De 15 h à 16 h30, une seule lectrice m’aura adressé la parole. Je suis cerné de livres. En face de mois, une pile de bouquins de Nabilla, dont on m’impose parfois la lecture de quelques pages à voix haute : c’est dingue ce qu’elle attire de jeunes femmes en quête de sens. Ses livres partent comme des petits pains. Il y a le rayon cuisine, pas loin, très demandé aussi. Un livre qui me promet de m’expliquer comment devenir le nouveau Marc Levy, juste de l’autre côté de l’allée, et ce n’est peut-être pas une bête idée vu le désespoir qui m’étreint, et plein de romans formidables sur ma droite dans des mondes qui hésitent entre Tolkien et The Avengers.
Vient une libraire, gentille, intéressée. Elle a lu le livre. Elle me pause des questions. On en parle. Une petite quinzaine de minutes. C’est bien. Comment j’ai eu connaissance de cette histoire ? Quelles sont les passages de fiction ?
Et là, vient celle qui voudrait écrire un livre et qui se jette sur l’occasion d’en parler avec un qui a déjà fait ça. Moi, donc. Elle est un peu déçue que mon récit ne parle pas des anges gardiens. Sujet qui semble la passionner. « Mon fils m’a demandé si je pouvais vraiment le faire. Alors je l’ai rassuré : j’étais toujours première en français, alors, oui, je peux écrire un livre. » C’est sûr, ça. Bien sûr. « Mais je ne sais pas comment faire… » Elle quête la bonne parole. Je réponds : « Pour écrire, il n’y a qu’une seule méthode. Il faut écrire. » Ça n’a pas l’air aussi convainquant que je voudrais. Du coup, elle me raconte son histoire. Je n’y comprends pas grand chose.. Et ça dure, ça dure…
Je vendrais un troisième livre, à l’une des libraires de la Fnac. Ce sera tout.
Je devais rester jusqu’à 18h30. A 17h45, je craque et tire ma révérence. La photo de l’autre Sébastien Bailly est toujours sur l’affichette. Je paye le parking. Et retour, une heure d’autoroute, péage compris. L’ensemble m’aura pris 5 heures, que j’aurais peut-être mieux fait de consacrer à écrire, et coûté une trentaine d’euros. Pour m’en rapporter 1,8 peut-être. (Je sais ce n’est pas bien de parler d’argent, mais le décompte se fait forcément à un moment, quand on passe autant de temps à attendre le lecteur derrière une table sans grand chose à faire que laisser son esprit vagabonder).
Ne croyez pas que je me plaigne. La phase de franche rigolade liée à cette erreur de photographie a bien rempli mon après-midi. Attendre seul derrière une table qu’il se passe quelque chose fait partie du jeu. Et j’espère bien que ce n’est pas la dernière fois.
En 2010, j’ai vécu une expérience assez comparable, au Salon du livre de Rouen. Il y avait plus d’auteurs que de lecteurs, ou peu s’en faut. A une table de moi, Piem, le dessinateur qui, honneur suprême, m’avait croqué dans cette situation terrible où nous étions.
Telle est la vie de l’auteur de livres. J’ai eu la chance que, parfois, ce ne soit pas le désert, que des lecteurs soient souvent au rendez-vous. J’ai eu la chance de belles rencontres. Et puis, parfois, ce coup d’épée dans l’eau. Ces heures perdues à espérer qu’on intéressera quelqu’un. J’en ai profité, sur un bout de papier, pour griffonner le plan d’un roman. Et puis pour partager ça avec vous.