit l’engagement, l’horreur et l’absence totale de reconnaissance. Autre temps ? Hélas non : il y a toujours des Ukrainiennes au front. La guerre des femmes différente de celle des hommes ? Assurément. Pas dans la violence, pas dans l’héroïsme, mais dans ce que représente le corps des femmes dans la boucherie des combats, et l’effacement, voire le rejet, au retour à la paix.
Un livre et un spectacle importants. Ça secoue comme la vérité.
14 octobre
Bonheur d’écouter Laurent Mauvignier parler d’écriture à la Maison de la poésie. Je hochais la tête, acquiesçant, à ses explications sur le passage du conditionnel au futur, du futur au présent. C’est ça. Et son goût du flou, de l’indécis, de l’impressionnisme. On y est. Il faut travailler, travailler encore (je parle pour moi). Il dit ne pas savoir écrire, savoir les progrès à accomplir. Ça promet pour la suite. Allez au boulot !
16 octobre
Se dessine à l’horizon la résidence de quatre semaines à la Maison Julien Gracq. 28 jours de concentration pour revenir sur le roman auquel je n’ai pas touché depuis juillet. Un temps d’écriture long, puisque tout cela a commencé il y a plus de deux ans. Avoir pris le temps, certains textes écrits dans l’émotion désordonnée des circonstances, d’autres avec plus de calme et de recul, et cette réécriture relecture à venir au calme du bord de Loire, loin, très loin, de l’impulsion initiale. On verra ce que cela donne. J’espère lister d’ici là une série de questions à résoudre pour que l’ensemble tienne du mieux possible. Hâte de me trouver dans les conditions d’écriture de la résidence. Sans doute que ça compte. Je vais découvrir ça.
17 octobre
Relu hier le texte sur Perec. L’impression que ça n’est pas à la hauteur, qu’il faut retravailler, qu’il y a un truc qui ne va pas, en profondeur, qu’il faut creuser dans la structure pour le mettre à jour. Un manque d’unité, de cohérence. Je tâtonne, je cherche, je ne trouve pas. Ce texte traîne. J’ai tout ce qu’il faut pour l’envoyer, sauf le texte lui-même, qui ne me satisfait pas. Certaines parties sont correctes, d’autres manquent d’allant. Je me donne deux semaines pour en finir. Il faudra que je passe à autre chose début novembre, et que ce soit derrière moi, que l’horizon soit dégagé.
18 octobre
Des souris ont trouvé refuge sous le meuble de l’évier et de quoi se nourrir dans le tiroir où était stockés quelques conserves et, surtout, des pâtes, du riz, des lentilles. Des souris qui se sont frayé jusque là un passage secret qu’il va falloir trouver. Et boucher. Rien de grave, j’ai déposé le poison sur leur passage. Elles n’y survivront pas. Et c’est ainsi que passent parfois les journées.
19 octobre
De mes rêves de la nuit, toujours denses et nombreux, il ne reste que quelques bribes. Un incendie géant dans une station balnéaire, que nous voyons manger la ville depuis une piscine collective qui la surplombe. L’incendie s’arrête juste avant la piscine. Quelques voitures brûlées sur le parking. Pas la nôtre. Sans lien apparent : une prise de poste dans une agence de communication. On doit partir pour un long voyage en bus (en car ?) pour défendre un dossier dans lequel se trouvent des informations sur chaque membre de l’équipe. Me concernant, c’est un recto-verso sur mes opinions, en provenance des renseignements territoriaux. Document officiel, orné de bleu blanc rouge. Il y est notamment fait mention de mon travail pour Les Miraculées.
20 octobre
Rêves toujours denses, émouvants. Des chatons, un essaim d’abeille, un piqûre au genou. Je croise quelqu’un de cher dont j’aimerais avoir des nouvelles. Le rêve peut-il compenser l’absence ?
Hier vol spectaculaire au Louvre. Depuis la rue, en plein jour, par une fenêtre du 1er étage. C’est donc encore possible, l’aventure ?
Hier encore, Don Giovanni. Triste sire d’un égoïsme absolu, incapable de changer. Vivre dans la joie aux dépends des autres ou mourrir ? Est-ce lui qui choisit la mort ou la société qui le condamne ? Les deux. Il ne pouvait pas changer.
21 octobre
Lu la Carmen de Mérimée, court texte. D’un côté la légèreté et la liberté de Carmen, de l’autre l’amour dévorant de Don José. Mais c’est lui qui raconte, et de là tout devient suspect. Elle est dans le récit comme il la voit, avec son cœur battant, et sa folie grandissante. C’est l’histoire d’un crime passionnel, comme on disait ; d’un féminicide, comme on dirait. L’histoire d’une femme qui préfère la mort à la moindre entrave, l’histoire d’une liberté que l’amour rend impossible ; une certaine conception de l’amour. Faut-il réécrire Carmen ? Apprendre à lire, surtout.
22 octobre
Parution il y a quelques jours de La Machine, traduction d’une pièce radiophonique en allemand de Georges Perec et de son traducteur germanophone, Eugen Helmlé. Là, une lettre étonnante de Perec sur le traitement du langage par la machine et ses capacités. Ce qu’il décrit est si proche de l’intelligence artificielle générative que c’en est incroyable. On est en 1967, pourtant.
23 octobre
Perec toujours. J’envoie aujourd’hui à l’éditeur le petit texte sur lequel je travaille depuis un moment, autour de La Disparition. Je l’ai proposé, je crois, en octobre 2023. Il a fallu un peu de temps, et beaucoup d’insatisfaction. Et puis voilà, le texte me semble prêt. Je n’aurai plus à y penser. Et me consacrer au roman.
24 octobre
Deux visites d’expos hier et avant-hier. D’abord Flops, aux Arts et Métiers. Les grands échecs, ce qui a raté, ce qui n’a pas marché, et pourquoi. L’occasion de montrer des objets qui n’ont pas rencontré le succès escompté. C’est ça, Arts et Métiers : des objets. Le plus amusant sans doute est involontaire : l’issue de secours bloquée. Une affichette recommandé de passer ailleurs. Kandinsky et la musique ensuite, à la philharmonie de Paris, expo sensible et pédagogique, et cet immense tableau dont j’ai longtemps eu le poster dans mon salon… Tant de théorie pour, oui, finalement produire de l’émotion.
25 octobre
Une belle bibliothèque, très belle. Un lieu historique superbe. Et l’hémicycle. Hasard du calendrier : visiter pour la première fois l’Assemblée nationale en ce premier jour d’examen du budget. Quinze minutes de cirque parlementaire. C’est un LFI qui parle. Ça applaudit dans son groupe. Rangs serrés. Plus on va vers la droite, plus ça serrés clairsème. À droite on rit, on invective, on gueule un peu, on scrolle sur les réseaux sociaux, on utilise l’IA (du haut reconnaître l’interface américaine, mais pour faire quoi ?). Pas le droit au téléphone portable ici. Pas de photo de cette caricature de débat où personne n’écoute personne. Un cirque. Une image. Je reste persuadé que certains députés travaillent sérieusement. Pas ici, pas dans cet hémicycle. Pas aujourd’hui.
26 octobre
Le Misanthrope à la Comédie française. C’est redécouvrir le texte. J’en ai toujours su l’actualité. Là, il s’éclaire des expériences récentes. Ce qui se produit lorsqu’on dit aux autres la mauvaise qualité de leur travail. Comment l’honnêteté se retourne contre soi, même lorsqu’on a raison, puisque ce qui compte, ce n’est pas ce qu’on commente mais le pouvoir de celui qui écoute. Et puis d’autres choses sur l’écriture de l’hypocrisie, dont Le Misanthrope est un catalogue. Alors c’est Philinte qui a sans doute raison avec sa philosophie. Alceste est condamné d’avance. Et pourtant l’honneur est pour lui, et la droiture. Combien sommes-nous à avoir rejoué la pièce depuis sa création, et combien de fois chacun ?
27 octobre
La nuit hantée par les fantômes. Aucun repos possible. Choisir de me lever pour échapper aux rêves. Fatigue. Combien faudra-t-il d’années ?
29 octobre
Vu la moitié de la série Des vivants, sur France télévision. Comment 11 otages du Bataclan reviennent à la vie après deux heures trente avec les terroristes. Histoires vraies portées par des comédiens formidables. Chaque personne réagit différemment. Ce qui m’épate : le rendu de la souffrance psychologique. Ce qui conduit aux impossibilité : de sortir de chez soi, d’interagir, de travailler, de comprendre, de s’expliquer. Les crises, les angoisses et leur cohabitation avec les moments de mieux. Les larmes. Toute cette souffrance qui serait intransmissible mais que je reconnais. Elle est personnelle, différente pour chacun, mais je la reconnais pour l’avoir traversée dans la dépression. Un autre contexte, une autre durée, mais la même qui vous dépasse et vous jette à terre. Elle est peut-être intransmissible à qui n’a pas traversé par là. Elle est là, dans la série, reflet parfait de ce qu’on peut traverser.
30 octobre
Si je n’avais pas tout écris au fur et à mesure, si je n’avais pas tout noté et gardé les messages, je pourrais commencer à croire que j’imagine le désastre d’il y a deux ans. Mais tout est là. Absolument. Les phrases. Les lieux. Les messages. Tout est là. Factuel et prouvable. Tout est là à portée de main. Bien rangé. C’est arrivé.

